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L’éditorial de François Marcilhac

LA RÉPUBLIQUE TOTALE

Ainsi, il n’y aurait « rien de plus fort que les lois de la République », si on en croit Gabriel Attal, porte-parole du Gouvernement, ânonnant, n’en doutons pas, une profonde pensée jupitérienne. Pourquoi ? Parce qu’à la suite de la publication du rapport Sauvé portant sur une estimation du nombre d’abus pédophiles commis au sein de l’Église par des prêtres et des laïcs depuis 1950, le président de la Conférence des évêques de France, Mgr de Moulins-Beaufort, avait rappelé une simple évidence, à savoir que le secret de la confession est au-dessus des lois de la République. Mal lui en a pris, puisque cela lui valut d’être convoqué place Beauvau comme un vulgaire imam radicalisé par le ministre de l’intérieur et subséquemment, des cultes, qui avait déjà, il y a quelques mois, assuré que la loi de la République est supérieure à la loi de Dieu — ce qui ferait de la République une superdivinité, peut-être incarnée dans Jupiter : l’apothéose de Macron ?

LA SUPRÉMATIE ABSOLUE DES LOIS DE L’ÉTAT

Notons pour commencer que c’est Mussolini qui a, au XXesiècle, théorisé la suprématie absolue des lois de l’État, dont la République n’est qu’une forme — et on sait combien la monarchie italienne, qu’il avait neutralisée, impatientait cet ancien socialiste : aussi fonda-t-il, dès qu’il le put, une République à Salo. Du reste, le champ sémantique de la « force », auquel a recouru le gouvernement, n’était pas pour lui déplaire. Dans une formule saisissante, il résumait ainsi sa pensée : « Tout dans l’État, rien hors de l’État, rien contre l’État ! », développant que « pour le fasciste, tout est dans l’État, et rien d’humain ni de spirituel n’existe et a fortiori n’a de valeur, en dehors de l’État. En ce sens, le fascisme est totalitaire, et l’État fasciste, synthèse et unité de toute valeur, interprète, développe et domine toute la vie du peuple. » Nous sommes en plein dans cette problématique de l’État total puisque, d’un côté, le mantra des « valeurs républicaines », « synthèse et unité de toute valeur, interprète, développe et domine toute la vie du peuple » et que, de l’autre,  avec le secret de la confession, c’est bien « l’humain » et « le spirituel » que l’État total macronien a, lui aussi, en ligne de mire. Il s’agit non seulement d’encadrer les libertés publiques, mais, plus encore, de pénétrer au plus intime des consciences, de les violer, de refuser de reconnaître que quelque chose échappe à l’État. Et ce au nom, bien sûr, d’un intérêt supérieur, et on sait combien aujourd’hui, après avoir fait la promotion écœurante de la pédophilie dans les années 70, les élites ont fait de la lutte contre celle-ci une priorité, tout en favorisant par ailleurs, mais elles ne sont pas à une contradiction près, des idéologies, dont la théorie du genre, qui ciblent explicitement les enfants et les adolescents — ainsi la récente circulaire Blanquer sur l’accueil des élèves prétendument transgenre ne laisse pas d’inquiéter. On attend du reste avec impatience un rapport « Sauvé » — puisque Sauvé est manifestement devenu une marque de fabrique — sur les scandales pédophiles dans l’éducation nationale depuis 1950…

