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Hommage à Jean Raspail (suite)

Par Anne Chevallier et Béatrice Challes

Dernière lettre à Jean Raspail, Un article de la revue « Le Bien Commun »

Retrouvez la première partie ici.

Sans parler de ses succès commerciaux, en France comme à l’étranger. Pourquoi, alors ? La réponse est tout entière dans la devise qu’il a créée et dont il a fait don à la famille Pikkendorff :  » Je suis d’abord mes propres pas « . Portant beau dans ses vestes autrichiennes et son éternel duffle coat, toujours paré de sa cravate fleurdelysée (le 21 janvier, elle était  » de sable semé de fleurs de lys d’or « ), ce grand gaillard élégant, à la majestueuse moustache, en imposait. Plus viking que germanopratin, il détonnait assurément dans ce milieu corseté de l’édition parisienne. Le panache avec lequel il défendait ses idées – lui qui était  » pour le trône et l’autel  » – suscitait en outre l’admiration de nombre d’écrivains (je songe à Jean d’Ormesson, à Michel Déon, à André Frossard parmi bien d’autres), jaloux de sa liberté et, partant, de l’univers qu’il avait créé, lui  » Jean Raspail, consul général de Patagonie « . » Alain Sanders parle de vous comme d’un homme d’honneur :

« Jusqu’à son tout dernier souffle, Raspail fut un combattant. Un homme rare aussi, un ami fidèle, un complice jamais en retard d’une noble attitude. » Il évoque pour nous : « Souvenirs de journées d’été passées au Cap Fréhel et à Erquy (dans la mémoire de Michel Mohrt), promenades bretonnes sur les pas de notre cher Armand de La Rouërie, lectures et relectures commentées du Capitaine Fracasse, son livre de chevet, l’hymne patagon écouté au garde à vous, des dîners de mousquetaires dans son appartement parisien… » Pour Laurent Dandrieu, c’est en amis et voisins que vous vous êtes côtoyés à plusieurs occasions. Autour d’un verre (ou deux) d’un excellent whisky, Dandrieu a « alors été charmé par un être plein de gentillesse, prévenant et délicieux, l’exact contraire de la réputation de prophète haineux du grand remplacement qu’on lui a faite. » Il est amusant de noter que le souvenir du whisky est aussi présent chez Christophe Parry : un « Lagavullin 16 ans – un Islay, forcément. Une dose énorme, le double de la sienne. » Et puis, quand Christophe Parry ne vous suivait pas avec un spiritueux, il vous accompagnait dans une aventure spirituelle :

« Explorateur, membre de l’association des écrivains de marine, le capitaine de frégate Raspail était de ceux que l’on aimait suivre, que l’on jurait de suivre partout – comme une seconde promesse scoute : « sur mon honneur, et avec la grâce de Dieu, je m’engage à vous suivre dans vos voyages sur les chemins d’eau du Roi, en Terre de Feu, dans les royaumes de Borée, en terres saintes, vers le Septentrion et audelà des mers. » Je ne doute pas qu’il demeurera un modèle pour cette jeunesse qui sait encore lire, qui sait encore rêver, et rêver d’ailleurs, pour cette jeunesse qui a conscience que les combats les plus beaux sont ceux qui sont perdus et surtout que les combats perdus sont ceux que l’on n’a pas menés… »

Depuis le 13 juin, vous laissez les sujets du royaume de Patagonie orphelins de leur consul général.

Nous vous avons accompagné à Saint Roch il y a quinze jours.

Vous nous avez vus d’en-haut : il y avait foule. Votre famille, vos amis, le Comte de Paris, une délégation du duc d’Anjou, vos lecteurs, les sujets du royaume de Patagonie, de nationalité ou de cœur. Nous nous serrions dans cette immense église royale voisine des Tuileries, abandonnant enfin les gestes barrières que nous a imposé la République. Un vent de liberté a soufflé ce matin-là sur le parvis de Saint-Roch. Votre cercueil est arrivé, recouvert du drapeau bleu blanc vert. Oriflammes patagons, Baussant des Scouts d’Europe. Votre Messe d’enterrement ne fut pas triste, mais empreinte d’Espérance. L’abbé Laurent qui la présidait le souligna dans son sermon : les thèmes de votre œuvre que sont l’idéal, le sens du sacré et l’héroïsme renvoient directement aux trois vertus théologales : la Foi, l’Espérance et la Charité.

Comme nous, Bruno Gollnisch était présent. Comme nous, il a écouté M. de Montety, du service de presse du Consulat Général de Patagonie, dont le discours était « drôle et émouvant à la fois ».

Pour lui, vous êtes parti au moment où se réalise votre prophétie du Camp des Saints : l’affaire Traoré, le déboulonnage et la dégradation des statues de nos anciens, le racisme anti-blanc, on y est. Vous avez été « l’un des éveilleurs » et cette cause vous préoccupait sans doute autant que lui. Alain Sanders le croit aussi :

« A force de le côtoyer depuis quarante ans, j’avais fini par le croire immortel. Et puis… Et puis, peutêtre pour ne pas voir ce que, vox clamanti in deserto hélas, il annonçait depuis si longtemps, Jean Raspail s’en est allé au-delà des mers où l’attendent les Pikkendorff, Antoine de Tounens, Irène, Zara, une poignée d’Alakalufs, Bonnie Prince Charlie et tous les autres… » Contre ceux qui vous accusent de pessimiste, il affirme : « Le crépuscule de l’Occident était un de ses grands chagrins. Mais il ne s’est jamais laissé aller au désespoir et encore moins à la désespérance qui est un péché. »

Vous avez terminé votre vie dans une France confinée. Cela a dû vous paraître absurde… Vous étiez un explorateur. Vous n’avanciez pas masqué, vous, et il était impossible de vous voler votre rêve.

