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L’Editorial de François Marcilhac

LE CABRI À SCOOTER

L’article 21 de la Constitution est pourtant clair : « Le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement », lequel — article 20 — « détermine et conduit la politique de la Nation ». Le moins qu’on puisse dire est que Jean Castex n’aura pas fait longtemps illusion et qu’il finit de discréditer une fonction à laquelle Sarkozy, traitant Fillon comme un vulgaire collaborateur, avait déjà porté un coup certain. Mais c’est sous Hollande, puis sous Macron que la fonction de Premier ministre a fini de perdre toute crédibilité et, surtout, toute dignité, ni Ayrault, ni Valls, ni Philippe, ni Castex ne réussissant à imposer aux membres du gouvernement la cohésion nécessaire pour, précisément, déterminer et conduire la politique de la Nation.

UN PREMIER MINISTRE DISCRÉDITÉ

Il est vrai que, la présidentialisation du régime aidant, le gouvernement ne détermine et ne conduit plus rien, ou presque. Mais il faut au moins sauver les apparences et ne pas apparaître comme un gentil directeur d’école sans autorité, incapable de siffler la fin de la récréation. Or Jean Castex, que l’histoire de France a déjà oublié, s’est montré incapable de diriger l’action du gouvernement en assurant sa cohésion sur un point important, primordial même : les politiques pénale et de sécurité, qui vont de pair, Darmanin et Dupond-Moretti se chamaillant par médias interposés à propos d’un éventuel « ensauvagement » de la société, sur lequel le pays légal est bien le seul encore à s’interroger, le pays réel le subissant tous les jours. 

Macron étant, manifestement, le seul auteur de ce gouvernement, il est vrai que Castex a trouvé dans son trousseau de premier ministre, en application du « en même temps », à deux postes complémentaires, deux ministres aux sentiments opposés : un sarkozyste à l’intérieur et, à la justice, un avocat médiatique de gauche promouvant le scandale, droit-de-l’hommiste, immigrationniste et adversaire rabique du Rassemblement national qu’il souhaitait, il y a peu encore, faire interdire.

DARMANIN, DUPOND-MORETTI : DEUX MINISTRES DE LA PAROLE ?

Sont-ils, pour autant, si étrangers l’un à l’autre que cela ? L’un et l’autre instrumentalisent une origine modeste (leur mère femme de ménage) et immigrée : Dupond-Moretti a la double nationalité italienne et française, tandis que Darmanin, le jour de sa passation de pouvoir avec Castaner, traite d’immigré son grand-père, dont il porte en second le prénom (Moussa), alors qu’il s’agit d’un patriote français musulman, ancien tirailleur algérien et résistant dans les FFI. Mais il faut bien donner des gages à la gauche immigrationniste. L’un et l’autre, également, ont été instruits dans des collèges religieux — comme FrançoisRuffin de la France insoumise, comme Macron, comme Castex, comme tant d’autres du pays légal, ce qui interroge sur la faillite de l’enseignement catholique. Mais surtout, l’un et l’autre remplissent un ministère de la parole et, sur ce point, Dupond-Moretti a une longueur d’avance : pour la simple et unique raison que la parole est le domaine propre de l’avocat, de la justice et du droit, où elle commande l’action, voire est action — elle est alors performative, dit-on en langage savant —, quand elle ne devrait faire qu’accompagner l’action dans le domaine de la sécurité. Bref, même en se contentant de parler, Dupond-Moretti naguère avocat, aujourd’hui ministre de la justice, agit ; en se contentant de parler, Darmanin se ridiculise. 

C’est par la parole, en effet — une « preuve » elle-même devant parler — que l’avocat de la défense, mais aussi celui de l’accusation ou le représentant du ministère public agissent pour déterminer l’innocence ou la culpabilité d’un accusé que la délibération des jurés  (la parole encore) conduira à acquitter ou à condamner. L’art que les sophistes ont enseigné dès l’antiquité ne devant périr qu’avec l’homme, il suffit que la persuasion épaule le mensonge pour que Socrate soit coupable ; ou pour qu’un ministre de la justice détermine et conduise une politique pénale faisant de chaque criminel une victime de la société ; ou, encore, ouvre les frontières à un bateau de migrants considérés comme autant de « réfugiés », considérés eux-mêmes comme autant de chances pour la France — et on peut déjà être certain du laxisme de Dupond-Moretti en ces deux matières. De même, il suffit que la persuasion épaule le mensonge pour que le ministre de la justice, garde des sceaux, avec une majorité complice, décide que deux personnes de même sexe peuvent se marier, qu’un enfant deux mères, mais pas de père, ou deux pères, mais pas de mère, ou que la mise à mort d’un foetus parfaitement viable la veille de l’accouchement n’est pas un infanticide…  Tout cela s’appelle le règne du sophisme. Dupond-Moretti marche dans les traces de Taubira.

