Par PHILIPPE LALLEMENT
Inclusion ou assimilation…
les premières réflexions
En 2016, selon Jean-Paul Gourévitch, la masse des immigrés, en comptant les descendants nés en France, et les irréguliers (évalués à 500 000), avait doublé en 25 ans : elle s’élèverait à 8 millions de personnes, soit 22% de la population. En 2015, le flux s’est emballé avec les offensives islamistes en Libye et en Syrie. L’Union européenne a laissé pénétrer dans la zone Schengen 900 000 Syriens, Afghans, Irakiens, Marocains, Pakistanais, Somaliens, Albanais et Kosovars, presque tous musulmans.
Au camp d’été 2016, François Marcilhac, qui a pris la direction politique du mouvement, conclut à la nécessité de lancer une nouvelle ligne politique fondée sur la critique de la subversion idéologique soutenue par les « inclusistes ». À la notion d’immigré, ceux-ci substituent celle de réfugié-migrant, prête-nom dont l’aspect humanitaire avalise le caractère inévitable des migrations. La disparition du préfixe « in » du mot im-migré évite de ressentir comme un in-trus l’étranger entrant (in-trans) sur le territoire national, de voir sa venue comme une in-trusion. La « reconnaissance franche du pluralisme de la société française, et d’une « république de la diversité » »[1], officiellement reconnue par le pouvoir, fait qu’il n’y a plus ni dedans ni dehors, ni nationaux ni étrangers : il n’y a plus de frontières. Dans la vision inclusiste, le réfugié-migrant ne doit surtout pas être intégré mais seulement inclus dans la société française rendue plurielle, multiculturelle. Grâce à la déconstruction idéologique, sa place lui revient de droit, car « nous sommes tous des migrants ». Le modèle inclusif transforme une société fondée sur la culture chrétienne en une société multiculturelle. Le pays réel se dissout peu à peu dans un côte-à-côte d’identités autistes, toutes soumises au dogme laïque. La notion de « citoyens nationaux » est abandonnée, place désormais aux « résidents ». La convergence d’intérêts entre l’immigration musulmane et l’eurocratie globalisée est flagrante. L’immigration est une aubaine pour l’Europe-puissance : elle affaiblit le sentiment national au sein des États tout en fluidifiant le marché du travail. Utile à l’économie libérale, le réfugié-migrant musulman, dépasse les identités en faisant exploser les protections nationales, perçues comme inhibitrices.
En revanche, cette critique rigoureuse par l’Action française du modèle inclusif n’est pas, à ce moment-là, équilibrée par la critique symétrique du modèle d’assimilation, comme le pratiquaient les générations maurrassiennes de 1930, 1960 et 1990. À vrai dire, la critique de l’assimilation républicaine avait déjà manqué au Maurras de l’Affaire Dreyfus (1898-1906), alors qu’elle aurait pu induire chez lui une attention plus vive à la position intenable dans laquelle la République avait mis la communauté juive depuis la Révolution[2]. La minorité juive, coincée entre sa volonté assimilatrice et son héritage propre, se trouvait dans l’obligation de se renier pour mieux s’identifier. Pour assumer son identité française, elle était amenée soit à disparaître spirituellement soit à vouloir imposer ses propres valeurs.
Alors pourquoi à nouveau, en 2016, ce défaut de critique à l’égard de l’assimilation ? Celle-ci, dans sa version laïciste républicaine, fondée sur les principes des Lumières, bénéficie à cette époque d’une importante recomposition sur un axe à la fois populiste et jacobin. Le pré carré assimilationniste initial des jacobino-chevènementistes et du Grand‑Orient « canal historique » s’est élargi aux « purs » de Riposte Laïque et surtout au national-populisme de Marine Le Pen[3]..
C’est dans un tout autre esprit que le prince Jean, dans Un Prince français (p. 93-94), préconise l’assimilation. Il regrette que l’État n’encourage pas ouvertement les étrangers à s’assimiler « à la nation ». À ses yeux, cette erreur favorise le multiculturalisme, c’est-à-dire la coexistence de communautés sans lien entre elles, mettant ainsi en péril la cohésion nationale. Ce lien, précise-t-il dès le premier paragraphe du livre, ne peut être ni l’idée de race, ni l’intérêt mercantile, mais « une histoire commune façonnée, qu’on le veuille ou non, par la chrétienté ». C’est à ce lien que pensait Maurras en 1922, quand il jugeait possible, dans le cadre colonial, une « assimilation historique », aisément vécue aux Antilles par des Africains devenus « peu à peu, par l’école, par l’Église, par la vie commune, membres d’une famille européenne au sens large du mot… »[4]
Philippe Lallement,
à suivre la semaine prochaine dans : 10/11 – Dernier état de la réflexion maurrassienne
Pour voir les articles précédents :
1/11 – La laïcité comme nœud gordien
2/11 – Quatre générations actives, porteuse de solutions originales
3/11 – 1930 – La dernière époque coloniale
4/11 – 1960 – La décolonisation
5/11 – 1990 – l’Immigration entre communautarisme et assimilation
6/11 – L’intégration communautaire de la « Génération Maurras ».
7/11 – Une ligne de crête instable et menacée
8/11 – 2020 L’alliance islamo-gauchiste
[1] Rapport du groupe de travail « Faire société commune dans une société diverse » avec Ahmed Boubeker et Olivier Noël, suite au rapport au Premier ministre sur la refondation des politiques d’intégration, « La grande nation : pour une société inclusive » de Thierry Tuot (février 2013).
[2] Victor Nguyen, « Note sur les problèmes de l’antisémitisme maurrassien », la Nouvelle Revue universelle n° 53, 2018. Voir aussi la rencontre manquée entre Maurras et Bernard Lazare : Pierre Boutang en exprime l’amer regret dans Maurras, la destinée et l’œuvre, 2e éd., La Différence, 1993, p. 382-386.
[3] Pour l’ex-Front National, le tournant assimilationniste a été formalisé aux Journées d’été de 2011
[4] . « Assimilés, associés », L’Action française, 23 décembre 1922, et Dictionnaire politique et critique, article « Colonies », t. I, p. 277.