La presse satirique apparaît à la Révolution française. Elle s’emploie bien sûr à détruire ce qui est sacré, Dieu et le roi. Le pli est pris, la caricature révèlera les antagonismes et les journaux se multiplieront, jusqu’à Charlie Hebdo. Qui tire sur de vieilles ambulances, comme l’Église, avant de s’attaquer au tank musulman.
Contradiction ? Incohérence ? Observant, dans un récent article, les réactions politiques à l’assassinat de Samuel Paty par Abdoullakh Anzorov, j’exprimais la crainte que « notre courageux collègue » fût mort pour rien, car déjà les propos des uns et des autres enrobaient, évitaient, contournaient les faits. Pourtant, lorsque les enseignants d’un collège du Var refusent unanimement de rebaptiser leur établissement « Collège Samuel Paty », je les approuve. Moi aussi, j’aurais opposé mon refus à cette initiative, non par peur (même si ce choix, en effet, mettait clairement une cible dans le dos de tous les enseignants de l’établissement), mais plutôt parce que j’aurais eu l’impression d’apporter une collaboration coupable au malentendu résultant d’un état d’esprit largement formé par les médias qui, sous prétexte d’autoriser à rire du sacré, imposent en réalité une sacralité de substitution, comme nous allons le montrer.
Alors, que fut le « courage » de Samuel Paty ? Et toute gêne face à ce que permet la liberté d’expression doit-elle être comprise comme un appel à la limiter par une reconnaissance d’un prétendu délit de blasphème ?
Souvenons-nous, c’était en 2011 : l’œuvre d’Andres Serrano intitulée Piss Christ est exposée à Avignon, suscitant manifestations et réactions véhémentes de la part des catholiques ; la même année, une pièce de Roméo Castellucci intitulée Sur le concept du visage du Fils de Dieu fait scandale à Paris. Et un refrain s’impose : « ils n’oseraient pas s’en prendre à l’islam ». L’horrible attentat perpétré par les frères Kouachi contre la rédaction de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015 a définitivement relégué dans le passé ce procès en lâcheté. « Ils » ont osé s’en prendre à l’islam et ils l’ont payé de leur vie. Par suite, si Samuel Paty avait voulu éviter toute prise de risque, il aurait choisi d’aborder le sujet de la liberté d’expression face au fait religieux à travers l’une des deux œuvres que je viens de mentionner et il aurait appelé ses élèves à réfléchir sur la désapprobation des chrétiens et ses moyens d’expression. Sa prise de risque a été double : d’abord, il a montré des caricatures de Mahomet à des jeunes qui (et c’est un phénomène que tous les professeurs constatent) ont beaucoup de difficultés à distinguer l’exposé pédagogique d’une position de l’adhésion à cette position ; ensuite il a choisi, en connaissance de cause, l’exemple d’une religion qui dans sa forme rigoriste – laquelle a le vent en poupe – venge le blasphème par la mort.
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