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L’Homme dans l’Urbanisme

Par Frédéric Winkler

« Nous sommes entrés dans un hiver où l’on construit des maisons sans cheminée, des villages sans jardins, des nations sans passé » (Jean Mabire, Les solstices : Histoire et actualité). Quels sont nos désirs, tout simplement une architecture comme un urbanisme qui nous plaise aujourd’hui et maintenant, voir la recherche d’une harmonie, de la beauté même. Lorsque l’on vit dans une cité historique, devant un château, un manoir, de vieilles bâtisses de maîtres d’ouvrage, devant une cathédrale, un lavoir même, on se sent bien. Alors que devant une tour HLM, c’est le désespoir, le mal-être, le stress comme l’envie de fuir. C’est une sorte d’horizon fermé à toute évasion, à toute musique, à cette sorte de poésie dont l’être humain a besoin et qui enrichies sa vie… Non seulement nous avons le désir de sortir de ce matérialisme mais l’envie forte de construire quelque chose dans lequel on aime vivre, voir grandir ses enfants, s’élever et s’accomplir, dans un espace qui de plus, serait un épanouissement écologique. Il manque un peu de pastel sur la toile de nos vies… La France déprime et une partie de sa masse active vit sous tranquillisants, sans aborder le problème alarmant des suicides (Agriculteurs : 1 tous les 2 jours), qui touchent toutes les catégories de la population, tant par tranche d’âge, de sexe, que par catégories professionnelles. Il faut pour construire les habitations « traditionnelles », plusieurs corps de métiers, lorsque l’on regarde la qualité des anciens logements ouvriers et ce que l’on peut trouver aujourd’hui, plus cher, on constate la perte de qualité de vie !!! 

Il nous suffit de comparer l’art des constructions de jadis, de la plus simple ruelle au château, en passant par les ports et usines, l’intérêt était porté à la plus petite chose, afin d’en réussir de grandes. Écoutons-le encore : «… nous ne sommes plus à l’époque des mécènes, ou de Louis XIV. Le banquier de la pierre ne pense qu’au rapport financier. En vertu de quoi le commanditaire rédige un chèque, non en fonction d’une théorie, mais d’un coût de fabrication. Si les théoriciens lui expliquent qu’on ne construit plus comme autrefois, parce que ça revient trop cher, il jubile, mais si on le persuade qu’on peut continuer à produire du beau à un bas prix de revient, il laissera tomber négligemment : « Faites pour le mieux, du moment que ça n’augmente pas mes coûts ». 
Jean Dutourd (Le fond et la forme, Tome III ) disait : « Cette raison qui préside à toutes vos créations ennuie les hommes. Ils voudraient des choses belles, joyeuses, saugrenues peut-être et certainement compliquées. Ils voudraient qu’on leur refît des maisons comme autrefois avec des rinceaux, des sculptures et des mascarons ; avec des greniers aussi et des coins inutiles ; des maisons à mystères, qu’ils découvriraient comme ils se découvrent eux-mêmes chaque jour. »

L’architecture et l’urbanisme contemporain ne sont pas le fruit du hasard, dit David Orbachmais liés à une politique donnée, fruit du système en place, et correspondent à la mentalité dominante et régnante grâce aux divers médias (entre autres) selon les anthropologues (voir l’architecture soviétique). Le libéralisme, doctrine du libre-échange comme de la libre circulation des biens voir des gens, des services et capitaux, donc du mondialisme, transforme les hommes en citoyens du monde, esclaves et consommateurs, évinçant les nations, tout en ruinant nos paysages comme notre économie. Ce monde devient un immense magasin-entreprise, un village planétaire où règne le terrible nomadisme des délocalisations, à la fois fleur et fruit de la misère ouvrière comme de la souffrance des hommes. Cette nouvelle industrialisation à l’échelle mondiale déporte les populations d’un bout à l’autre de la planète, comme des numéros interchangeables. Chacun doit pouvoir vivre n’importe où, au gré des besoins de « Big-brother » et du grand patronat apatride, conscient de sa puissance, avec une arrogance sans limite. Le bonheur d’hier résidait dans le bien octroyé autour de soi, de sa famille et de son métier, voir l’élévation spirituelle. Aujourd’hui, c’est chacun pour soi, cela réside dans la possession du dernier Iphone comme du bonheur par l’objet, écoutez la chanson de Goldman « Les choses », très explicite sur les dérives dans notre société… Le cosmopolitisme matérialiste manipule comme crée des besoins au gré des nouvelles technologies, suscités chez nous par la publicité, l’envie et l’intérêt. Les revues, journaux, livres et médias, aux ordres du pouvoir servent de courroies de transmission. Il est ainsi facile de montrer du doigt et de traiter de ringard ou réactionnaire, quand ce n’est pas pire, quiconque se refuse à entrer dans le moule. Le nomadisme et l’instabilité doivent devenir l’essence même, la fin économique des hommes, de tout pays, au service du libéralisme ou de ce qui se qualifie de tel. C’est le degré zéro, dit David Orbach de l’expression culturelle se voulant universelle, une construction intellectuelle abstraite, une véritable guerre contre les autres cultures, comme l’a bien compris l’anthropologue Claude Lévi-Strauss dès les années 1950. 

