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L’Editorial de François Marcilhac

LA FRANCE ET LE CONFLIT UKRAINIEN (I)

MACRON « CHEF DE GUERRE » : L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE CONFISQUÉE ?

Poutine va-t-il offrir à Macron sa réélection sur un plateau ? La question pourrait sembler incongrue, voire inconvenante à l’heure où les forces russes poursuivent leur progression en Ukraine. Toutefois, même si le dirigeant russe n’a évidemment pas pris en considération ce critère pour déclencher ses opérations militaires, les premiers sondages post-offensive le montrent, l’hôte du Kremlin est aujourd’hui le meilleur allié politique de celui de l’Élysée. Ses adversaires se plaignaient de son refus d’entrer en campagne : c’est désormais chose faite. Il est devenu candidat à temps plein dans la nuit du 23 au 24 février.

En prenant le relai du covid, dont les effets sur l’opinion commençaient à s’essouffler, l’invasion de l’Ukraine permet à Macron de continuer à gouverner par la peur. Et de poursuivre, à un rythme soutenu, cette fois justifiés par une vraie guerre, ses fameux conseils de défense dont il avait entamé la tenue pour soutenir la guerre, métaphorique elle, contre la pandémie. Manifestement, les Français n’en sont pas lassés. Non, notre question initiale n’a rien d’inconvenant, tout simplement parce que le choix du dirigeant d’une puissance nucléaire membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU n’a rien d’anecdotique. C’est ce que n’ignorent pas les autres candidats à l’élection présidentielle. C’est ce que Macron sait par-dessus tout, qui multiplie les initiatives en tant que Président de la République afin d’être candidat à plein temps, même lorsqu’il dort, serait-on tenté de dire. Conseils de défense jusqu’à plus soif, message aux armées, initiatives « européennes », débat au Parlement en présence du premier ministre, jusqu’à cette apparition minutée à l’inauguration, samedi, du Salon de l’agriculture, comme si, en restant un peu plus longtemps, il aurait pris le risque d’une inversion de l’orbite terrestre : Macron fait tout pour convaincre des Français, puisque la guerre est « sur notre sol » — nous y reviendrons — du caractère indispensable à la paix européenne et mondiale de sa présence à la tête de l’Etat, avec pour objectif de confisquer l’élection présidentielle.

MACRON-POUTINE : LE MALENTENDU INITIAL

Nous ne ferons pas de psychologie de café du commerce. Et condamnons ceux qui croient avoir tenu des propos définitifs en qualifiant Biden de « gâteux » ou Poutine de « psychopathe » ou de « paranoïaque ». Tout cela n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Il faut toutefois prendre en considération l’immaturité, au sens politique, du chef de l’Etat, qui n’est aussi bon, du moins n’est autant lui-même, que lorsqu’il peut surjouer son personnage. Après l’affaire Pierre de Villiers, tout le monde, les militaires en premier, avaient souri en le voyant paraître déguisé en soldat, comme un enfant qui aurait revêtu sa panoplie découverte au pied du sapin de Noël. Aujourd’hui, souhaitons que le peuple français n’ait pas à éprouver la mise en garde de l’Ecclésiaste : « Malheur à toi, terre dont le roi est un enfant »… Car Poutine lui donne aujourd’hui l’occasion de jouer, et de surjouer le chef de guerre et il ne s’en prive pas. Il s’en prive d’autant moins qu’il a une revanche à prendre sur le maître du Kremlin pour faire oublier son humiliation, non pas tant comme président de la République française que comme président du Conseil de l’Union européenne, mais c’est le principal à ses yeux. Car c’est là que surgit le malentendu. Macron considère comme essentiel ce qui n’est que secondaire, voire qu’anecdotique aux yeux de Poutine ; ç’est investi de la dimension de président du Conseil de l’UE — une fonction sans consistance, ce que sait fort bien Poutine — qu’il s’est présenté à Poutine, quand celui-ci ne reconnaît pour pairs que des chefs d’Etat, comme lui. Or celui qui est venu le visiter, et qu’il a accueilli si froidement, ce n’était ni le successeur du roi de France Henri Ier, qui épousa en 1051 la princesse de la Rus’ Anne de Kiev ; ni le successeur du jeune Louis XV recevant en 1717 Pierre le Grand à Versailles ; ni même celui de Napoléon testant en 1812 la Russie jusqu’à Moscou ; ni, enfin, celui du général de Gaulle, lequel n’omettait jamais de rappeler qu’à ses yeux, par-delà l’empire communiste (et sa dimension idéologique), continuait d’exister la Russie qu’il persistait à appeler ainsi à Moscou, devant les dirigeants soviétiques eux-mêmes. Non, celui que Poutine a accueilli n’était que le secrétaire pour six mois de l’agenda européen, c’est-à-dire rien, ou presque. Et il le lui signifia.

