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Le « programme » de Macron : 5 ans de plus ou 5 ans de trop ?

Par Henri Temple

Universitaire

OPINION. Formules creuses, flot de mesurettes techniques, manque de vision… La conférence de presse d’Emmanuel Macron jeudi dernier ressemblait davantage à une présentation PowerPoint qu’à un programme présidentiel.

Ce 17 mars 2022, 24 jours avant le premier tour d’une élection présidentielle cruciale pour la survie de la France, Emmanuel Macron a présenté à la fois son bilan et son programme. En 2017 il s’agissait de mettre la France « en marche », ce qui n’avait pas d’autre sens que la très immodeste coïncidence des initiales avec son nom. Quelques slogans hochet, pseudo-mystérieux, comme « start up nation », ou des vacuités intersidérales telles que « retrouver notre esprit de conquête pour bâtir une France nouvelle » et autres platitudes étaient censés résumer un programme riche en promesses vagues : augmenter tout ce qui est bien et diminuer tout ce qui est mal…

Seulement, cinq ans plus tard, la déconvenue est à la mesure de l’illusion. Les Gilets jaunes, le Covid, ont mis à nu la paupérisation et le découragement de notre population et de nos services publics. La désindustrialisation fatale de la France a continué, ou même a été accélérée avec, parmi d’autres, le scandale d’État de la vente d’Alstom. La politique étrangère a été bâclée : Emmanuel Macron a laissé partir le Royaume-Uni, ce qui affaiblit l’Europe et qui pouvait être empêché si on avait accédé à quelques-unes de ses demandes de modifications institutionnelles de l’usine à gaz bruxelloise, en vue de préserver la souveraineté des nations. Il a raté la politique de coopération économique et militaire au Sahel, car l’UE n’y a pas aidé l’armée française tout en accaparant désormais l’essentiel du budget et des actions de développement économique. Enfin il a été inerte s’agissant de la mise en œuvre des accords de Minsk dont la France était signataire et qui, s’ils avaient été appliqués avec détermination, auraient peut-être pu empêcher ce drame — présent et à venir — pour tous qu’est la guerre.

Il est d’ailleurs stupéfiant que dans son interminable lecture programmatique (1 h 40), Emmanuel Macron n’ait pas parlé de ces sujets brûlants. Pourquoi une si longue déclamation avec si peu de fond ? Cela tient à des trucs oratoires que pratiquent certains directeurs commerciaux ou financiers (lorsqu’ils font illusion et sont mauvais). Un flot de paroles, souvent peu clair, répétitif et profus. Le fond n’est qu’une juxtaposition de discours de directeurs de cabinets ministériels lorsqu’ils font leur rapport annuel : en aucun cas celui d’un président de la République sortant et qui prétend continuer. Les mesures annoncées sont de la compétence de décrets, voire d’arrêtés, mais pas de lois, et encore moins des grandes structures de la constitution ou des traités internationaux. Insuffisance congénitale ou habileté tactique.

Seul un très petit nombre d’engagements s’élèvent véritablement à un niveau présidentiel : le relèvement de la capacité de l’armée en y réinvestissant, l’indépendance industrielle et agricole (mais pas de protectionnisme sensé et modéré) ; la retraite à 65 ans ; et quelques mesurettes fiscales, des aumônes sociales ; un coup de menton contre les séparatismes, mais rien de significatif contre les flux migratoires de masse. En somme, sur le fond, continuer ce qui a été fait (ou mal, ou pas fait) depuis 5 ans : rien de notable au sujet des institutions françaises (le RIC ?) ou européennes, la justice si discréditée, l’immigration, l’insécurité, les injustices sociales, le pouvoir d’achat (si ce n’est quelques aumônes), la finance, la politique étrangère… Et il jongle très démagogiquement avec des promesses de milliards qu’il n’a pas.

Mais Emmanuel Macron a aussi beaucoup d’habiles astuces rhétoriques qu’il faut démasquer. Il feint de jouer collectif en usant et abusant du « nous », à la fois pour nous flatter de « nos progrès » et pour nous faire porter ses insuffisances que « nous » devons améliorer. Il félicite tout le monde à la manière d’un coach qui flatte ses ouailles. Et les « éléments de langage » sont saturés de mots positifs répétés jusqu’à plus soif, comme : « plus », « meilleur », « massif », « renforcer », « mieux », « plus loin, plus vite plus fort » (empruntés au baron de Coubertin ?) : mais désormais ça se voit. Quelques formules creuses, ampoulées sinon ridicules, tel « optimisme de la volonté » (sic)… Où encore le recours à des débats, des commissions, mais pas de référendums. Cinq ans de plus comme ça ?

On ne voit pas — au-delà de l’indéniable performance d’acteur — la moindre raison de lui faire confiance : notre pays a encore régressé en tous domaines et cinq ans encore seraient un pas de plus vers l’abîme. Tout cela manque dramatiquement de grandeur : et le prétendu « front républicain », disloqué, ne détournera plus le flot des frustrations et des colères. Il faut garder espoir : le vote national pèse déjà 8 ou 9 % de plus qu’en 2017. Et le pénible monologue de jeudi dernier va faire retomber les intentions de vote vers les 25 %.