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Une mobilisation en gestation

La Manif pour tous le promet : « la rentrée sera très chaude » ! Et si déjà, quelques banderoles sont déployées sur des ponts, au cœur de l’été, la mobilisation démarre lentement… Rapide tour d’horizon d’une mobilisation encore en gestation.

« Les gens commencent à réserver leur date du 6 octobre » veut croire Philibert Ducoin. Responsable des activités politiques de la fédération nantaise des Associations familiales catholiques (AFC), l’une des associations qui appelle à manifester le 6 octobre prochain, le jeune trentenaire en sera. Cela ne fait aucun doute. Pour lui, « la PMA est un sujet grave. On s’est mobilisé en 2013, avec raison, contre le mariage pour tous. On est donc obligé de se mobiliser contre une conséquence directe de ce mariage pour tous et que nous dénoncions déjà à l’époque ». A la rentrée, le Nantais compte reprendre ses actions de lobbying auprès des parlementaires de sa ville. Déjà en 2018, il les avait tous rencontrés, un par un, pour évoquer les questions de politique familiale. En attendant ces éventuels rendez-vous, il s’agit de « remobiliser les réseaux », en veille plus ou moins active depuis 2013. Pour Philibert Ducoin, « les conditions sont réunies pour que la mayonnaise prenne : l’union des associations et le contexte politique ». Le discours est résolument optimiste. « Et puis, conclut-il, une manifestation, plus que le défilé en lui-même, c’est surtout l’occasion de faire connaître notre point de vue dans les médias ».

À Lyon, Frédéric Espieux, un trentenaire dynamique, au cœur de tous les réseaux pro-vie, est déjà largement mobilisé. Il ne s’est d’ailleurs pas beaucoup arrêté depuis ses années étudiantes. Le militantisme, il connaît. D’ores et déjà, son agenda de septembre est chargé d’un certain nombre de réunions préparatoires, afin de mettre au point les actions de ce début d’année scolaire. Il sera bien sûr présent à Paris le 6 octobre. « On ne doit pas se laisser décourager par les désillusions du passé », plaide-t-il auprès de ses amis et de ses proches, qui voient déjà la défaite poindre au bout du combat, comme en 2013. Mieux encore, il croit fermement dans la nouvelle génération qui a découvert le militantisme dans les manifs du quinquennat de François Hollande.

Luc Lahale, le président de la Cocarde étudiante, un syndicat étudiant de droite, est du même avis. Son syndicat est « opposé philosophiquement à la PMA pour toutes et participera à la mobilisation contre le projet de loi ». En 2013, à l’époque des grandes manifs, La Cocarde étudiante n’existait pas encore. Évidemment, certains militants, qui s’engageront ensuite dans le syndicalisme étudiant, participaient déjà aux rassemblements de La Manif pour tous. Mais, les plus jeunes militants, étaient encore adolescents… S’ils manifestaient, c’était en famille, avec papa et maman. Aujourd’hui, tous sont prêts à y aller et à y aller à fond. « Beaucoup, bercés par les récits de manifs, mais trop jeunes pour les avoir faites, n’attendent que ça, d’ailleurs », sourit un militant. « C’est assez encourageant ! »

Y aller… par devoir

Pourtant, à ce jour, il est difficile de savoir si la mobilisation va prendre. « Pour le moment, je ne le sens pas, nous confie Martin, qui animait des manifestations en Provence en 2012-2013. Mais il est vrai qu’on est au cœur de l’été, et que les gens sont encore en vacances. On verra à la rentrée », continue-t-il, sans grande conviction… Un pessimisme qui ne l’empêchera pas de monter à Paris le 6 octobre prochain, par devoir. « A-t-on vraiment le choix ? » s’interroge-t-il.

Erik Tegnér, le très médiatique ancien candidat à la présidence des Jeunes républicains et fondateur d’un petit mouvement appelé Racines d’avenir, semble partager ce pessimisme. « Je pense que malheureusement le sujet de la PMA mobilisera beaucoup moins les foules que le mariage pour tous en 2013, nous explique-il. Tout simplement parce que la PMA concerne peu de gens et reste marginale »… Quoiqu’il en soit, Tegnér appelle à « se mobiliser massivement et avec détermination le 6 octobre. Non pour faire de la figuration ou bonne figure auprès de ses proches, mais pour faire réellement plier le chef de l’État. La politique c’est l’art de changer les choses, et non de subir avec le sourire ».

