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L’Éditorial de François Marcilihac

Maurras, homme de l’année 2022 ?

Maurras, homme de l’année 2022 ? Alors que toute la bien-pensance, en 2018, se ligua, en grande partie en vain, pour empêcher une commémoration digne de ce nom du 150e anniversaire de sa naissance, ce serait une belle revanche, pour le 70e de sa mort. On est en tout cas en droit de se poser la question, à lire ou à écouter les éditoriaux, inquiets, bien sûr, de nos politistes des media officiels. Il ne se passe pas de semaine, voire de jour, sans que Maurras soit évoqué, à contre-sens le plus souvent, mais qu’importe ? Et quand ce n’est pas Maurras, c’est de Jacques Bainville qu’il s’agit, qui, par son génie et sa culture, sut tirer tous ses ressorts de l’empirisme organisateur. C’est ainsi que L’Humanité titrait le 9 novembre dernier sur une nouvelle pleine d’espoir : « Retour du maurrassisme », tandis que, fin octobre, sur Europe 1, Alain Finkielkraut, philosophe nostalgique d’une romantique identité républicaine, s’inquiétait du « retour du réalisme maurrassien ». Quant à l’historien de gauche Michel Winock, le jour anniversaire de la mort de Maurras, le 16 novembre dernier, dans L’Express, il notait que « le courant maurrassien connaît de nos jours une nouvelle jeunesse ». Et la fondation Jean-Jaurès de se pencher, fin novembre, sur l’influence de Jacques Bainville sur la pensée politique actuelle …de certain non encore candidat. Car c’est évidemment Zemmour qu’il convient de diaboliser de cette manière.

« LA REVANCHE DE MAURRAS » ?

Ainsi, le député MODEM Jean-Louis Bourlanges qui, il est vrai, voit dans Macron un « candidat d’exception », note dans Le Point : « Comme Maurras, Zemmour honore une France fantasmée et mutilée », tandis que L’Obs se demande : « Barrès, Maurras, Bainville : qui sont les inspirateurs de Zemmour » et de son « idéologie mortifère » ? Et quand Marc Knobel (La Règle du jeu) assène : « Zemmour est la revanche de Charles Maurras », Médiapart de s’interroger : « Comment expliquer le succès d’un idéologue faussement cultivé, qui entend réactiver la pensée et la politique de Charles Maurras » ?

Question angoissante, en effet, et qui ne saurait que tirer vers le bas le moral de nos élites politiques et médiatiques, plus sûrement encore que, pêle-mêle, la cinquième vague de covid-19, la soumission de Macron, après mille mâles déclarations, devant le refus des Britanniques de laisser travailler nos pêcheurs dans leurs eaux, la perspective d’une mutilation du territoire national exigée par l’ONU au nom d’une prétendue décolonisation, une augmentation toujours plus préoccupante du prix des biens de première nécessité (énergie, carburant, produits alimentaires) ; ou encore une violence sans cesse accrue, s’attaquant désormais aux plus jeunes, jusqu’au sein des cours de récréations, la sécession de pans entiers du territoire national devenus impénétrables aux forces de l’ordre, une immigration toujours plus incontrôlée, une attaque en règle de notre culture, de notre histoire et de notre langue au nom des idéologies à la fois les plus nihilistes et les plus totalitaires… Mais nos élites savent faire le grand écart et, en même temps, au sein du gouvernement  — il est vrai que Castex est un homme d’autorité — laisser s’afficher les positions les plus discordantes. Ainsi sur l’ajout du pseudo-pronom « iel » dans Le Petit Robert, qui touche à l’univers mental dans lequel s’inscrit notre langue. C’est un « progrès » pour Elisabeth Moreno, « ministre déléguée auprès du Premier ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances » (ouf !) — eh oui ! en Macronie un tel ministère, ça existe —, tandis que Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation, déclare : « L’écriture inclusive n’est pas l’avenir de la langue française »…

