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La guerre en Ukraine

Jean Charpentier

A l’heure où cet article a été rédigé nous n’avions pas encore été informés de la décision des occidentaux de sortir la Russie du réseau bancaire SWIFT, ni de la réponse de Poutine en donnant l’ordre à son état-major de mettre en alerte son système d’arme dissuasive. La rapidité de l’évolution de l’actualité dans cette guerre nous réserve encore beaucoup de surprises. (AF)

Le 24 février dernier les troupes de la fédération de Russie sont entrées en Ukraine. L’importance des moyens a surpris et provoque chez les Occidentaux une véritable crise de nerfs.

Reprenons les éléments factuels pour tenter de comprendre ce qui se passe. D’abord quel est l’intérêt pour la Russie d’envahir l’Ukraine ? Le coût exorbitant des opérations militaires et celui, non moins considérable, d’une éventuelle occupation d’un pays plus grand que la France auraient dû dissuader Vladimir Poutine. Déjà, l’annexion de la Crimée en 2014 avait été un sacrifice financier immense.    

Il existait deux orientations pour sortir de la crise du Donbass.  La première est la mise en œuvre des accords de Minsk qui obligeait l’Ukraine à se fédéraliser, permettant ainsi aux deux républiques séparatistes russophones de l’est, Lougansk et Donets, de s’émanciper de Kiev. Pour cela, Moscou comptait sur la France et l’Allemagne, les deux parrains des accords. Or, alors que le processus devait être effectif en décembre 2015, rien a été obtenu de Kiev, les Occidentaux préférant la méthode Coué. Pire, les Américains et leurs alliés laissent espérer aux Ukrainiens une possible intégration à l’UE et à l’Otan.

Dès lors, pour sortir de l’impasse les Russes élaborent un plan B incluant l’usage de la force, comme lors de la guerre contre la Géorgie en 2008 pour garantir l’indépendance de l’Ossétie du sud. On passe par une première phase de négociations intenses. La rencontre de Genève entre Biden et Poutine en juin dernier redonne un peu d’espoir. Les visites américaines en Russie et en Ukraine se multiplient. Mais très vite les relations se tendent devant l’immobilité de la situation. La phase militaire se met en place. Poutine s’assure de la bienveillance chinoise, on attendra la fin des Jeux Olympiques pour une éventuelle intervention militaire. Ultime recours : la médiation des parrains des accords de Minsk, Paris et Berlin. Or cette médiation va échouer. Et Paris est responsable ce gâchis. Macron décide de se rendre à Moscou mais lors de son passage préalable à Berlin, il menace la Russie. La rencontre au Kremlin est glaciale. Puis, le président français se rend à Kiev et lors de la conférence de presse, Macron ne fait plus allusion aux accords de Minsk. C’est le chancelier allemand qui tente de rattraper l’affaire en annonçant qu’une loi serait votée par le parlement ukrainien pour assurer l’autonomie du Donbass. Mais à Moscou on a désormais la certitude que ni Paris, ni Berlin ne sont décidés à faire appliquer les accords. La diplomatie française est discréditée aux yeux de Moscou.

Entretemps, la situation s’aggrave au Donbass. Des bombardements de harcèlement se déroulent le long de la ligne de front. L’Ukraine tente de précipiter la situation afin d’obliger les Occidentaux à intervenir militairement, c’est la situation de 2015-2016 qui se répète. A Moscou, le plan B entre dans sa deuxième phase.  Le 21 février 2022, c’est le jour anniversaire du coup d’état de la place Maïdan (2014) qui a vu la destitution du président Ianoukovitch et son remplacement par des pro occidentaux et le début des soulèvements périphériques pro-russes (Odessa, Donbass, Crimée…). Poutine fait le bilan de toutes les négociations, de leur échec, y compris sur les assurances d’une non adhésion de l’Ukraine à l’Otan. Et il déclare reconnaitre les deux républiques du Donbass. Il procède à une leçon d’histoire et de relations internationales de manière très détaillée, il s’agit de convaincre l’opinion russe de l’impératif politique. A ce message, les Occidentaux répondent par des menaces de sanctions et, sur place, on assiste à une augmentation des bombardements. Dès lors la Russie décide d’intervenir. Son objectif ; sécuriser le Donbass et démilitariser l’Ukraine. Mais la surprise est l’ampleur de l’invasion. Une pluie de missiles s’abat sur toutes les infrastructures militaires. Deux offensives se déroulent simultanément du nord vers le sud et du sud vers nord.  Très peu de combats se déroulent à Kharkov, la seconde ville du pays et russophone. Au nord de la Crimée, l’armée russe procède à la prise du canal nord, fermé depuis 2014, qui contribuait à 90% à l’approvisionnement en eau douce de la péninsule.

Au Donbass, les groupes armés ukrainiens sont repoussés des fronts. Slaviansk et Marioupol seront sans doute libérées, Slaviansk est la ville qui s’était soulevée la première après le coup de Maïdan. 

L’enjeu, c’est le temps de l’action. Deux objectifs sont annoncés par Poutine : la démilitarisation (elle est en cours) et la « dénazification », c’est l’objectif politique qui vise le gouvernement ukrainien et, surtout, les groupes armés qui existent en Ukraine depuis l’indépendance. Les Russes les tiennent pour les responsables du massacre d’Odessa de 2014, où des dizaines de personnes pro-russes furent brulées vives par les groupes paramilitaires. 

Assurément Poutine prend un gros risque, mais il semble que le gouvernement russe ait envisagé les différentes options. L’expérience des sanctions de 2014 aura servi et la Russie a développé bien des parades. Seront touchées les banques, les hautes technologies ; certains secteurs seront sans doute épargnés comme le réseau interbancaire Swift, il faudra bien que les Européens paient le gaz et le pétrole. Reste l’intervention étrangère qui risque d’enliser le conflit, la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis apportent un soutien financier à Kiev, des armes quittent la Tchéquie et les Pays-Bas vers l’Ukraine. Pendant ce temps, les Occidentaux s’attendent à des répliques, à commencer par des cyberattaques d’envergure de la part des Russes.

La leçon qu’il faut retenir c’est la grande modernité de Poutine qui remembre les relations internationales selon un plan réaliste où les puissances ont une existence, où la diplomatie et la force armée se complètent. Les anciens, eux, sont attachés à un modèle périmé du multilatéralisme, d’un droit international évanescent, d’une obsolescence de la guerre, d’une diplomatie des « valeurs » qui méconnait les intérêts des peuples et des Etats. A vrai dire, à part Emmanuel Macron et Bruxelles qui y croit encore ? Les Etats-Unis ne font pas mystère de leurs intérêts dans cette affaire, à commencer par la suspension de l’ouverture du gazoduc Nord Stream 2.  Les Etats de l’Europe de l’Est, tout à leur hostilité à l’égard de la Russie, n’ont jamais abandonné les idées fortes de souveraineté et d’identité.  Pour connaitre le sentiment du reste du monde, attendons le vote de l’Assemblée générale de l’ONU. Déjà, au conseil de sécurité, lors du vote de la motion condamnant la Russie, la Chine, l’Inde et les Emirats arabes unis se sont abstenus. L’abstention ne vaut pas quitus pour la Russie mais elle consacre la fin du monde « unipolaire ». D’ailleurs elle avait été annoncée il y a quinze ans par un certain Vladimir Poutine dans un retentissant discours à Munich en 2007, un discours à relire.