Avoir une vision politique de la situation ! Essentiel, pour Isabelle Surply, qui nous l’explique : « le gouvernement organise son agenda parlementaire sur notre capacité à oublier ». Elle, elle n’a rien oublié. En 2013, elle animait les manifestations lyonnaises, même si elle l’avoue, « manifester n’a jamais été mon action favorite ». Depuis, l’engagement de cette mère de famille a pris un tour nettement plus politique. En 2015, elle se fait élire au conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes, où elle siège dans les rangs du Rassemblement national. La manifestation du 6 octobre ? « Oui il faut y aller, mais les yeux grands ouverts. En 2012 – 2013, nous étions plein d’espérance. Aujourd’hui nous avons appris de nos actions : beaucoup d’entre nous se sont investis dans la cité à l’issue de la mobilisation contre la Loi Taubira et c’est très bien ! » Autant dire que la manifestation du 6 octobre n’est absolument pas une fin en soi. Et d’ajouter, « la Manif pour tous est un outil. Et il nous faudra inventer d’autres moyens pour que notre action soit totale et convienne au plus grand nombre ». Pour elle, le combat est d’ailleurs beaucoup plus large : « Le combat que nous menons est civilisationnel et chacun doit se poser la question suivante : quel monde souhaitons-nous pour demain ? » Participer à la manifestation du 6 octobre, refuser la PMA, est donc déjà une réponse.

Comparée à 2012, la situation n’est plus la même

En 2012, Jean-Christophe Cambadélis, alors en campagne pour devenir premier secrétaire du parti socialiste, avait alerté François Hollande, lui expliquant que le mariage homosexuel ne pourrait passer que dans la douleur. Il notait alors « l’importance de cette question pour le peuple de droite ». Durant l’été, il avait même été « frappé par le nombre de conférences, de débats, de colloques qui touchent au mariage gay. Si la banlieue ouest se prépare, pense-t-il, c’est toute la France de droite qui devrait suivre ». Et quand, on lui répond alors que la droite est à l’agonie – Sarkozy battu au printemps 2012, l’UMP allait connaître à l’automne suivant le psychodrame de la bataille Fillon-Copé – en trotskiste fin connaisseur des mouvements sociaux, Camba rétorque « quand la droite est à plat, c’est l’Église qui devient l’opposition »1.

Les faits ont donné raison à Cambadélis. Le 15 août 2012, le cardinal Vingt-Trois invite les catholiques de France à prier pour que les enfants « cessent d’être les objets des désirs et des conflits des adultes pour bénéficier pleinement de l’amour d’un père et d’une mère ». Cette prière, lue dans toutes les églises du pays, est comprise comme une déclaration de guerre par le gouvernement socialiste et comme un appel à la mobilisation pour les catholiques. Ils répondront présents en masse, avec la suite que l’on connaît.

Sept ans plus tard, où en sommes-nous ? Comme en 2012, la droite est à plat. « La banlieue ouest », pour reprendre les termes de Camba, est quant à elle entièrement ralliée au macronisme. Les évêques de France ? S’ils ont clairement pris position contre la PMA, ils sont nettement plus timides dans leurs appels à manifester… « Je pense qu’il n’est pas dans le rôle des évêques ou des prêtres de prescrire les moyens politiques avec lesquels les catholiques doivent travailler comme citoyens » a ainsi déclaré Mgr Éric de Moulin-Beaufort, nouveau président de la Conférence épiscopale. Si, sur le fond, il a sans doute raison, comme encouragement, on trouve quand même plus chaleureux…

Reste qu’en 2012, personne n’avait prévu un tel raz-de-marée de manifestants ; personne n’avait imaginé une telle opposition, résolue et constante dans sa durée, contre la loi Taubira. Mieux encore, personne n’avait imaginé le foisonnement d’initiatives et d’engagements issus de cette Manif pour tous. Alors pourquoi pas en 2019 ? C’est connu, « tout désespoir en politique est une sottise absolue… »

Jean Masson

(1) Raconté par Vincent Tremolet de Villers et Raphaël Stainville, Et la France se réveilla, éditions du Toucan, 2013.

Source : Le Bien Commun n° 10, septembre 2019.