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Identité nationale et droits de l’homme : droit, individu et identité (partie 3)

Par Henri Temple

OPINION. Comment le droit a- t-il historiquement cimenté l’identité individuelle et le sentiment d’appartenance nationale ? Dans cette réflexion en quatre parties, Henri Temple s’interroge sur la place de l’identité nationale dans notre monde globalisé.

Le Droit a pour finalité d’empêcher le désordre social et la souffrance individuelle. Cela concerne donc aussi la souffrance identitaire et nationale. Le Droit tient compte du réel et donc, à ce titre, du besoin, collectif ou individuel, de nation : c’est l’équilibre intime de la personne, autant que l’édifice national, et même l’architecture de l’humanité qui sont en cause. Le Droit intervient donc pour protéger l’homme, son identité et l’identité de son peuple : ce sont les Droits de l’Homme et des Peuples. Même si les droits des hommes sont connus depuis longtemps, sans pour autant être bien analysés, les  »droits de l’homme » n’ont été systématisés juridiquement que récemment, de la fin du XVIIIe au XXe siècle.

Pourtant, il a existé, et il existe encore, des systèmes antidémocratiques (et leurs médiocres épigones hexagonaux) qui contestent les droits à l’identité nationale, nient les droits des nations et même les faits nationaux, y compris en France ! Historiquement, cela s’est traduit par l’impérialisme, idéologiquement par l’internationalisme, économiquement par le mondialisme.

De l’impérialisme

L’impérialisme, strictement guerrier et politique, dont Rome fut une des plus grandes illustrations, inspira l’Allemagne, l’Angleterre, l’Autriche, la Chine, ou encore la Russie. L’impérialisme a pour but initial de créer un empire par l’invasion d’un territoire, la destruction, la soumission ou l’association des peuples englobés. L’impérialisme a été le moteur de la course aux colonisations par les nations européennes, que la machine à vapeur décupla aux XIXe siècle. Et de la ruée vers l’ouest américain. On observe que les génocides, summum de haine, ont rarement eu des motivations nationalistes mais plutôt impérialistes, coloniales ou post coloniales, motivées par : l’ethnie (Tziganes, Tutsis), la classe sociale (génocides par les communistes), la conquête coloniale (Guanches, Amérindiens, Héréros de Namibie), la religion (Juifs, Arméniens ; sans oublier des guerres intra-européennes, quasi génocides religieux : Occitanie, Écosse, Irlande, Vendée…).

La théorie politique allemande du pangermanisme, et surtout la notion  »d’espace vital » (ce lebensraum racial des nazis), trouve un parallèle dans le pantouranisme, du Grand Turc à l’AKP. Dans la doctrine islamique du droit international (car l’Islam se dit nation), l’immigration de masse en terre non-islamique fait de ces territoires temporairement non pas un dar al harb (pays de la guerre), par opposition au dar al islam (pays de la paix), mais un dar al sulh ou aussi dar al ahd (pays de trêve; la France en ferait partie, selon la majorité des 50% de traditionalistes et, a fortiori, pour la minorité salafiste). Selon Al Mâwardi le dar al sulh devient insensiblement un pays occupé sans combat, parfois dénommé aussi pays de prédication (dar ad-da’wa, ce qui justifie de s’y déplacer) susceptible de se voir, à terme, imposer la charia par un argument suprématiste, non pas racial mais religieux.(H.T….id. nat. n. 39). Car  »tout homme naît musulman et il est légitime de conquérir les peuples relaps et rebelles »…

De l’internationalisme

L’internationalisme, lui, développe un projet similaire mais dont les fondements allégués sont très différents : il s’agit d’unifier l’Humanité sans tenir compte des nations, supposées dépassées, dans un cadre plus vaste, post-national ; et il y a un internationalisme universaliste promu par les religions messianiques qui ne nient pas les nations et leurs droits, mais pensent qu’elles doivent être transcendées et rapprochées par la foi.

