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« La France est le pays le plus décentralisé d’Europe. »

3 questions à… Roland Hureaux, président-fondateur de l’association “Touche pas à ma commune”, qui a prononcé une conférence au Camp Maxime Real del Sarte 2017 sur la décentralisation

 

AF2000. Vous avez évoqué au début de votre propos les nombreuses idées reçues entourant le thème de la décentralisation, pouvez-vous revenir dessus ?

Roland Hureaux. La question de l’administration territoriale est déformée par beaucoup d’idées reçues, et j’ai essayé, peut-être avec un peu de provocation, d’en démonter certaines. Je pense par exemple que le centralisme n’est pas spécialement jacobin et je récuse l’opposition entre girondins et jacobins en rappelant que nos institutions datent de Bonaparte plutôt que de Robespierre.
J’estime en outre que le fait que la France ait 36 000 communes, dont certaines datent de l’époque gauloise, est un faux problème. Ce n’est pas une tare pour la France, c’est au contraire une richesse culturelle et sociale. Le regroupement des communes, comme le regroupement des régions, non seulement n’a pas fait faire d’économies mais a provoqué des dépenses nouvelles considérables (400 000 fonctionnaires recrutés pour tenter de fusionner les communes dans les communautés de communes ou d’agglomération et bien d’autres opérations dispendieuses). On se plaint du « millefeuille territorial » français, mais en réalité il existe en tout quatre niveaux, pas mille, ce qui n’est pas exceptionnel en Europe (où l’on peut trouver de trois à quatre niveaux selon les pays) sauf en Angleterre (où Margaret Thatcher a opéré un sabrage assez vigoureux). Le coût dépend de la qualité de la gestion plus que du nombre des niveaux. En France les collectivités territoriales ont une totale liberté pour augmenter leur fiscalité, ce qui n’est pas le cas en Angleterre ou en Allemagne Elles gèrent 85 % des investissements civils. La France n’a donc plus un Etat centralisé, elle est le pays le plus décentralisé d’Europe.

AF2000. En quoi la décentralisation, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, s’oppose-t- elle à la démocratie et aux identités locales ?

RH. La décentralisation en tant que telle ne s’oppose pas à la démocratie et aux identités locales. Mais telle qu’elle a été conçue en France, elle a abouti à une entreprise de destruction des identités. C’est l’intercommunalité qui est critiquable puisque nous sommes partis du principe que pour décentraliser efficacement, il fallait des collectivités locales fortes. Et comme nous n’en n’avions pas, en tous les cas pas assez, nous avons voulu regrouper les communes (comme les régions ou les départements). Nous avons fait de la dévolution de pouvoir à des entités qui n’existaient pas, qui n’avaient pas d’ancrage historique, et qu’on a tiré du néant pour qu’elles aient un formatage supposé idéal. Les nouvelles entités sont des entités artificielles sans le même ancrage historique que les communes. Or il s’avère, comme le montre Pierre Manent, que la démocratie ne fonctionne bien que dans le cadre d’une communauté historique, dans laquelle les gens se connaissent. Sans cette communauté historique, c’est le pouvoir technocratique qui s’installe (phénomène que nous retrouvons à l’échelle européenne, puisqu’en ignorant le rôle décisif des nations, l’Union Européenne a débouché sur un déficit de démocratie). C’est l’intercommunalité, plus que la décentralisation, qui a détruit la démocratie locale.

AF2000. Le problème ne vient-il pas du fait que la décentralisation est menée en tentant de généraliser des structures ou des principes de fonctionnement dont la pertinence ne serait que localisée ? N’est-ce pas ce que vous sous-entendez quand vous affirmez que « la réalité a besoin d’anomalies juridiques » ?

RH. Je dis que dans certains cas les anomalies juridiques (par exemple l’ancien système où le préfet était en même temps le représentant de l’Etat et l’exécutif du département ou de la région) n’ont pas d’effets malfaisants du simple fait qu’il s’agit d’anomalies. L’anomalie est au contraire bien souvent une adaptation pragmatique à une réalité locale. Je ne suis pas pour autant adversaire de certains modèles généraux. Nous avons en France une tradition qui fait que les collectivités ont à peu près toutes le même statut. Paradoxalement, une commune de 50 habitants a la même qualité de commune qu’une grande ville comme Lyon ou Marseille. Alors que l’habillage est le même, les réalités sont extrêmement différentes. Je ne crois cependant pas qu’il y ait problème dans cette uniformité juridique, qu’il faille reconstituer des provinces avec des statuts spéciaux. Nous avons d’ailleurs, notamment en Océanie, des territoires avec des statuts juridiques spéciaux (à Wallis et Futuna il y a même deux rois qui ont un statut officiel) ; de même, l’Alsace, la Moselle, ou encore la Guyane ont un statut concordataire. Je ne suis pas pour autant partisan de la création de statuts spéciaux pour le Pays-Basque par exemple (l’Espagne n’a pas réglé le problème régional en accordant un statut spécial à la Catalogne et au Pays Basque , ce pays demeurant sur ce chapitre des autonomies régionales en état de crise profonde).