Fallait-il parler aussitôt ? Nous ne l’avons pas pensé. Parce que le martyre du colonel Beltrame méritait mieux qu’une réaction à chaud, nécessairement politique, au sens le moins noble du terme, ou pire, purement émotionnelle. Il fallait aussi laisser passer l’hommage national, et le discours présidentiel, et ne pas juger celui-ci sur le moment, après l’avoir simplement écouté, sans l’avoir lu.
L’exigence du pays réel
Emmanuel Macron a senti que le pays réel ne supporterait plus un nouveau mensonge par omission, celui qui consiste à ne pas nommer l’ennemi. Il s’est ressaisi entre vendredi, jour du sacrifice, et mercredi, jour de l’hommage national. Nous n’avons donc rien à regretter de notre communiqué. S’il y a eu une rupture, du moins du côté de l’exécutif, c’est bien dans cette décision de nommer le mal, et de répéter son nom, l’islamisme, la barbarie du XXIe siècle. Oui, Emmanuel Macron a nommé clairement l’ennemi, sans accompagner cette désignation de ce bêlement hollandais sur le padamalgam. Une autre rupture, aussi, que tous ont indiquée : l’exécutif est sorti de la logique victimaire et faussement héroïque « du même pas peur ! » devenue indécente devant la dépouille du colonel Beltrame, pour la logique du sacrifice et du dépassement de soi. En évoquant les noms des plus grandes figures de l’histoire nationale, royauté et république réunies, et en invoquant leurs mânes, sa parole a su se hisser au niveau de la nation dans sa continuité millénaire. Il a su aussi définitivement rappeler que nous sommes en guerre, que l’ennemi est au cœur de la cité et qu’il convient de le combattre. Les armes à la main.
En donnant comme modèle à la jeunesse de France ce héros du XXIe siècle, à la suite de Jean Moulin ou de Pierre Brossolette, des martyrs du Vercors ou « des ombres chevaleresques des cavaliers de Reims et de Patay, des héros anonymes de Verdun et des Justes, des compagnons de Jeanne et de ceux de Kieffer — enfin, de toutes ces femmes et de tous ces hommes qui, un jour, avaient décidé que la France, la liberté française, la fraternité française ne survivraient qu’au prix de leur vie, et que cela en valait la peine », il a renoué avec les récits fondateurs non pas de notre roman, mais de notre récit national à travers les âges. Le paradoxe, peut-être, est qu’il n’ait pas fait explicitement référence à la foi du colonel, contrairement à Mélenchon, à l’Assemblée. Ont-ils parlé à front renversé ? Qu’importe. La laïcité est un carcan, voire un boulet. Macron a déjà été critiqué pour avoir donné des gages aux « religions », même s’il s’agit manifestement d’un faux semblant comme le montrent les prétendus débats de la société civile sur les futures réformes sociétales. Aujourd’hui, seuls les anticléricaux revendiqués semblent avoir le droit de parler de foi dans l’espace public. Macron a toutefois évoqué « le ressort intime de cette transcendance qui […] portait » le colonel. « Là était cette grandeur qui a sidéré la France.». Le mot vaudrait, en ce sens, pour Jeanne, nous l’avons vu, également évoquée, invoquée…
Paradoxes
Pourtant, Macron et le colonel Beltrame n’auraient jamais dû se rencontrer. Il a d’ailleurs fallu la mort du second pour que le premier croise son chemin, ou plutôt sa dépouille, et sa mémoire déjà auréolée. Tout les opposait. Ce n’est pas le moindre paradoxe. Car celui qui a fait un éloge sans fausse note du martyr Beltrame est celui qui, en même temps, incarne toutes les valeurs qui sont contraires aux principes qui animaient le soldat. Le mondialisme contre le patriotisme — Macron a fait gommer les mots France et nation du manifeste d’En Marche au profit de la seule Europe —, Davos contre l’abnégation, l’éloge des startuper contre le don, absolument gratuit, de soi. Le colonel Beltrame n’a pas non plus cherché à savoir si la femme dont il prenait la place était une gagnante ou, au contraire, faisait partie de ces gens « qui ne sont rien » : elle était là et elle était otage, cela lui a suffi. Il n’y a deux humanités que pour ceux que Bernanos appelaient les petits mufles réalistes.
Parler de cynisme ne serait pas à la hauteur de la situation. Chacun a sa fêlure, par laquelle le meilleur peut se frayer un chemin. Les catholiques croient aussi à la réversibilité des mérites. Quoi qu’il en soit, Macron a peut-être sinon appris, du moins senti l’autre jour, dans la cour des Invalides, qu’il existait d’autres valeurs que la compétition et la réussite matérielle et d’autre méthode que la division des Français pour régner. Et qu’avoir pour ambition de « devenir Beltrame », c’est autre chose, pour un jeune, que celle de devenir milliardaire. L’avenir seul dira si ce sacrifice a su, aussi, le hisser à la hauteur de la fonction régalienne qu’il occupe par le hasard des urnes.
François Marcilhac