LE PETIT TÉLÉGRAPHISTE DE WASHINGTON

Macron ne l’a pas compris et nous ne saurions nous en réjouir, même si nous n’en avons pas été étonné. Mais que pouvait faire Poutine du représentant en titre d’une institution qui, à la fois, est inféodée à une alliance atlantique qui le désigne comme ennemi congénital, et n’est pas elle-même une puissance souveraine ? Car l’immaturité (politique) de Macron s’exprime dans cette volonté explicite de prendre son « rêve européen » — le mot est de lui — pour la réalité, ce qui le rend prêt à abandonner une souveraineté réelle, même si elle est à restaurer, celle de la France, pour une souveraineté fantasmée, celle d’une Europe qui n’est, pourtant, jamais aussi unie, puissante et « souveraine » que lorsqu’elle se soumet aux Américains. On l’a vu à la fin du siècle dernier, lorsque, à la demande des Etats-Unis et de l’Allemagne, elle a agressé la Yougoslavie dans le cadre de l’OTAN. Sa médiation ne pouvait réussir, pour la simple raison que Macron, contrairement au général de Gaulle, n’avait aucune voie originale à proposer à Poutine. Du reste, qu’est-ce que Macron, humiliant à la fois la France et l’Europe, et oubliant les accords de Minsk parrainés par la France et l’Allemagne mais que l’Ukraine n’a jamais respectés, qu’est-ce que Macron, donc, proposa à Poutine ? De rencontrer Biden ! Il mettait ainsi hors-jeu et la France et l’ « Europe ». Oui, Macron avait discrédité aux yeux de Poutine la diplomatie française, ainsi fondue dans une diplomatie européenne inexistante, puisqu’elle revenait à faire du « président du Conseil de l’Union européenne » le petit télégraphiste de Washington.

« QUOI QU’IL EN COÛTE »

La seule chose que nous ayons à craindre, en politique intérieure française, c’est que Macron n’applique le « quoi qu’il en coûte » à sa propre réélection, non seulement en termes diplomatiques et militaires, mais aussi en termes économiques. Et notre crainte est confirmée lorsqu’on entend les propos imbéciles tenus le 1er mars par le ministre Bruno Le Maire qui, évoquant les sanctions économiques et financières contre la Russie prises par l’Europe, proclame : « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe. » Propos qui rappellent fâcheusement ceux du secrétaire d’Etat de George Bush père, James Baker, qui avait promis, en son temps, que les Américains allaient ramener les Irakiens « à l’âge de pierre ». Mais on le sait, le « camp occidental » peut tout se permettre, notamment piétiner ses sacro-saintes valeurs, puisqu’il incarne le camp du Bien. Il peut même, au passage, se tirer une balle dans le pied car, chacun le sait, ces sanctions ne sauront pas sans répercussion à court et à moyen terme sur nos propres économies… Mais le second tour de l’élection présidentielle est dans moins de deux mois et le Gouvernement compte bien continuer de sortir le chéquier jusqu’aux législatives, pour adoucir (provisoirement) la douloureuse que les Français auront, de toute façon, à payer un jour ou l’autre. D’ici là, le candidat « chef de guerre-président de l’UE » aura assuré sa réélection, en jouant sur sa légitimité institutionnelle, une peur méthodiquement entretenue faisant accepter aux Français la confiscation de l’élection présidentielle. La peur, encore la peur, toujours la peur…

(à suivre)