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Labourance et pâturance 

Par Philippe Mesnard – (Politique magazine)

Inconscients que nous étions! Nous batifolions avec insouciance au milieu de l’abondance sans nous rendre compte que nous vivions les dernières heures d’un fragile et égoïste bonheur. Mais Macron est venu nous avertir. Le prophète du malheur français, entre deux repentances africaines, nous a expliqué que nous allions accoucher d’un nouveau monde, dans la douleur.

Mais une noble douleur ! Une douleur de progrès, une douleur de générosité, une douleur d’avenir ! Une douleur électrique, citoyenne, responsable et durable ! On n’est pas chez les Capétiens, les gars, nous a expliqué, le regard écarquillé, le prophète de l’Union européenne. C’est pas labourage et pâturage (d’ailleurs, avec ma loi Egalim2 que personne n’applique, les producteurs de lait sont en train de crever et on va liquider les vaches, symboles viandards du carno-patriarcat), c’est labourance et pâturance ! On va labourer vos petites vies grassouillettes, on va vous peler jusqu’à l’os, vous allez avoir froid et faim, et vous irez brouter les subventions qu’on vous dispensera chichement, pourvu que vous exhibiez votre passénergétique, votre pass transport, votre pass sanitaire, et votre pass opinion. Et vous serez heureux car vous aurez une bonne note sociale, garantie du gavage étatique, contrairement à certains parias qui n’auront droit à rien sinon à votre mépris.

Vous serez heureux parce que votre sacrifice permettra à l’Union européenne de servir toujours plus étroitement les intérêts états-uniens. Les États-Unis sont prêts à se battre jusqu’au dernier Ukrainien, prêts à sanctionner la Russie jusqu’à ce que le dernier européen soit ruiné, et on vous expliquera en permanence que tout s’explique par l’Ukraine. Les coupures d’énergie, la pénurie de moutarde, le manque de professeurs qualifiés, l’interdiction de se déplacer, la spoliation de vos terres, la confiscation de vos maisons, le rationnement de la nourriture, l’interdiction des partis réfractaires… L’Ukraine est une tenture qui vous voile le monde, un manteau de Noé qui cache les manœuvres des fédéralistes, un tapis sous lequel on planque toutes nos incuries, toutes nos erreurs, toutes nos trahisons, et bientôt toute la poussière de notre ancienne puissance ; une couverture qu’un président déconsidéré dans le monde et dans son propre pays tire à soi. Il se drape dans le malheur ukrainien comme Hercule dans la peau du lion de Némée, se donnant des allures de chef de guerre sans avoir combattu. On aimerait que sa défroque se change en tunique de Nessus. 

Défense, électricité : la débâcle

Quand ce sera plus l’Ukraine, on nous remettra le carbone. Tout en électrifiant toute la campagne et en nous promettant les vertus de la 5G, on rationnera sévèrement l’usage privé de l’énergie. Dépensant des centaines de milliards d’euros, nous réussirons à saborder définitivement toutes nos infrastructures hydrauliques, que l’Union nous aura forcé de privatiser, avant que les gigantesques usines de batteries, construites en Allemagne ou en Europe de l’Est, ne prennent le relais. Peut-être nous laissera-t-on le privilège de les recycler ?… Et au bout du compte, nous aurons gagné, nous, Français, 0,0001 degré par rapport aux degrés fatals. Magnifique réussite qui justifiera toutes les privations et tous les bouleversements. On aurait pu aussi décider de verser directement cette manne dans les mains de ceux qui en ont besoin, les pays en voie de développement, en s’assurant de leur reconnaissance, en installant nos entreprises et nos industries : mais non ! Ce serait du néo-colonialisme ! Berk ! Laissons Russes et Chinois s’assurer leurs débouchés, achevons de nous ridiculiser aux quatre coins de la planète, exigeons de nos ambassadeurs qu’ils ne parlent que de souveraineté européenne (pendant qu’Italiens, Hongrois et Allemands font valoir leurs politiques nationales) et de droits LGBT, et donnons sans contrepartie, comme nous donnons aux Ukrainiens les matériels dont notre armée a besoin et qui lui feront défaut de nombreuses années – années pendant lesquelles l’Élysée voudra l’engager, sacrifiant les militaires qui lui diront la vérité et ne sanctionnant aucun des fonctionnaires de Bercy qui ont organisé cette débâcle.

C’est ainsi. La France avance, hébétée, vers sa fin. On croirait une martyre dans l’arène, livrée aux bêtes féroces sous le regard satisfait de l’organisateur des jeux : il les a bien vendus aux financiers qui achètent à petit prix le contentement des foules ignorantes, qui ne voient pas les barbares aux marches de l’Empire et se sont habitué aux mercenaires étrangers, qui leur feront défaut quand il faudra les défendre. Les corbeaux pâtureront de macabres récoltes dans les champs labourés par la guerre.