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L’Action Française et l’Islam (VI/XI)

Par PHILIPPE LALLEMENT

L’intégration communautaire de la « Génération Maurras »

Le développement de cet antiracisme idéologique eut l’effet inattendu de provoquer un renouveau dans la jeunesse d’Action française, qui s’autoproclama « génération Maurras »[1] . Elle amena aussi la « vieille maison » à se pencher sur la question islamique. Sans oublier qu’entre 1974 et 1976 elle s’était victorieusement battue, avec Pierre Pujo[2] , pour défendre les musulmans de Mayotte décidés à rester français :  c’est avec ses militants mahorais que l’Action française avait alors ouvert le défilé de Jeanne d’Arc, et, en juin 1991, Aspects de la France publia un message du duc de Vendôme exprimant le vœu que Mayotte la musulmane « demeure toujours terre de France ». Le mouvement ne pouvait qu’en tenir compte dans son discours sur l’Islam. Quelques textes – un éditorial de Pujo sur le thème « Non au vote des étrangers »[3], une intervention du fondateur de France Plus, Areski Dahmani, et deux articles de Nicolas Kessler[4]  – ont défini la position officielle du mouvement : à travers l’alternative « Intégration ou assimilation ? », il entend rejeter à la fois un jacobinisme parfaitement irréaliste et un laxisme inconscient de ses conséquences. Retrouvant (sans le savoir) le corporatisme de 1937 et le fédéralisme de 1959, la génération Maurras prônait une « intégration communautaire » s’articulant autour de deux axes.

D’abord, l’éducation. La cheville ouvrière de l’intégration devait être un système éducatif souple, le modèle jacobin de l’enseignement laïque unifié[5] étant incapable de remplir cette fonction. Il est impossible d’éduquer de la même manière les enfants de la population chrétienne et ceux des populations musulmanes. Transmettant un héritage, l’école devait être rattachée à une tradition où chacun puisse se reconnaître. La laïcité, déjà inapte à jouer ce rôle auprès des jeunes Français de souche, le pouvait encore moins auprès des enfants élevés dans le respect du Coran. La laïcité républicaine était identifiée comme un important facteur de blocage, comme le révéla en 1989 l’« affaire des foulards ».

Second axe, la lutte contre la délinquance. Cette masse prolétarisée de marginaux apatrides, incontrôlables car échappant à toute stratification sociale, sombrait dans la délinquance des bandes pseudo-ethniques. Voilà pourquoi, « avant de songer à intégrer les Beurs, il est essentiel de les réinsérer dans un tissu communautaire digne de ce nom. Tant pis s’il est, par la force des choses, particulariste et confessionnel. Du moins dans un premier temps. » Ce qui est impossible pour un régime démocratique dont l’égalitarisme de principe exige une homogénéité à la base. Il en irait différemment dans une logique monarchique car elle « suppose, au contraire, une nation « corporée » : la citoyenneté n’y est pas conçue comme un déterminisme individuel mais comme une forme d’allégeance collective. »

Le caractère innovant de cette position résidait dans sa conception d’une intégration en deux phases : « Dans un premier temps, on réinsère l’individu au sein d’un groupe structuré, capable d’assurer à tous les niveaux son encadrement social ; ensuite seulement, on impose au groupe l’indispensable soumission au bien commun et le respect d’une discipline nationale très stricte. » Une intégration assurée à travers les groupes communautaires, et une soumission/adhésion aux normes nationales progressivement effectuée.

Cette orientation, très novatrice chez les nationaux, fut déformée et instrumentalisée contre le Front National par une certaine presse[6] qui prétendit que l’intégration maurrassienne favorisait la naturalisation systématique des immigrés. Pour dissiper tout malentendu, la « vieille maison » publia un large dossier sur la « véritable politique de l’immigration » par le « traitement communautaire », s’opposant à la fois au modèle assimilationniste des « néo-républicains » et au projet d’inclusion des multiculturalistes. Dans cette perspective, elle retrouvait sa source corporatiste[7] des années 1930 et s’appuyait à front renversé sur la théorie maurrassienne des « États ».

Le fédéraliste Nicolas Portier[8] réfuta l’assimilationnisme revisité des « néo-républicains », bricolé derrière Régis Debray[9]. Cette assimilation par un creuset « républicain » fantasmé ne pouvait aboutir qu’à un entre-deux culturel : étrangers à la culture de la terre d’accueil, les émigrés/immigrés se verraient également coupés de leur propre culture, au point de perdre tout espoir de retour au pays d’origine. Les néo-républicains ne voyaient pas que seule l’appartenance à des groupes primaires – professionnels, associatifs, familiaux ou de voisinage – permettrait de soutenir leur effort d’intégration à la société d’accueil.

