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Pessimisme de la raison…

La chronique de Stéphane Blanchonnet

À l’approche de l’élection présidentielle et pour nuancer quelque peu « l’optimisme de la volonté » dont je faisais preuve le mois dernier, je voudrais cette fois vous faire méditer sur un texte capital de Maurras. Il s’agit d’un extrait de « La Politique » en Une de L’Action Française quotidienne du 12 août 1908, qui sera par la suite repris dans le Dictionnaire politique et critique et dans Mes idées politiques. Il n’est pas inutile d’en rappeler le contexte : Maurras commente le résultat d’un vote des gaziers et des boulangers, réunis en assemblée générale, dont le résultat fut le rejet de la grève générale. Rappelons que cet événement a lieu dans un climat insurrectionnel, quelques jours après la « journée sanglante » du 30 juillet à Draveil. L’AF avait choisi à l’époque de refuser son soutien à la répression conduite par Clémenceau (c’est d’ailleurs aussi l’époque de la tentative de dialogue avec le syndicalisme révolutionnaire autour du « Cercle Proudhon »).

Voici ce qu’écrit alors Maurras : « Hors les heures critiques, et tant qu’il paraît subsister un ordre matériel quelconque, le suffrage universel conserve tout ce qui existe, tout ce qui tend à exister […] Il faut des mécontentements inouïs pour briser son murmure d’approbation. La foule ressemble à la masse : inerte comme elle. Ses violences des jours d’émeute sont encore des phénomènes d’inertie ; elle suit la ligne du moindre effort ; il est moins dur de suivre des penchants honteux ou féroces que de leur résister par réflexion et volonté. La faculté de réagir, très inégalement distribuée, n’arrive à sa plénitude que dans un petit nombre d’êtres choisis, seuls capables de concevoir et d’accomplir autre chose que ce qui est. Le nombre dit amen, le suffrage universel est conservateur. »

Le sens est clair. Pour Maurras, « hors les heures critiques », il ne faut pas compter sur le suffrage universel pour produire un changement politique, qu’il s’agisse d’une insurrection ouvrière ou de renverser un régime inique qui met en péril l’intérêt national. Tout au plus le suffrage peut-il confirmer, ratifier, approuver cette insurrection ou ce renversement, une fois qu’ils auront été initiés par une minorité consciente et résolue. Aujourd’hui, sommes-nous dans le cas des « heures critiques » ? Il faut bien admettre que non. Et c’est pour cette raison que Macron sera vraisemblablement reconduit par la coalition des forces conservatrices, au plus mauvais sens du terme : catégories sociales et professionnelles privilégiées et « boomers » retraités (son socle de 25%), à quoi s’ajoutera au second tour le conglomérat des frilosités et des peurs, peut-être paré des couleurs du « front républicain ». Bien entendu j’aimerais me tromper !