Par Philippe Germain
Depuis 1924 le duc de Guise était devenu dauphin suite au décès de Montpensier, frère de Philippe VIII. Considérant problématique la restauration de la monarchie, il s’est tout de même concentré sur l’éducation politique de son fils Henri, qu’il considère amené à succéder à son cousin Philippe VIII, sans postérité. Il est donc surpris en 1926 lorsque le duc d’Orléans meurt du choléra au retour d’un voyage. Longtemps simple cadet de la famille d’Orléans et non préparé a cette charge, Guise déclare pourtant assumer ses devoirs de chef de la Maison de France pour une prétendance qui va durer 14 ans. Jean III hérite alors d’un « capital » royaliste puissant car l’Action française de 1925 a atteint trois objectifs stratégiques fondamentaux.
- Tout d’abord l’Action française a réglé la question primordiale de la formation intellectuelle et pratique d’un socle de cadres royalistes, et son organisation en appareil de prise du pouvoir. La preuve par les 12.000 participants a son 7° congrès de 1920 qui lui permettent de ne pas, s’enfermer dans la problématique du recrutement pour lui-même, ce qui déboucherait sur la croissance des effectifs sans réelle efficacité.
- Ces cadres royalistes, l’Action française les a ensuite utilisés à conquérir des pouvoirs dans certains terrains institutionnels ou sociaux, en s’y implantant au travers des courroies de liaison. C’est la conquête de l’intelligence autour de la Revue Universelle ( Jacques Bainville, Jacques Maritain, Henri Massis),le renouveau corporatiste ( Georges Valois), l’implantation paysanne ( Action française agricole) et l’organisation des anciens combattants ( légion des combattants).
- Enfin sa participation aux élections de 1919 a consacré l’entrée de l’Action française dans la phase de politique effective, au sens habituel du terme. Agir aux abords du pouvoir, mais aussi proposer aux français une alternative de société. Un succès tel que beaucoup d’observateurs purent penser que Daudet prendrait le pouvoir à Paris de la même façon que Mussolini à Rome.
Revenons sur ce triple succès. Il a reposé sur la capacité de l’Action française à changer sa stratégie « révolutionnaire » d’avant 1914. Ayant misé sur le prolétariat comme réserve principale, l’A.F. de 1919 s’est trouvée en porte-a-faux lors du passage de l’anarcho-syndicalisme vers un communisme auréolé de sa victoire russe. Le marxisme, perdu en 1890, est triomphant en 1920. Preuve qu’en politique le désespoir est une sottise absolue et que l’histoire donne toujours à ceux qu’elle condamne une chance de venir en appel devant son tribunal. Par cette victoire du marxisme, l’Action française s’est vu contrainte a stratégiquement se replier sur sa réserve secondaire. Les couches moyennes auprès de qui elle a obtenu un gain d’image de marque suite à son attitude pendant la guerre. Rien de contradictoire à ce changement stratégique car sa philosophie politique ne la lie à aucune classe ou couche sociale privilégiée. De surcroît l’Action française estime qu’il n’y a pas de secteur qui par principe, monopoliserait les potentialités révolutionnaires. Pour elle, le potentiel révolutionnaire n’est le fait de tel acteur social mais celui de sa situation face aux autres. Et en 1919 l’Action française considère que la petite bourgeoisie pourrait entrer « en réaction » face au communisme.
Doctrinalement inentamable, le noyau dirigeant de l’A.F. est moins homogène stratégiquement. Pour les uns, (Plateau, Dimier et Valois) une couche sociale est utile en ce qu’elle risque d’agir à moyen terme, comme un détonateur. L’important c’est le risque de rupture qu’elle constitue pour le système car les couches sociales en régression sont souvent amenées à radicaliser leur opposition pour survivre (les Gilets Jaunes en 2018). Elles deviennent alors des sources d’agitation permettant de déclencher par conjonction de mécontentements une crise institutionnelle susceptible d’être exploitée. Cette vision « illégaliste » ne l’emporte pas en 1919.
Pour les autres (Daudet, Maurras et Pujo) l’essentiel c’est l’importance du pouvoir social de la petite bourgeoisie ; d’ailleurs couche en régression[1] depuis 1917. C’est pourquoi, forte d’un important crédit dans l’opinion publique au sortir de la guerre, l’A.F. décide tactiquement d’une utilisation électorale de cette couche sociale, afin de pénétrer le régime de l’intérieur. Une conquête des abords du pouvoir par l’entrisme parlementaire pour favoriser une réaction nationale. Celle-ci devant aboutir à une restauration monarchique car la ligue et son journal lanceraient dans l’opinion, l’homme qui porte les espérances (prétendant ou homme providentiel : Poincaré – général Mangin), et constitue le recours à la crise. Cette « moyen légal » a eu l’appui du duc d’Orléans.
