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L’Editorial de François Marcilhac

LA CONVERGENCE DES PROGRESSISMES

C’est Alain Finkielkraut qui eut l’intuition d’annoncer que l’antiracisme serait le communisme du XXIe siècle. Et les événements surgis aux Etats-Unis au printemps 2020, sous le nom générique « Black Lives Matter » (BLM), et importés presque aussitôt en Europe occidentale, notamment en France, n’ont fait que confirmer, par leur dimension internationale, le caractère quasi pandémique de cette nouvelle idéologie. Oui, l’antiracisme apparaît bien comme le nouveau communisme, reposant comme lui sur un phénomène mondial : au XIXe et au XXe siècles, la naissance et le développement du prolétariat ; au XXIsiècle, celle du communautarisme ethnique sur fond de mondialisme.

On ne s’est toutefois pas suffisamment aperçu que le trait de génie de Finkielkraut ne consistait pas tant à pointer l’antiracisme qu’à voir dans le communisme le référent suprême d’un universalisme dévoyé. Pourquoi ? Parce que l’idéologie marxiste fut, de par ses origines mêlées (matérialisme antique, empirisme et économisme anglais, utopie libérale d’un sens de l’histoire dialectisée par Hegel, hybris d’un nouvel homme), le paradigme du progressisme issu du siècle des Lumières. Et que son implosion à la fin des années quatre-vingt, ou son bing-bang, pour employer une métaphore cosmologique, a, en quelque sorte, libéré les éléments dont il faisait alors la synthèse la plus aboutie. Sur fond de mondialisme, le consumérisme américain a su les agglomérer dans une nouvelle dynamique.

Car l’antiracisme n’est pas le seul à prétendre au titre peu glorieux de communisme du XXIsiècle : l’idéologie de la repentance et postcoloniale (forme d’antiracisme), le féminisme, la théorie du genre, l’écologisme, l’antispécisme (dont le véganisme est une pratique) ou le transhumanisme, le peuvent également de manière tout aussi légitime en ce qu’ils sont d’autres expressions du progressisme, parfois contradictoires (ainsi du féminisme et de la théorie du genre qui ne font pas toujours bon ménage), souvent complémentaires. Un point commun : nier la nature humaine, vouloir transformer le monde et l’homme au nom de l’utopie (Marx n’a rien inventé), se libérer de toute tradition pour s’inventer : le progressisme est le nom moderne du vieux prométhéisme. Cette aspiration à l’autonomie, qui repose sur un sentiment de démesure (« Vous serez comme des dieux ») nécessite toujours de « casser les codes », c’est-à-dire, pour faire table rase d’un passé synonyme d’hétéronomie, de s’attaquer aux symboles dans une violence qui, une fois assimilée (comme on assimile un aliment) fait perdre ses défenses immunitaires à l’homme prétendument « ancien » (dans un tout autre sens que biblique), au profit des potentialités indéfinies de l’homme « nouveau ».

Car la violence, non pas au service de la raison, mais d’un nouvel horizon, comme tel, inaccessible, est consubstantiel au progressisme. Quelles que soient les formes qu’il prend, et leur intensité — il emprunte souvent la voie du réformisme —, celui-ci est un projet fondamentaliste, radical. Aussi retourne-t-il sa violence intrinsèque contre ses adversaires en les diabolisant, afin qu’ils apparaissent comme les agresseurs. Telle est la fonction des différentes lois « scélérates » (associatives, mémorielles, sociétales) qui visent à interdire aux simples « conservateurs » le droit de défendre les principes traditionnels de la société en les criminalisant a priori. La loi Taubira sur l’esclavage est un modèle du genre : violente en soi puisque négationniste et raciste, en ce qu’elle nie le caractère universel de l’esclavage dans l’histoire pour n’en imputer la faute (et la repentance) qu’aux seuls « Blancs ». Elle a permis de harceler des universitaires dans le seul but d’interdire les travaux historiques au profit de la logorrhée antiraciste. La violence du « mariage » homosexuel contre la notion même de mariage ? La raffarinade législative de 2004 sur l’ « homophobie » visait à prévenir toute contestation de ce que Taubira, en un moment de sincérité qu’elle regretta, appellera elle-même un « changement de civilisation », avant de se contenter, par recours au réformisme, d’un paralogisme : le mariage deviendrait ainsi enfin « universel », alors qu’il l’était déjà puisque, à l’exception du tabou de l’inceste et une fois les conditions d’âge remplies (écarter la pédophilie), tout homme pouvait déjà épouser toute femme. Taubira ne pouvait prétendre qu’il n’était pas universel qu’en modifiant préalablement la définition même du mariage, ouvrant ainsi un tonneau des Danaïdes, car il est facile, au gré de fantasmes divers, appelant à ouvrir autant de « droits à », qu’il ne l’est toujours pas. Est-il également besoin d’évoquer la violence radicale faite à l’enfant et à la parenté (devenue une idéologique « parentalité ») via la PMA et la GPA pour les couples homosexuels ?

Toutes choses étant égales par ailleurs, les dérapages (qui n’en sont pas) des maires écologistes sur le Tour de France ou la sapin de Noël relèvent de la même violence, ici symbolique. Une fois n’est pas coutume, nous ne pouvons que donner raison à Marlène Schiappa d’avoir traité de « rabat-joie » les maires écolos de Bordeaux et de Lyon. Mais il faut aller plus loin, ce qu’elle ne saurait faire puisqu’elle est elle-même progressiste. En s’attaquant à une grande manifestation populaire (dont la notoriété déborde du reste largement nos frontières), entrée dans la culture française, l’écologisme vise directement cette rééducation du pays réel que les prétendus tirés au sort de la Convention citoyenne pour le climat ont déclinée en 150 propositions. En traitant d’ « arbre mort » le sapin de Noël, qui symbolise au contraire la Lumière et la Vie, et cela quelle que soit son ancienneté ou son origine, ils s’attaquent à la joie même de Noël et à l’inscription de cette joie, surnaturelle pour les Chrétiens, dans la société.

Mais l’écologisme ne peut-il pas se prétendre à bon droit comme une idéologie universelle, puisque l’écologie concerne la façon même d’habiter le monde ? Que l’écologisme se mêle aussi de féminisme (comme les maires de Rennes et de Lyon, qui ont dénoncé le caractère prétendument machiste du Tour de France) est l’indice d’une perméabilité de ces différentes idéologies qui composent le progressisme. On sait aussi que l’écologisme, ennemi paradoxal de toute notion de nature humaine, ouvre sur le véganisme (visant à transformer un omnivore en granivore, comme des éleveurs industriels fous ont un temps transformé des herbivores en carnivores) ; ou que ses militants, en majeure partie, sont favorables à toutes les « évolutions » sociétales visant à détruire la famille, qui serait le lieu d’un patriarcat honni, le tout sur fond d’un mondialisme ou d’un cosmopolitisme (immigrationnisme) prenant prétexte du caractère mondial des problèmes écologiques.

Oui, l’antiracisme est bien le communisme du XXIe siècle, mais aux côtés d’autres progressismes. Il faut s’attaquer à chacun d’entre eux comme à leur convergence, qui est celle de tous les fondamentalismes, de tous les fanatismes, de tous les nihilismes.

François Marcilhac