Très sensibilisé aux malheurs des enfants de harkis, c’est un pied-noir de souche, François Favigny, qui s’est attelé à décrire l’articulation de communautés territorialisées, auto-organisées, dont les liens de solidarité serviraient de socle à une intégration « par le haut » de ceux qui y aspiraient le plus fortement : « la volonté de fusion dans l’ensemble national s’exprimerait ainsi davantage que le simple attrait d’un appât économique. » Favigny avait retenu la leçon de Pierre Pujo affirmant que « depuis l’Océan Indien, les Mahorais nous donnent un exemple de sagesse politique »[10]. Fin connaisseur de la critique de l’antiracisme par Pierre-André Taguieff et de la promotion de l’ethno-différentialisme par Alain de Benoist, Favigny expliquait que « le traitement communautaire de l’immigration ne vise pas tant à bétonner les différentes communautés, à enfermer chacun dans son groupe primaire et à l’assigner à sa différence en présentant les cultures comme des espaces clos sans communicabilité entre eux, qu’à préserver le capital aussi bien social que culturel dont disposent les immigrés et qui leur sera nécessaire aussi bien pour retourner au pays que pour tenter le pari de l’intégration. » Aussi la « vieille maison » posait-elle l’alternative retour ou intégration. Comme le précisait Favigny, « il ne s’agit pas d’absolutiser la différence ni la culture d’origine des immigrés. Toute trajectoire individuelle doit rester possible. Mais les immigrés, dans leur plus grand nombre, ont besoin de trouver des repères, des solidarités, des traditions, une chaleur humaine, que le regroupement communautaire est le mieux à même de procurer. Il faut donc laisser agir, voire appuyer, les mécanismes de regroupement et d’auto-organisation des communautés, et non tenter de diffuser l’immigration sur tout le territoire. »[11]

Philippe Lallement,

à suivre la semaine prochaine dans : 7 – Une ligne de crête instable et menacée

Pour voir les articles précédents :

1/11 – La laïcité comme nœud gordien

2/11 – Quatre générations actives, porteuse de solutions originales

3/11 – 1930 – La dernière époque coloniale

4/11 – 1960 – La décolonisation

5/11 – 1990 – l’Immigration entre communautarisme et assimilation


[1] Par exemple « Regard sur l’âge beur » d’Éric Letty, « La lutte des jeunes » (Feu Follet n°2, 1988), ou « La force du préjugé : le marécage de l’antiracisme » de Nicolas Portier (Feu Follet n°3, 1989) ou « Sensibilisation antiraciste » de Jean-Christophe Buisson, et « Le piège de la laïcité » de Nicolas Kessler (Feu Follet n°7, 1990).

[2] Lire l’étude de Pierre Pujo, Mayotte la française, France-Empire, 1993.

[3] Pierre Pujo, « Non au vote des étrangers », Aspects de la France, 27.6.1991. Il appuie aussi la parution de la brochure du professeur Roger Tebib Les dieux assiègent l’École, traitant du phénomène de l’islamisation.

[4] Nicolas Kessler, « Débat » et aussi « Intégration ou assimilation ? », Aspects de la France, 27.6.1991.

[5] Nicolas Kessler, « Les méfaits de l’étatisme » et Sébastien Lapaque, « Le mal de vivre de la jeunesse française », la Revue universelle, 3e série, n°160, janvier 1991. (N. Kessler était alors secrétaire de rédaction de la revue).

[6] Le Figaro Magazine, « Maurras, Dahmani, même combat », article de Martin Peltier.

[7] Voir l’étude de référence : Nicolas Portier, « La tentation néo-corporatiste », la Revue universelle, 3e série, n°162, mai-juin 1991.

[8] Nicolas Portier, « La panne du modèle assimilateur », Aspects de la France, 25.7.1991.

[9] Régis Debray et Raoul Girardet, « Table ronde sur la France », Valeurs actuelles, 21.5.1990.

[10] Pierre Pujo, «  Unité nationale en question  », la Revue universelle, 3e série, n°161, mars 1991.

[11] François Favigny, « Pour un traitement communautaire de l’immigration », Aspects de la France, 25.7.1991.