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Conservateurs et populistes

Par Philippe Germain

La restauration de 1873 – celle que les royalistes ne pouvaient pas rater – a donc échoué par l’affirmation du « principe » de Monarchie populaire. La branche Bourbon-Orléans va ensuite assumer la prétendance légitime et nous allons constater que ses Princes choisissent entre trois options :

  • l’affirmation du principe,
  • le conservatisme,
  • l’aventure.

Pour l’historien des droites Bertrand Joly, ces options impliquent plusieurs tactiques possibles et pas forcément contradictoires :

  • l’inaction pure et simple (à notre époque toujours en vogue chez les royalistes démocrates, les blancs d’Espagne et les survivantistes),
  • la politique du pire (jonction avec l’extrême gauche),
  • la conquête légale par les élections,
  • le coup d’état,
  • le recours à des auxiliaires.

            Avec la révolution de 1848, a commencé une longue période d’exil pour Philippe d’Orléans comte de Paris. Son fils aîné, Louis-Philippe Robert, est né en 1869 et a reçu le titre de duc d’Orléans. La chute du IIeme  Empire en 1870, leur permet de regagner la France. Le prétendant orléaniste sous le nom de Louis-Philippe II,  accepte en 1873, pour favoriser la restauration, de reconnaître le comte de Chambord comme chef de la maison de France.  Pourtant le bénéfice de cette fusion va être annulé par la divergence des doctrines. Par son option du « principe » sur le drapeau blanc, le comte de Chambord refuse de régner aux conditions de l’orléanisme.

            A la mort du comte de Chambord en 1883, le comte de Paris prend le nom de Philippe VII au lieu de Louis-Philippe II. C’est un choix politique fort d’une prétendance qui va durer 11 ans. Mais dix ans ont passé et la République est acclimatée sous l’action efficace des loges et des réseaux protestants. Ce qui n’empêche pas en 1884, un coup de force démocratique d’une révision constitutionnelle interdisant aux membres des familles ayant régné en France de se présenter à la présidence de la République. Au cas où…

            Pour les élections de 1885, les  « circonstances du moment » sont favorables à Philippe VII : Entrée en guerre contre la Chine, Républicains divisés entre Radicaux et Opportunistes, multiplication des grèves, montée d’un populisme de gauche antiparlementaire,  démission du président du conseil Jules Ferry sous les huées de la foule. En revanche les « possibilités de l’appareil » royaliste sont optimum car

Philippe VII a imposé un manifeste commun aux monarchistes et bonapartistes regroupés dans une « Union conservatrice ».  Le Prince engage une part importante de sa fortune personnelle dans la presse soutenant sa « stratégie parlementaire ». Il y est obligé car sinon la droite française a perdu toute chance dans le jeu électoral, depuis le krach de 1882 de l’Union Générale, banque de la bourgeoisie catholique et royaliste, provoqué par certaines imprudences qu’exploitèrent les banques protestantes et juives. En contrepartie, ce krach a réveillé le vieil anti-protestantisme catholique et a déclenché à droite l’émergence d’un antisémitisme social jusqu’alors inconnu.

            La campagne conservatrice a été très habile car elle a tactiquement répondu à « l’état d’esprit » du pays réel, craintif sur les expéditions coloniales et la crise économique. En conséquence la percée électorale des monarchistes est bien réelle et Clemenceau élabore alors la riposte de “ Défense républicaine ”. Puis en 1886, la République vote une nouvelle loi d’exil. Avec ce second coup de force démocratique, les Princes doivent rejoindre l’Angleterre et sont maintenant condamnés à la stratégie du coup d’Etat à l’occasion de chaque nouvelle « crise/Affaire » républicaine.

            La prochaine tentative peut être la bonne. Le populisme antiparlementaire de gauche s’étend maintenant à la droite patriote et se cristallise sur la personnalité du très républicain général Boulanger. L’agitation autour du « scandale » des décorations en 1887 (le jeune Maurras manifeste lors de l’émeute, place de la Concorde !) fait démissionner  le président de la République Jules Grévy. Boulanger remporte élections sur élections. Philippe VII va alors tenter une seconde stratégie de coup d’état mélangeant modèle de l’homme providentiel (Boulanger en Monk) et stratégie parlementaire intégrant le vote populiste. Il achète le général Boulanger grâce à l’argent du banquier Hirsh (la banque « juive »!) et celui de la duchesse d’Uzès (la vieille aristocratie). Le général s’est secrètement engagé à jouer le Monk. Cette tactique occulte repose sur un accord électoral tacite entre conservateurs et populistes aux élections de 1889.

            Pourtant le faible score Boulangiste détruit l’espoir de restauration. Philippe VII s’enferme dans la tristesse. Certains royalistes, pour faire connaître le dauphin l’amènent à rentrer illégalement en France y demander à effectuer son service militaire. Le duc d’Orléans est alors incarcéré en 1890 et en retire le surnom populaire de « Prince Gamelle ». Amnistié après quatre mois de captivité, il est reconduit à la frontière, mais le parti royaliste en sort renforcé.     

             Avec l’échec du coup avec Boulanger,  le pape Léon XIII décide de faire approuver la Constitution républicaine. En 1892, l’encyclique Au milieu des sollicitudes enjoint les catholiques français à se rallier au régime républicain. Ce « Ralliement » affaiblit considérablement le parti royaliste qui ne peut exploiter la crise du « Scandale de Panama » dénoncé par Edouard Drumont qui vient de relancer l’antisémitisme social jusqu’alors chasse gardée socialiste.

            En 1894 tandis que le Président Carnot, représentant des dynasties républicaines du pays légal, est assassiné par le mouvement anarchiste, le comte de Paris meurt. Lui succède le duc d’Orléans, Philippe VIII, dont la  prétendance va durer 32 ans.

            Après l’échec de 1889, il faudra attendre 85 ans pour qu’un Prince donne son accord tacite à une stratégie électorale. Celle de Bertrand Renouvin à la présidentielle de 1974 avec 0,17% des votes. Depuis il est difficile d’imaginer le prétendant au trône de France fonder un parti et présenter sa candidature. Il mettrait ses titres héréditaires, sa légitimité à la merci du verdict des urnes et des changements de vent de l’opinion. Son grand-père Henri VI y aurait songé en 1981. Ce qui est certain, c’est qu’il ne l’a pas fait.

Prochaine rubrique : Aventure et doctrine