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Pour une herboristerie basée sur les faits

Par Enzo Sandré

Au chapitre des politiques mal-inspirées de Pétain figure assurément la disparition du titre d’herboriste. Il ne serait pas abusif de placer en 1941 le début de l’hégémonie des pharmaciens, voire de Big-Pharma, si seulement ce terme a un sens. La disparition du diplôme d’herboriste n’a pas éteint cette discipline millénaire. La loi Le Chapelier avait confié la médecine aux charlatans. La suppression du diplôme d’herboriste a enrichi les rebouteux, guérisseurs et autres chamanes. La République n’a décidément aucune mémoire.

Les médicaments de base sont des actifs stratégiques que toute nation souveraine doit pouvoir produire en masse. C’est une des leçons de la triste crise du Covid. Toutefois, « le monde d’après ne sera pas le monde d’avant », comme le constate le président de la République. En cette matière, il serait dangereux de ne réfléchir qu’en terme de logique industrielle, toujours délétère en matière de résilience.

Ma thèse est que l’herboristerie, sous réserve qu’elle soit passée au crible des méthodes scientifiques actuelles, constitue une médecine à la fois efficiente et décentralisée, permettant de réduire notre dépendance à l’industrie pharmaceutique pour les remèdes simples.

L’intérêt est double : une plante peut être cultivée presque n’importe où et son faible niveau de transformation rend les herboristes autonomes, donc résilients, pour la production. De plus, cette démarche forcerait les industries pharmaceutiques nationales à ne pas vivre d’une rente sur les remèdes simples à produire. Elles seraient forcées à un positionnement haut-de-gamme de pointe, participant à notre rayonnement et à nos exportations. N’ayant pas à assurer auprès des pouvoirs publics le rôle-clé d’être les fournisseurs d’un grand nombre de remèdes de base, elles pourraient prendre plus de risques sur les autres marchés. C’est aussi bénéfique pour nos chercheurs que pour notre économie.

L’émergence d’une herboristerie basée sur les faits est possible, à condition de recréer une filière. L’Etat doit d’abord créer un corps de chercheurs en la matière, avec le concours des pharmaciens et agronomes, seuls compétents pour en être les premiers jurys et directeurs de recherche, amorçant ainsi la nouvelle filière dans le respect de la sécurité des médicaments. Ces chercheurs auront la lourde tâche de propulser un corpus de connaissances ayant 80 ans d’âge à l’ère des études randomisées en double-aveugle.

Une fois le retard rattrapé, la plupart de ces chercheurs devront prendre leur place dans la formation des futurs praticiens, à la fois herboristes, chimistes et jardiniers de simples, ayant vocation à s’installer en libéral. Un Ordre évitant les écueils de l’Ordre des Médecins devra être constitué, ce qui sera un formidable défi pour nos juristes. Cette étape permettra à l’herboriste de redevenir une figure connue de nos vieux pays.

Le tableau ne serait pas complet sans l’ajout de connaissances en herboristerie dans le cursus et la formation continue des généralistes. C’est bien eux la « gare de triage » des patients, redirigeant ceux-ci vers l’oncologue ou l’herboriste selon le type de maladie. Il s’agit sans doute de l’étape la plus longue, car nécessitant un changement de mentalité dans une profession pas toujours connue pour son ouverture au changement ou sa bonne foi dans la formation continue.

L’herboristerie respecte le triptyque Terroir, Enracinement, Décroissance. Cette proposition s’inscrit dans la continuité du livre « Quelle Ecologie pour demain ? » coordonné par Francis Venciton et moi-même. Elle vient concrétiser un ouvrage introductif et théorique, donc insuffisant au bien commun.