Alors oui, on est tenté de s’écrier : « Maurras, reviens ! Ils sont devenus fous ! » Mais le Maurras dont nous appelons de nos vœux le retour dans le débat national n’est évidemment pas le Maurras « fantasmé et mutilé » de Bourlanges, Winock, Finkielkraut and co. Ni même peut-être celui de Zemmour…  Ce n’est pas le Maurras rejeté par certains, ou espéré par d’autres. Ce n’est pas ce « mannequin » fabriqué de toutes pièces et qu’on présente comme un épouvantail aux Français afin de mieux les persuader qu’il n’y a pas d’autre voie possible que celle du renoncement, de la soumission et de l’effacement. Ce n’est ni un Jacobin blanc ni un nationaliste extrême, ni un raciste ni un homme sourd aux exigences de chaque époque — « la véritable tradition est critique» —, ni le théoricien athée d’une certaine forme de catholicisme — que de bêtises ont été écrites sur l’ « Église de l’ordre » —, ou l’apôtre d’une nation élevée au rang d’un absolu, lui qui enseignait que la fin de la chrétienté et l’émergence de l’ère des nations étaient loin d’avoir représenté un progrès pour l’ « humanité » — eh oui ! encore un concept maurrassien ! La nation, pour Maurras, du moins la nation française, est vecteur de l’universel.

CONTRE LES OLIGARCHIES, POUR LES CONTRE-POUVOIRS

C’est pourquoi, les auteurs d’un médiocre article sur Bainville sur le site de la Fondation Jean-Jaurès ont beau affirmer, sans l’étayer, qu’ « un régime présidentiel autoritaire, non élu et sans contre-pouvoirs serait une forme de monarchie contemporaine », aux yeux de Maurras ou Bainville, rien de plus faux. Du reste, un tel régime ne pourrait être que le fruit renouvelé de coups d’État ou de pronunciamentos, renouant avec une instabilité permanente que la monarchie royale permet précisément de juguler. De plus, les notions complémentaires de légitimité et de bien commun sont au cœur de cette monarchie royale, comme l’a fort bien démontré Pierre Boutang et comme Maurras, à travers le concept d’amour, l’a dit, lui aussi : « Au commencement de la royauté nationale […] il faut placer d’abord […] le fait de force qui est aussi un fait d’amour : la paternité. » Enfin, et surtout, que personne n’espère se réclamer de Maurras pour vouloir régler ses comptes avec les contre-pouvoirs. Si Maurras a visé les Etats dans l’Etat, c’était pour dénoncer l’usurpation des oligarchies à se prendre pour le tout quand elles ne sont que des parties, légitimes dans leur cadre. Quelles que soient les oligarchies en cause, la leçon est d’une actualité criante, puisque le régalien est aujourd’hui au service d’une faction qui a fait dissidence et qui ne se pense même plus comme membre de la communauté nationale. Mais bien loin de vouloir brider, ou brimer, la société civile, Maurras n’est venue à la monarchie que pour concilier les libertés familiales, locales, professionnelles, syndicales, régionales, qui sont premières, avec l’autorité d’un État soucieux du Bien commun et qui n’est que le fonctionnaire de la société — un État fédérateur.

« Toute doctrine de l’État dispensateur et distributeur de droits sera dissoute par cette simple observation que la société, tant spirituelle que temporelle, est antérieure, tant logiquement qu’historiquement, à l’État », a encore écrit Maurras. Autant dire que la monarchie royale saura restaurer le pays réel dans ses droits profonds. Oui, que personne n’ose se revendiquer de Maurras, de Bainville et, plus largement, de l’école d’Action française, pour réduire le roi à la triste dimension d’un gardien du désordre établi, à l’incarnation inutile d’un Etat au service d’un patriotisme niveleur, jacobin et, finalement, insensible aux Français, notamment aux plus pauvres, mais, en revanche, vassal de la finance, réduit à sa fonction de surveillance et de répression des classes « dangereuses ». Au contraire, si, en fonction des circonstances et de leur personnalité, nos rois furent attachés à un aspect plutôt qu’à un autre de leur fonction, ce le fut sans jamais oublier le Bien commun dans son ensemble. Saint Louis, Louis XI, Henri IV, Louis XIV, Louis XVIII ou Louis-Philippe furent les visages différents du même souci capétien, d’une même histoire d’amour millénaire.

François Marcilhac