Impérialisme, internationalisme et mondialisme (d’extrême gauche comme ultra-capitaliste) : tous veulent abolir les nations et les remplacer par un ordre post national, qui certes diffère pour chaque système. Cette question est désormais  primordiale : en effet, en 1910, il y a un siècle, la planète Terre ne comptait guère plus d’un milliard d’habitants. En 2022, elle en dénombre plus de huit, et on en annonce 15 milliards pour la fin du siècle. Est-ce possible ? Souhaitable ? Comment organiser une telle Humanité ? Au XXe siècle, il y eut six génocides, et le XXIe siècle est confronté à des phénomènes sans précédent de misère et de ploutocratie, de migrations de masse, d’épuisement des ressources naturelles (eau, air, mer, terre, sous-sol, forêt), de pollution, de gigantisme urbain, de réchauffement climatique…Et tous ces phénomènes sont directement liés à cette surpopulation.

 L’Homme sait marcher sur la Lune, mais il ne s’avance qu’avec crainte dans les  »quartiers sensibles ». Il sait disséquer le génome, scinder l’atome, mais ne sait pas rassembler les êtres…L’organisation politique et économique de l’espace habitable, ainsi divisé par huit en un siècle, est le principal problème du XXIe siècle, et on ne s’occupe pas vraiment. La question des nations est au cœur de ce problème. Faut-il les abaisser devant les organismes supranationaux ? Faut-il les dépasser, comme le suggèrent Edgar Morin et Jürgen Habermas ? (H.T… id.nat…n.41 ). Ou faut-il les protéger, en faire le cadre de nos échanges mondiaux, un  » concert de nations » égales ? Nous pensons que la nation est – et doit demeurer – le point de rencontre des droits universels de l’homme et des peuples, et des affects nationaux. C’est bien là ce qui donne sa pertinence et sa force à l’édifice national, brique de l’Humanité.

Il est donc heureux et important que les Nations-Unies affirment, comme droits collectifs de l’homme, les droits des nations et des peuples, clef de voûte de l’édifice mondial et de la paix.

Les caractéristiques juridiques communes des droits de l’homme

On enseigne à la faculté que les droits de l’Homme sont universels, inaliénables et imprescriptibles, interdépendants et indivisibles, obligatoires (DUDH). On renverra à nos précédents travaux sur la technique juridique relative à cette question.(HT…id.nat…p.148). Sur le caractère obligatoire : « Les États doivent prendre des mesures pour faciliter les droits fondamentaux » (par referendum ?). « Exercer [nos] droits », certes, « mais aussi respecter les droits des autres»(www.un.org/fr/rights/). Saurait-on mieux dire ? Oui, en comblant une énorme lacune par la claire expression que les droits des peuples sont bien des droits de l’homme collectifs, les plus puissants qui soient, au dessus des droits individuels de l’homme tout en y étant liés. Car bien des malheurs de l’humanité sont venus de l’ignorance et du viol des droits de l’homme collectifs et des identités nationales : ainsi, par exemple, l’agressivité nationaliste d’une nation contre une autre, cas répétés et sanglants de l’histoire du monde. La négation officielle de la réalité des peuples et de leurs désirs d’identité qui caractérise les seconds accords  »Sykes/Picot », puis le Traité de Versailles, la conférence de San Remo, le Traité de Sèvres (1920), sont, encore, un siècle plus tard, la cause principale des guerres en Ukraine, Syrie, Irak, Turquie, Kurdistan, Arménie…En démembrant les systèmes impérialistes allemand, austro-hongrois, ottoman, fauteurs des guerres passées, la France et l’Angleterre n’ont pas su penser la paix future en la fondant sur les aspirations des peuples (cf.Jacques Bainville, Les conséquences politiques de la paix, 1920). On peut penser que les traités de Maastricht et de Lisbonne (UE), ou de Marrakech (OMC) ont commis la même erreur, en niant les fonctions vitales des nations. Et il demeure encore des invasions et des dominations qui relèvent de pratiques policières et militaires, renvoyant l’humanité aux siècles passés : Tibet, Sin-Kiang, Taïwan, Chypre, Darfour, Kurdistan (cf.H.T…id.nat...n.45) en attentant à l’identité et aux libertés nationales, ces droits humains fondamentaux.