« Pourquoi s’obstiner à appeler une maison « maison » alors qu’on peut être plus compliqué ? Disons « unité d’habitation » et notre pou¬voir s’installe. Ce n’est pas une mai¬son, une unité d’habitation, c’est un morceau du vaste puzzle destiné à rendre la vie insupportable aux êtres humains… l’archétype de l’Eden que le potager de notre enfance, quand nous allions mordre directe¬ment dans les belles tomates rouges, la tonnelle reculée où l’on lutine une jeune personne, que la table du soir, en été, quand les mères s’assoupissent et les filles se réveillent, les balançoires et les balancelles ou l’herbe humide qui peint en vert les shorts blancs des jeunes personnes. Le parc est d’une nature plus libertine encore. Il évoque la fête galante, à la nuit tombée, quand on donne cinq minutes d’avance aux courtisanes à demi vêtues pour se cacher dans les futaies et qu’on repousse les torches que nous tendent les laquais. Le Parc-aux-Cerfs est rasé et repensé par un paysagiste. Cela donne un espace vert, dans lequel il y a aussi peu d’espace que de vert. La pelouse est ceinturée d’une gangue de béton. Surtout que le gazon ne s’échappe pas ! L’architecture moderne a imposé avec autant de force que d’esprit de suite sa dictature linguistique au théâtre… La famille était un foyer sans doute parce qu’elle se réunissait au¬tour. Mais voilà, il n’y a plus de foyer, plus de cheminées dans les logements neufs. Le chauffage central est pratique, certes, mais pour¬quoi ne pas l’avoir doublé d’une bonne vieille cheminée? Les fonctionnalistes ont la mémoire des plus courtes. Ne se souviennent-ils donc pas que nos lointains, mais présents, ancêtres se groupaient autour du feu pour défier la peur et la nuit? N’ont-ils donc pas compris qu’une cheminée ne sert pas qu’à chauffer, mais à réunir ? Les murs n’étaient pas couverts de hiéroglyphes comme c’est la mode aujourd’hui » (Alain Paucard). 

Comme pour les souvenirs, les restaurants, les boissons, les vêtements, les maisons entrent dans le concept mondialiste, construire la même chose ici et partout, sous n’importe quel climat : « l’apologie du camp de travail » (Paucard). Des modèles identiques aux quatre coins de la terre en sont les fruits alors que meurent les traditions populaires, costumes et chants que l’on désigne comme passéistes, un modèle unique doit être imposé, s’il le faut à coup de subsides comme de subventions, sortis de nos poches : « Le principe de l’immeuble d’habitation classique, c’est le brassage des classes. Rez-de-chaussée : les commerces. Entresol : les logements des commerçants. Deuxième et parfois troisième étage : beaux appartements. Au-dessus : classes moyennes, puis prolétariat et, sous les toits : gens de maison… le projet est autrement moins élitiste, moins méprisant pour le peuple que celui consistant à créer des logements ouvriers, spécifiquement prolétariens, à créer des ghettos pour pauvres » (A. Paucard). Aujourd’hui que sont devenus les quartiers populaires de Paris qu’évoquait encore Zola en son temps ? Nous devons « remercier » les Giscard-Chirac, d’avoir transformé une bonne partie des habitations en bureaux comme d’avoir « déporté Paris » dans les banlieues, c’était un choix que de tuer le Paris vivant, fini les « titis » parisiens. Regardez les vieux films afin d’imaginer la vie dense qu’il y avait encore il y a peu de temps. L’image de notre village par la pointe de son clocher montrait la foi de tout un peuple et, en tout cas, ses principales références, comme particularités essentielles, ses traditions. Alain Paucard met en scène les « arnaqueurs » et complices du monde décadent dans lequel nous nous enfonçons : « Madame Deslandes, coréalisatrice, avec son mari, de la « tour des jeunes mariés » de Cergy, construite « au début des années 70 » Cette tour bleue est toute ronde, parce que, nous dit madame Des¬landes : « le rond est une chose humaine, (…) on a plein de ronds dans le corps ». A aucun moment, les Deslandes ne se sont souciés du populo. Celui-ci n’avait qu’à se débrouiller avec des matelas, ronds, des fenêtres, rondes, des frigos de vingt litres (ça ne fait pas de provisions, les pauvres). Les auteurs de l’article soulignent que les Deslandes sont dégoûtés parce que, ayant visité des appartements occupés, ils y ont vu des buffets Henri II. Quelle horreur ! … Une maison, ce n’est pas seulement un toit au-dessus de quatre murs, c’est la reproduction, à une plus grande échelle, de son être intérieur. La ville possède la même symbolique que la maison… Elle est construite en fonction des mouvements du soleil, de la convergence des eaux et du vent, ainsi que des forces telluriques. Quel est l’architecte moder¬niste qui s’est occupé de cela ? Tracer une autoroute n’importe où est un viol, ni plus, ni moins. (A. Paucard, « Les Criminels du Béton »)