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NON, EUGÉNIE BASTIÉ, BOUTANG N’A JAMAIS ROMPU AVEC MAURRAS

Par Axel Tisserand

Dans un article du Figaro du 23 septembre, Eugénie Bastié, présentant le dernier livre de Sébastien Lapaque, Vivre et mourir avec Georges Bernanos (chez L’Escargot), un recueil d’articles sur le romancier et polémiste, dans lequel le journaliste du Figaro littéraire « raconte comment personnellement la lecture de Bernanos l’a vacciné contre le maurrassisme, alors qu’il fut proche de l’Action française dans sa jeunesse », poursuit : « On songe alors à Pierre Boutang, qui avait rompu comme Bernanos avec Maurras mais reprochait au premier sa fièvre de converti qui lui faisait oublier ses anciens amis. » Et de conclure avec cette très belle citation de Boutang, tirée de son article de juillet 1948 sur la mort de Bernanos, repris dans Les Abeilles de Delphes : « Ce n’est pas le talent que Bernanos a perdu. C’est la communauté qui pouvait seule nourrir son talent, la fidélité sans laquelle il n’est pas de génie sans équivoque. »

On ne peut qu’être surpris qu’un esprit aussi fin que celui d’Eugénie Bastié n’ait pas perçu la contradiction ! Comment Boutang aurait-il pu reprocher à Bernanos d’avoir perdu, par sa rupture avec Maurras et l’Action française, « la communauté qui pouvait seule nourrir son talent, la fidélité sans laquelle il n’est pas de génie sans équivoque » et le suivre dans la même démarche, laquelle aurait conduit à la même équivoque ? La réponse est toute simple : Boutang n’a jamais rompu avec Maurras, à aucun moment de sa vie : ni en 1944-1945, au moment de l’arrestation du maître et de son procès auquel il ne put assister, retenu qu’il était, sous l’uniforme, dans le sud tunisien ; ni après la guerre, alors que Maurras lui avait confié la direction politique de l’hebdomadaire Aspects de la France qui avait succédé au quotidien L’Action française, interdit à la Libération ; ni ensuite, après la mort de Maurras, à La Nation française, hebdomadaire qu’il fonda en 1955 afin de rénover la démarche royaliste et de toucher un public plus large, mais sans pour autant renier le maître (la quasi-homophonie des deux titres l’indique suffisamment) ; ni ensuite, lorsque, ayant mis fin à l’aventure de La NF, rendu à sa vocation universitaire, il put se consacrer à la métaphysique et à la philosophie politique. Rappelant que Maurras, dans la biographie qu’il lui consacra en 1984, avait été « la matière de toute [s]a vie », il rappela aussi que c’est Maurras lui-même qui, en 1948, à la mort de Bernanos, contre l’avis de quelques caciques du journal, avait accepté la publication de son article plein de mesure sur « la grandeur et la misère » du polémiste et romancier. Du reste, pour Boutang, Maurras « avait pardonné à Bernanos ».

Comme il l’écrivait encore dans son Maurras : « Dès qu’ils touchent au fond des choses les habiles qui opposent Bernanos à Maurras perdent leur temps », allant jusqu’à évoquer « leur apparente séparation », après avoir qualifié (en 1982), commentant le livre de Gérard Leclerc Avec Bernanos, la querelle de « tragique malentendu ». Et d’ajouter que « la fanatique injustice à l’égard de Maurras, lorsqu’elle veut s’accommoder au culte, plus ou moins sincère et éclairé, de son compagnon devenu apparemment adversaire, oblige à des contorsions et falsifications dégradantes ». Apparente séparation, tragique malentendu, apparemment adversaire, contorsions et falsifications dégradantes : Boutang n’avait pas besoin de rompre avec Maurras pour rendre justice à Bernanos. Ne déclarait-il pas encore à quelques mois de sa mort, en 1998, dans un entretien accordé à Paul-François Paoli, et qui ne sera publié qu’en 2002, dans Les Provinciales :  « Je crois qu’il y a une politique de Bernanos qui rejoignait celle de Maurras. […] Qui peut reprocher à quelqu’un de ne pas être chrétien ? […] On peut prier pour qu’il ait la foi […]. La politique de Maurras était chrétienne jusqu’à un certain point. C’est plus une question de tempérament. »

Oui, Boutang n’avait pas besoin de rompre avec Maurras pour rendre justice à Bernanos. Le faire eût même été contradictoire à ses yeux.

Axel Tisserand

Vient de publier (août 2022) : Un Tragique Malentendu, la querelle entre Bernanos et Maurras, Paris, Les Éditions de Flore.