You are currently viewing L’éditorial de François Marcilhac

L’éditorial de François Marcilhac

LE TOTEM

En ce 9 novembre 2020, pour le cinquantième anniversaire de la mort de De Gaulle, on mesure, en voyant Macron au bas de l’immense croix de Lorraine, non loin de Colombey, à quel point l’œuvre du général, pour nécessaire qu’elle fût, s’est conclue par un échec. 

La quasi-unanimité que sa figure suscite dans la classe politique en est paradoxalement l’expression. En devenant un totem, celui de la République, la figure historique du général De Gaulle s’est figée sur les deux événements fondateurs de sa légende sans, pour autant, que cette légende ait réussi à demeurer féconde. Ces deux événements, pour lesquels les Français conservent encore la mémoire du général, sont évidemment le 18 juin 1940 et le coup d’État de mai 1958, deux événements dramatiques, comme la république en provoque régulièrement, et qui suscitent l’appel au soldat, réclament l’homme providentiel. L’action du général De Gaulle, et, par suite, le gaullisme, ont ainsi surgi, par deux fois, des décombres d’une république en décomposition. Mais, à chaque fois, l’échec fut au bout, si l’on veut bien faire l’honneur au général  De Gaulle de penser qu’il avait pour ambition d’inscrire son action dans une durée qui dépasse l’événement. C’est que, par deux fois, à son corps défendant, on veut bien le croire, il réinscrivit les partis dans le jeu politique.

Si l’appel du 18 juin 1940 et, plus encore, l’attitude ferme que De Gaulle, en tant que chef de la France Libre, opposa à des Américains désireux de faire de la France un protectorat, permit à  notre pays d’être dans le camp des vainqueurs en 1945,  en revanche, la rénovation des institutions dut attendre. Parce que De Gaulle avait relégitimé, dès 1942, les partis à Alger afin de donner des gages aux Alliés, ainsi qu’à un pays légal failli, qui voyait en lui une planche de survie, dès janvier 1946, les hommes du passé chassèrent l’homme de l’Histoire. De même, on sait le désastre politique que fut la IVerépublique. En 1958, le recours à De Gaulle permit de restaurer l’État, dont la déliquescence aurait pu, à plus ou moins brève échéance, sur fond de guerre d’Algérie, provoquer une guerre civile. Mais, malheureusement, comme en 1946, les partis ressortirent bientôt, pour employer un mot de Pierre Boutang,  de la « grande besace » du général où il les avait rangés au tout début des années 60. Ils le firent même, comble de l’ironie, mais surtout signe de l’échec monumental du général, à l’échéance électorale dont l’objet précis était de mettre définitivement fin au règne des partis, c’est-à-dire au premier tour de l’élection présidentielle de 1965. Alors que De Gaulle rêvait de voir l’élection au suffrage universel du président de la république déboucher sur une transformation radicale du citoyen-électeur dont naîtrait une dialogue direct entre le peuple et un homme, le ballottage de décembre 1965 dissipa cette espérance qui n’était qu’une chimère.

Certes, l’État, en raison du parlementarisme rationalisé et du phénomène majoritaire, recouvrait stabilité et puissance. Il ne recouvrait pas, en revanche, son indépendance. On dit que De Gaulle, lucide sur l’impossibilité, en France, de trouver la bonne république, pensa au comte de Paris de l’époque, le grand-père de l’actuel comte de Paris, comme successeur. Nous ne saurons jamais dans quelle mesure il y pensa réellement. Du long dialogue qui s’instaura durant les années 50 et 60 entre le général et l’héritier de nos rois, ressort, en revanche, une chose certaine : le comte de Paris fut d’une lucidité implacable sur l’échec institutionnel du général De Gaulle. Il suffit de relire le Dialogue sur la France [1], comme les derniers Bulletins, à la publication desquels le prince mit fin en 1967. De Gaulle, en refusant de s’attaquer sérieusement aux fondations, avait finalement bâti sur du sable.  

Le fait que l’homme qui incarne sans filtre, sans aucune pudeur même, l’oligarchie, se soit incliné devant la tombe du général De Gaulle, ce 9 novembre, crie cet échec, puisque c’est en tant qu’actuel président de la Ve République qu’il était là. Cet État restauré et fort a finalement favorisé, de toute sa stabilité recouvrée, le contraire de ce à quoi il était destiné. Faute également d’une réforme intellectuelle et morale dont la France avait tant besoin au sortir de la IVe République et dont De Gaulle ne s’est absolument pas soucié, cet État, progressivement  recolonisépar les intérêts partisans et oligarchiques, a favorisé sa propre soumission à des instances supranationales et, par-delà, l’asservissement de la France. Et il l’a fait sur fond de neutralisation idéologique, qui a  même atteint une haute fonction publique désormais largement dénationalisée et qui ne croit plus en la France.

Certains ont rêvé, un temps, de « couronner » la VeRépublique : laquelle, serait-on tenté de demander ? Car celle de 2020 n’est plus celle de 1962. Cette constitution pourra, bien sûr, servir, le moment venu, d’intermédiaire institutionnel. Mais nous sommes en 2020 ;  nous ne sommes plus en 1964. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de rêver, car le temps presse. La monarchie, il faut désormais la faire.

François Marcilhac

[1] Comte de Paris, Général de Gaulle, Dialogue sur la France, Correspondance et entretiens, 1953-1970, Fayard, 1994.