L’identité nationale comme droits de l’homme individuels

Les liens intimes, intenses et profonds, entre l’identité de l’être et l’identité de son groupe national ont fait l’objet, depuis Tönnies et Durkheim aux neuroscientifiques du xxie siècle, de travaux de recherche de plus en plus fins et pénétrants. Un tournant scientifique, peut-être décisif, a été pris après le traumatisme de la deuxième guerre mondiale. Des chercheurs – dont certains étaient issus de familles juives – se sont penchés sur les rapports entre la psychologie des personnes et leur appartenance sociologique : le mystère de la construction du Moi par le Nous. Le déracinement, l’acculturation, la  »crise d’identité » notion très utilisée en psychopédagogie (Erikson, Enfance et société,1950), les conditions de la  »résilience » après les traumas affectifs de l’enfance, liés en l’occurrence au sentiment que l’on a de son identité intime (Cyrulnik, Les nourritures affectives), posent les questions de l’élaboration de la conscience, de la compréhension, de l’estime du Soi. L’affect national est un des élément centraux de l’intime et peut aussi, s’il est défaillant, comporter des stigmates, des éléments dé-constructeurs. L’archétype national, sa codification sociologique, qualifie autant qu’il peut disqualifier sentimentalement en creusant des fossés au sein d’une population territorialisée mais hétérogène :minorités religieuses, ethniques, sociales, physiologiques (Goffman, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps,1963). Cette grande et nouvellement comprise osmose entre sociologie et psychologie a bénéficié des travaux de Tajfel et Turner (Social psychology of intergroup relations, 1979) sur l’interrelation psychosociologique, qui ont fait évoluer l’approche de ces phénomènes profonds de sentiments d’appartenance (dont le sentiment national) ou d’exclusion, de l’imprécation politico-magique vers la réflexion scientifique.

Si, comme l’avait déjà perçu Benda (cf.-H.T…id.nat...n.28) la cohésion nationale suppose bien une double pulsion de regroupement des semblables et de distanciation des dissemblables, comment le Droit pourrait-il ignorer ces flux affectifs aussi puissants sans tenter de les protéger, s’il y a lieu, ou de les maîtriser si nécessaire ? Dans ces deux cas pour empêcher l’apparition des sentiments de souffrance : des sujets traumatisés dans leur amour national ; ou des victimes de la haine nationaliste. Souffrir dans le principe de son rattachement national peut générer un conflit affectif complexe, profond, injuste, dangereux, tant pour la personne que pour l’ensemble du groupe. Le Droit a compris et pris en compte les drames du xxe siècle et tenté d’empêcher désordres et souffrances.

1 – Le Droit à une nation : Le Droit pour tout être humain d’avoir une nation qui l’accueille et lui confère des droits, est affirmé par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (article 15). Ce grand texte  rappelle que tout homme a droit à une nationalité, ce qui évite les situations d’apatridie, et protège – s’il en est tout de même – les apatrides par un statut propre. En effet, l’apatridie est non seulement une anomalie au point de vue matériel et administratif, mais aussi une souffrance au plan affectif : « qui suis-je – pense l’apatride – si mon pays d’origine me rejette ? Où vais-je aller, que vais-je devenir ? » Et pour les pays qui accueillent, les apatrides sont un lourd fardeau financier et sociologique.