On a cherché à vous faire taire :

on est allé chercher un virus jusqu’en Chine pour essayer de vous empêcher de jouer le jeu du roi.

Fier de vos convictions, vous avez donc décidé de laisser là notre société en débâcle pour effectuer le plus grand et le plus important voyage qui soit : celui qui va de ce monde à l’autre, à la Cité éternelle, où vous devez être bien plus heureux en présence du beau, du bien et du vrai que vous n’avez cessé de chercher au bout de votre plume. Alain Sanders conclue :

« Sur la route des oies sauvages, Jean Raspail a pris le chemin du Bon Dieu. Avec la même sérénité d’âme qui était la sienne quand, tout jeune homme en 1949, il était parti en canot sur les chemins du roi, du Saint-Laurent au golfe du Mexique… Que les vents, et d’abord ce terrible pampero qui souffle sur notre Patagonie, lui soient de solides compagnons de voyage ! » Avec votre mort, Laurent Dandrieu offre ce message plein d’espérance, qui est pour lui votre enseignement, et que chacun de vos lecteurs devrait avoir en mémoire : « même lorsque tout paraît s’effondrer, nous restons, tous autant que nous sommes, rois d’un royaume inexpugnable – que chacun reste quoi qu’il advienne souverain absolu de son âme. Jean Raspail ne voulait pas être un maître à penser ; mais il était et reste pour ses lecteurs un maître à vivre. » Mais c’est avec une plume féminine que nous achèverons cet hommage. Agnès Marion ose user de cette image très actuelle du fameux genou à terre pour rappeler qu’avec Raspail, « on ne met donc pas un genou à terre, on se redresse, on apprend à garder ses citadelles, à commencer par sa citadelle intérieure, sans laquelle rien de solide n’advient, ne s’édifie ni ne se transmet. Pour ma part, je remercie l’homme, l’écrivain, l’aventurier, le prophète, le consul de m’avoir donné l’amour de nos vieilles civilisations, la conscience de leur fragilité, et, pour les faire vivre et les défendre, le goût de l’Aventure, de l’insolence, de l’élégance, et enfin l’Espérance. » Ainsi s’achève notre lettre. Mais notre route avec vous, elle, ne fait que commencer. Et comme le fait si habilement remarquer Adrien Chollard, « le consul général du royaume de Patagonie méritait bien un boulevard. Moins d’une semaine après la disparition de l’écrivain et explorateur Jean Raspail, le 13 juin 2020, quelques-uns de ses admirateurs se sont attelés à lui rendre hommage. Dans la nuit du 18 au 19 juin, un petit commando de 6 personnes a parcouru les 2,3 kilomètres du Boulevard Raspail pour le rebaptiser en  » Boulevard Jean Raspail « . L’artère qui traverse les VI e , VII e et XIV e arrondissements de Paris, portait auparavant ce nom en mémoire du chimiste, botaniste et homme politique français FrançoisVincent Raspail, décédé en 1878 ».

Les plaisantins, armés d’escabeaux et d’affiches autocollantes – dont les mesures avaient été prises au préalable –, ont recouvert proprement une cinquantaine de plaques.

Une action menée efficacement et méthodiquement, de la place Denfert-Rochereau au Boulevard Saint-Germain en deux ou trois heures de temps.

Le coup d’éclat a provoqué la colère des trop sérieuses bonnes consciences de gauche sur les réseaux sociaux. Au contraire, l’action a été saluée avec enthousiasme par la chancellerie du royaume de Patagonie qui a adressé « au nom de tous les Patagons, ses plus chaleureuses félicitations à la fine équipe ». Selon les termes du chancelier François Tulli, « cette opération menée dans un esprit tellement raspailien, de façon très esthétique, est une consolation bienvenue en ce temps de tristesse pour la Patagonie et les Patagons ».

Cet humble hommage se voulait totalement imprégné de l’esprit du défunt écrivain. Il s’inscrit dans la filiation de la prise de l’archipel des Minquiers au nom du roi Orélie-Antoine I er . Le « Jeu du roi » continue donc. Selon les termes du directeur du Figaro Littéraire Étienne de Montéty, il est « une façon élégante d’agir et d’embellir le monde en recourant à l’imaginaire patagon ». En attendant, les affiches demeurent.

« Les Patagons parisiens et les Patagons provinciaux de passage, ou banlieusards, sont invités à en profiter, en allant flâner Boulevard… Jean Raspail… Ils pourront faire un petit crochet pour aller se recueillir sur la tombe de notre consul général au cimetière du Montparnasse qui est sur le chemin ». »

À retrouver aussi, l’hommage d’Hilaire de Crémier dans le numéro d’été de Politique Magazine.

Extrait :

« Jean Raspail avait le sentiment plus que quiconque de cette situation atroce pour toute âme bien née ; et, très jeune, il n’en a jamais pris son parti. Un rejet profond et violent soulevait son âme, noble par nature, de toute cette chienlit institutionnalisée qui, sous prétexte d’on ne sait quelle modernité, tue dans l’homme, singulièrement dans l’homme français, toutes les forces spirituelles qui pourraient l’élever. »

LE BIEN COMMUN