UN POINT NON NÉGOCIABLE

Si Maurras s’opposa à l’essentiel de la doctrine fasciste, c’est bien en raison de ce point non négociable. Il a dénoncé très tôt dans l’ « idéologie morale “mystique” du fascisme » « le point faible » du nouvel État italien (L’AF du 18 mai 1929), appelant « négatives et fausses les exclusions quasiment délirantes qui refusent toute valeur aux éléments moraux ou spirituels “en dehors de l’État”. […] il y a dans la vie des personnes humaines quelque chose qui y échappe en soi » (L’AF du 12 juin 1932) : la personne. « On peut essayer de tout “étatiser”, excepté le spirituel. Les pouvoirs temporels ont tout avantage à rester dans la mesure de leur droit, sans répondre à des empiètements, même fâcheux, par des usurpations qui seraient plus fâcheuses », ajoute-t-il dans Les Vergers sur la mer. « Quand l’autorité de l’État est substituée à celle du foyer, à l’autorité domestique, […] quand il se mêle des affaires de la conscience religieuse et qu’il empiète sur l’Église, alors ce débordement d’un État centralisé et centralisateur nous inspire une horreur véritable : nous ne concevons pas de pire ennemi. » (L’Action Française du 19 juillet 1938). Horreur que Léon Daudet résume bien dans Député de Paris : « Nous sommes séparés du fascisme par l’immense fossé de la religion d’État – religion politique, s’entend – dont nous a dispensés le régime le plus souple et le plus évolué de l’Histoire, la monarchie française. » Or c’est bien à une religion d’État que, de plus en plus, nos élites déboussolées tentent d’assimiler la République, comme pour trouver un nouveau repère.

LA LIBRE MONARCHIE CHRÉTIENNE

De ce point de vue, Boutang pointait combien la République garantit moins les libertés fondamentales que ce que Bernanos appelait « la libre monarchie chrétienne ». Car, du fait que le roi est à la fois au-dessus du peuple et sous le regard du peuple, il ne peut pas se permettre n’importe quoi, d’autant qu’il admet lui-même, en tant que « roi très chrétien », une transcendance (c’est tout le paradoxe du sacre). « Monarchie absolue », en ce sens, n’a jamais voulu dire « monarchie despotique ». Elle est « absolue » en son domaine, le roi n’ayant jamais considéré qu’il n’y eût rien de plus fort que ses lois. Boutang observe, dans Reprendre le Pouvoir : « La puissance souveraine n’est limitée que par la loi de Dieu, les lois naturelles, et les lois fondamentales de l’Etat », « trois limitations naturelles qui fondent la souveraineté », et en dehors desquelles elle devient despotique, illégitime et anarchique. Au contraire, quand la souveraineté se confond avec le peuple, ou plutôt l’oligarchie qui prétend le représenter, le « souverain » peut faire n’importe quoi. Plus rien ne limite cette souveraineté « républicaine », puisqu’elle ne reconnaît aucune transcendance à sa volonté, que la République est à elle-même sa propre transcendance, que « rien n’est plus fort » que ses lois. La vision républicaine de la cité implique donc un citoyen déraciné, sans attache, ni intériorité, ni droit à l’objection de conscience — qui sera peut-être bientôt supprimée pour les médecins refusant de pratiquer des infanticides –, dans une société n’obéissant à aucun ordre naturel, à aucune transcendance, puisque la République ignore les trois limitations évoquées par Boutang. Elle ignore la loi de Dieu : violemment antichrétienne,  elle a presque toujours pratiqué un laïcisme de combat visant à éradiquer le catholicisme. Elle ignore les lois naturelles, puisque son volontarisme est un défi à la nature humaine, comme le montrent les lois sociétales déjà adoptées ou en passe de l’être. Elle définit, enfin, et peut réviser à tout instant les lois fondamentales de l’Etat qui ne sont plus que l’expression de l’idéologie du moment. Elle ne fait donc aucune référence à des lois immuables, qui étaient opposables au roi lui-même. Rien n’est opposable à la République. 

Car c’est un invariant de la légitimité que cible Macron, tout occupé à sa détestation de la religion catholique, à travers les propos de ses ministres sur la suprématie totale de la République, un invariant que, déjà, Sophocle, au Vsiècle av. JC, avait établi dans sa tragédie Antigone. On ne sera pas étonné que Maurras en fît un texte fondamental. En niant qu’il y eût quelque loi plus forte que les siennes, en devenant par cet hybris un tyran, c’est, comme le disait Maurras, cet « énergumène » de Créon qui détruit l’État. Oui, c’est bien Créon « l’anarchiste », et Antigone, « la petite légitimiste ». N’en déplaise aux énergumènes d’aujourd’hui.