Élu, Daudet crée un groupe parlementaire charnière lui permettant de proposer des solutions pour la France et ainsi situer le royalisme dans l’opinion publique. Cette phase de conquête des abords du pouvoir nécessite de peser sur le gouvernement par des actions force de proposition ou force de menace. Daudet va donc insérer, idéologiquement et politiquement l’A.F. dans les problèmes majeurs de la période. Par son « spectacle » parlementaire, il exerce une action décisive sur le pouvoir. L’Action française passe ainsi en 1921 pour avoir permis le rétablissement des relations avec le Vatican. Elle devient en 1922, le « tombeur » du Président du conseil Aristide Briand et en 1923 responsable de l’occupation de la Ruhr par l’armée française. Parallèlement l’A.F. se crée une nouvelle image de marque en imposant dans la lutte idéologique le choix monarchie ou socialisme. Et ce au moment ou Mussolini en Italie, impose face au communisme une dictature monarchiquement compatible.
Ce succès, reposant sur la tactique du prolongement artificiel de l’Union sacrée et celle du refus de la politique du pire, inquiètent[2] le pays légal. La hantise républicaine du complot le conduit alors a une répression féroce au travers le bras anarchiste (antifa, Black blocs de 2019). Début 1923, c’est l’assassinat du secrétaire général de l’A.F. Marius Plateau par Germaine Berthon. Le pays légal camoufle l’implication policière. C’est ensuite la mort maquillée en suicide de Philippe, fils de Léon Daudet, chez le libraire anarchiste Le Flaouter (l’amant de Berthon). Pourtant la stratégie des moyens légaux n’est pas remise en cause et Daudet explique que le coup de force n’est plus envisagée qu’en cas de nécessité puisqu’il peut agir beaucoup plus efficacement de l’intérieur. Effectivement Poincaré (que Maurras rencontre tandis qu’il mise sur l’affectation du général Mangin[3] comme gouverneur militaire de Paris !) a obtenu les pleins pouvoirs grâce aux voix de Daudet. Malgré la répression, l’A.F. est à son apogée. Elle inquiète tant que Daudet est lâché par le bloc conservateur, et donc non réélu en 1924.
Reculant sur la phase de conquête légale des abords du pouvoir, l’Action française va modifier les objectifs de sa phase de conquête des pouvoirs sociaux. Sur la suggestion de Georges Valois l’A.F. décide adresser le terrain des anciens combattants, bafoués par une paix faite pour des intérêts particuliers tandis que l’État fléchit sous la pression ploutocratique. A partir de ses articles dans l’A.F. quotidienne, il publie son ouvrage La Révolution nationale : philosophie de la victoire (1924). S’appuyant sur l’Union des Corporations Française il lance avec Daudet, une campagne de propagande réclamant la convocation d’États Généraux. En accord avec Maurras un hebdomadaire est crée (Le Nouveau siècle), pour servir de support aux diverses formations qui gravitent autour de l’A.F. Puis est lancée la création de Légions destinées à rassembler les combattants pour lutter contre le parlementarisme. Pour le noyau dirigeant de l’A.F. cette nouvelle ligne répond à deux objectifs ; d’abord faire jouer[4] à Valois auprès des anciens combattants le rôle qui lui avait été confié jadis auprès du monde ouvrier, mobiliser un important secteur de l’opinion avec lequel il possède des affinités particulières. Ensuite répondre au mécontentement de ses activistes, suite au refus de « marcher » sur la place Beauvau lors des obsèques de Plateau alors que les Camelots du Roi de province étaient présents à Paris, sans oublier les nombreux anciens combattants (probablement près de cent mille sympathisants). D’autant qu’après Plateau et Philippe Daudet, le trésorier de l’A.F. Ernest Berger à aussi été assassiné par une anarchiste (Maria Bonnefoy). Maurras rencontre donc le duc de Guise le 1 juin et Valois le 9 juin 1925. Ancien ambulancier du Front, le duc est sensible à l’approche ancien combattants de Valois tandis que son fils Henri est receptif au discourt social de celui que Lénine considéra comme le meilleur économiste occidental.
Le
27 mars 1926 lorsque le duc de Guise devient prétendant, il est soutenu par son
épouse, partisane passionnée de la restauration monarchique et de l’Action
française. Son fils croie en son destin. Son capital de partisans comprend
l’Action française appuyée sur la bourgeoisie et les catholiques mais aussi le
jeune Faisceau rassemblant quelques
30.000 anciens combattants de tous les horizons regroupés autour d’un fort noyau
monarchiste. Que va donner la prétendance
de Jean III ?
[1]La régression de la classe bourgeoise commence en 1917, voir Pierre Debray, Une politique pour le XXI° siècle – Une Action française au service de l’avenir, pages 61-65, Éditions de Flore, 2019.
[2]On ignore que Maurras entretient une correspondance et rencontre le Président de la République Poincaré tandis que Daudet dispose encore de ses réseaux policiers mis en place depuis 1917.
[3]Pendant la grande guerre Pétain avait prévenu Mangin : « Vous êtes considéré comme suspect. »
Après la guerre, Mangin commande après la zone d’occupation et favorise le mouvement séparatiste visant l’établissement d’une République rhénane liée à la République française. Clemenceau le suspend de son proconsulat en 1920, sur injonction des Anglo-Saxons. Mangin a rapporté leur échange: « Et puis … avec ce que vous avez fait … une armée … quelle tentation pour la politique ! »
[4]Malgré ses approximations, voir Zeev Sternell, Ni droite, ni gauche – l’idéologie fasciste en France, Seuil, 1983, pages 115-117.