2 – Le droit à émigrer : C’est un droit inverse du précédent mais une situation moins douloureuse, quoique le sentiment de frustration puisse s’éveiller, s’intensifier et s’accumuler bien plus tard : « je veux quitter mon pays pour une vie (rêvée) meilleure, ailleurs » – croit le candidat migrant – qui sous estime la souffrance qui en résultera (Omar Ba, N’émigrez  pas ! L’Europe est un mythe). Ce droit implique même parfois de renoncer à sa nationalité d’origine. C’est le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations-Unies (H.T…id.nat…n.52) mais aussi la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 13) qui proclament ce droit à émigrer. Mais le droit de quitter son pays et, d’ailleurs, celui d’y revenir, n’est nullement le droit d’immigrer qui, lui, n’existe pas et n’est proclamé par aucun texte fondamental alors qu’il est l’objet d’une réclamation constante de la part de certains groupes de pression. Les discours ambiants semblent incapables d’effectuer les distinctions élémentaires entre : migrants, émigrants, émigrés, immigrants, immigrés, immigrés naturalisés, personnes issues de l’immigration…Au demeurant, entrer dans un pays en fraude, ou s’y maintenir en fraude, non seulement est contraire au droit positif, aux droits des peuples, et n’est bien sûr pas validé par un hypothétique et inexistant droit à l’immigration, mais encore constitue une infraction administrative, et même une peine de 3 ans  prison  (H.T…i. n...53). La règle existe aussi dans les jeunes pays d’Afrique, dont les règles sont nettement plus fermes (H.T…i.n...54). En effet, les sociétés africaines modernes ont en mémoire  le passé et la culture traditionnelle où les villages, arc boutés sur la survie du groupe, avaient – et ont encore – des réactions collectives brusques contre l’ingérence d’allochtones. La rue africaine ou asiatique, qui est prompte à appréhender un voleur, connaît couramment des mouvements de foule anti étrangers. Les conflits inter ethniques internes étant possibles et fréquents , il faut  éviter autant que possible les causes de conflits avec des étrangers en situation, régulière ou pas ( Afrique du sud, Cameroun, Côte d’Ivoire, Mali, Nigeria, Soudan du sud,  ex-Zaïre etc…)

3 – Le droit d’asile :Complètement différente est la situation de l’étranger qui entre sur un territoire autre que le sien parce que sa vie, sa sécurité, sa santé, sa liberté, ses biens et ceux de sa famille, sont menacés en raison de son appartenance sociologique, politique, ethnique ou religieuse. Le sentiment national du réfugié est heurté, voire anéanti, par la peur, la souffrance ou le danger qu’il subit dans sa nation d’origine en raison de la situation politique ou religieuse, voire de la guerre civile. Le droit d’asile, obéit à un régime très différent des règles d’immigration : il est garanti par la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH, 1948, art.13), et il est réaffirmé tant par la Charte des droits fondamentaux que par la Convention européenne des droits de l’homme, et en Afrique, par la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples (H.T…id. nat…n.56). Mais ce droit coûte désormais 2 milliards par an à la France (Cour des Comptes, cf.H.T. …id…nat…n. 57), sans parler de l’effet d’aspiration.

4 – Le droit de parler de sa nation, la liberté d’expression sur la vérité sociologique de la nation : Ce droit de l’homme n’est pas encore complètement reconnu. Pourtant évoquer sa nation est indissociable des droits de l’homme collectifs, tels que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de maîtriser leur développement social et culturel, de préserver leur existence. Sous les régimes oppressifs, le seul fait de prononcer le nom d’une nationalité a pu être, et est encore parfois, passible de poursuites pénales. Des mots comme Érythrée ou Pologne, Kurdistan, voire Italie sous le joug autrichien, ont été longtemps proscrits et, aujourd’hui encore, certains régimes refusent que soient utilisés les termes de Palestine, Pount, Tibet, Sahara, Azawad, ou Turkestan oriental (le  »Sin Kiang »).  Cette chape de plomb ne concerne pas que les zones exotiques de la planète, puisque, en France, au cours de l’année 2010, et quelles que soient les réserves que l’on puisse avoir sur les objectifs politiques du gouvernement, ou sur la façon dont la discussion a été posée et organisée, le  »débat sur l’identité nationale » a été considéré comme un sujet tabou, voire  »nauséabond »,  »moisi » (sic ! cf. H.T...id. nat…n.59) par toute une série de groupes politiques, philosophiques, de médias, d’intellectuels et même des artistes ou des sportifs confondant compétence et notoriété.  Il est inquiétant, pour la démocratie et la science, que l’on puisse remplacer l’analyse et le débat d’idées par l’invective ou l’intimidation. On est donc passé d’un extrême à l’autre, et la liberté d’expression souffre cruellement d’un empilement de dispositions légales supposées endiguer le  »politiquement incorrect ».


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