CYNISME CONTRE AUTISME IDÉOLOGIQUE

Oui, en matière de justice et de droit, la parole commande l’action, voire est action.  Malheureusement — ou heureusement —, il n’en est pas de même en matière de sécurité, et ce qui a été perdu, par lâcheté et souci économique à courte vue depuis plusieurs décennies, ne saurait être rattrapé parce que Darmanin saute comme un cabri en répétant « Ensauvagement ! », « Ensauvagement ! ». On mesure évidemment à quel point, chez Dupond-Moretti, l’idéologie a chassé toute lucidité, voire tout bon sens, quand il ose soutenir : « L’ensauvagement, c’est un mot qui développe le sentiment d’insécurité. Pire que l’insécurité, il y a le sentiment d’insécurité. » On a peine à croire qu’un ministre de la justice ait pu prononcer de telles paroles, ne dénonçant en même temps, dans le viol par un récidiviste, suivi de meurtre, d’une jeune fille à Nantes, qu’une « surenchère populiste » (sur Europe 1, le 1er septembre dernier). Il y a donc pire, pour notre ministre de la justice, que le cadavre de cette jeune fille violée et assassinée : la peur d’autres jeunes filles de subir le même sort de la part d’un récidiviste ! Le « populisme » pire que le viol et le meurtre : Dupond-Moretti n’est pas seulement déconnecté de toute réalité, en ne voyant dans l’insécurité qu’un sentiment dangereux, et non une réalité vécue au quotidien par nos compatriotes : l’idéologie a manifestement étouffé en lui tout sentiment humain.

Toutefois, comment prendre le parti de Darmanin, lorsque, disciple d’un Sarkozy qui a aboli la « double peine », supprimé les renseignements généraux et pratiqué une politique immigrationniste forcenée — on en mesure les conséquences alors que s’ouvre le procès des attentats islamiques de janvier 2015 —, il sait très bien — en aurait-il le désir — qu’il n’aura pas les moyens de déterminer et de conduire une politique de sécurité qui impliquerait à la fois des réformes législatives courageuses, nécessitant pour certaines de passer outre le Conseil constitutionnel en demandant directement son avis au peuple, et des moyens importants tant en hommes qu’en matériels ? Bref une volonté politique qui, pour exister, devra s’inscrire dans l’action et le dur. Ou la parole ne suffira pas à faire advenir davantage de sécurité, alors qu’elle peut suffire à l’augmenter. Alors, tout aussi cynique que son collègue de la justice est enfermé dans son autisme idéologique, il multiplie les déclarations mais, lui, au risque de se ridiculiser, ordonnant et médiatisant des actions qui se traduisent, comme à Grenoble, par la confiscation de deux scooters… Qui, de nos deux ministres, méprise le plus un peuple dont ils se prétendent issus ? 

En Macronie, Darmanin et Dupond-Moretti se chamaillent dans les médias, pour tromper l’électorat de droite, mais ne s’opposent pas. Ils se complètent. Le pays légal, aidé des médias officiels, en parlant sans cesse de sentiment d’insécurité, ne cherche rien d’autre qu’à déréaliser le réel, à convaincre ces Français-qui-ne-sont-rien que le réel qu’il subisse— |‘insécurité, la misère, la précarité — n’est qu’un ressenti qu’il s’agit de traiter, mais en eux, comme une maladie. Darmanin, au bout du compte, aura nécessairement fait reculer l’insécurité puisque son collègue Dupond-Moretti aura convaincu les gogos que la réalité de celle-ci n’est en fait qu’un dangereux sentiment populiste — le pire de tout ! Une autre épidémie, à éradiquer, grâce à un masque porté, celui-là sur les yeux. Chacun fait le job, comme on dit aujourd’hui, aux dépens de ces Français modestes dont ils osent pourtant se réclamer : déterminer et conduire la politique du pire, à savoir la réélection de Macron. 

François Marcilhac