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Pourquoi le XXIème siècle ne devrait pas être chinois

Par Ludovic Lavaucelle

Après un siècle de domination américaine, on annonce que la Chine est en passe de devenir la nouvelle grande puissance mondiale. De fait, nous sommes déjà dans une sorte de « Guerre Froide 2.0 » entre ces deux rivaux. Si « l’empire américain » est bien entré en décadence, rien n’indique cependant l’imminence d’une suprématie chinoise sur le monde, selon l’historien croate Tomislav Kardum pour Areo (voir son article en lien). Le sociologue Michael Mann a identifié 4 piliers de puissance hégémonique : économique, militaire, idéologique et politique.

La Chine est déjà un poids lourd économique à l’échelle mondiale, une position à mettre en rapport avec le fait que plus de 18% de la population globale y réside. C’est le deuxième pays en termes de production nationale après les États-Unis mais il faut noter que le PIB par habitant n’est que le quart de celui de son rival. La crise démographique majeure qui s’annonce en Chine et la modernisation des moyens de production vont faire évaporer l’avantage que lui procure son immense réservoir humain.

Selon John Mearsheimer, professeur en sciences politiques à l’Université de Chicago, une nation doit dominer sans partage au moins une région du monde pour devenir une superpuissance. Or, la Chine est loin de dominer l’Asie. Son seul allié important est le Pakistan. La deuxième économie asiatique, le Japon, est un voisin hostile. La Corée du Sud fait face à l’ennemi nordiste maintenu à flot par la Chine. Au sud, les relations avec l’Inde, un autre géant démographique, restent tendues depuis la guerre frontalière de 1962. De nombreux pays, aux économies émergentes, comme l’Indonésie, les Philippines et la Thaïlande sont des alliés de Washington. Même le Vietnam, inquiet de l’agressivité chinoise en Mer de Chine, s’est rapproché de son ancien ennemi. Au-delà de la géopolitique, le sentiment anti chinois reste profondément ancré dans les populations indonésienne et vietnamienne. D’ailleurs, les disputes territoriales sont nombreuses et liguent nombre de pays voisins contre l’ancien « Empire du Milieu » : dans l’Himalaya face à l’Inde et autour des iles Spratleys face aux pays d’Asie du Sud-Est. On pourrait voir dans la Russie un puissant allié. Mais leur relation est pragmatique : c’est l’hostilité à « Uncle Sam » qui les unit. Les forces armées chinoises disposent de bases au Cambodge, à Djibouti et au Tadjikistan alors que les forces U.S. et leurs alliés forment une digue puissante. 2 des 11 porte-avions ultra-modernes américains sont positionnés en soutien immédiat alors que la Chine ne dispose que de 2 porte-avions dont l’un, de la classe Kuznetsov, date des années 80… Le Japon en aura bientôt 2 et la Corée du Sud est en train de développer son propre navire amiral.

La Chine n’exerce pas d’influence idéologique forte, à l’image de la culture américaine qui a envahi l’Occident depuis la fin de la 2ème Guerre Mondiale. Comme le dit l’historien Odd Arne Westad, d’Harvard : « la Chine est nationaliste et non universaliste. Elle fait face à d’autres nationalismes dans sa région qui sont au moins aussi puissants en termes d’idéologie. Aucun jeune à Tokyo, Séoul, Taïpei ou Singapour ne va se tourner vers la Chine pour chercher l’inspiration ou télécharger des vidéos… ». Même à Hong Kong et Taïwan, terres chinoises, l’opposition au régime de Pékin reste très forte. Pour certains commentateurs, le traitement de l’épidémie du coronavirus a permis à la Chine de gagner en crédibilité et « soft-power ». Certes, le principe de « pass sanitaire » peut être comparé au « pass social » chinois, mais on ne peut pas dire que ce soit positif puisqu’il s’agit de contraintes imposées. D’autre part, les suspicions de plus en plus fortes autour du laboratoire de Wuhan concernant l’origine de l’épidémie ont annulé la position de « premier de cordée » que Pékin faisait valoir face au Covid-19…

La Chine n’a pas de mission impériale universaliste. Elle ne propose pas de « lendemains qui chantent » à la mode soviétique ni de rêve à l’américaine. Thucydide avait déjà fait une distinction fondamentale entre « hegemonia » (l’hégémonie étant une domination acceptée) et « arkhe » (une domination imposée). Aucune puissance ne devient hégémonique seulement par la force. Le talon d’Achille du géant chinois est la faiblesse de sa colonne vertébrale idéologique. Le pays est dirigé par un parti-unique qui surveille ses sujets. Les ethnies minoritaires sont soumises de force comme on l’a vu au Tibet et aujourd’hui au Xinjiang avec les Ouïghours. Peu de réactions des dirigeants musulmans à ce sujet mais cela reste un obstacle pour un rapprochement futur… La Chine moderne est un État nationaliste Han. La mainmise de Xi-Jinping sur tous les leviers du pouvoir a affaibli l’appareil du Parti Communiste qui pourrait faire face à une grave crise de succession lors de la disparition du chef. Selon Kardum, la question majeure n’est pas de savoir quand la Chine dominera le monde, mais plutôt jusqu’à quand son régime totalitaire peut tenir…

Merci LSDJ