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L’éditorial de François Marcilhac

Vers une crise de régime

Et si le problème, c’était lui ? Et si le chaos, la chienlit disait-on en mai 1968, c’était encore lui ? La surdité de Macron, son aveuglement, sa morgue, et cette propension à rompre le mutisme pour attiser les colères, jeter de l’huile sur le feu… Mais ne nous y trompons pas : le macronisme et sa faillite ne font que révéler de manière dramatique celle d’institutions qui n’ont plus rien à offrir aux Français pour répondre aux grands défis – sociaux, économiques, écologiques, anthropologiques – auxquels notre pays est confronté et dont, c’est un fait, le pays réel ne perçoit, dans sa légitime colère, qu’une dimension qui le touche directement, quotidiennement, mais qui ne les épuise pas.

UNE RÉPUBLIQUE AUX ORDRES

Car nous sommes dans le dur de la vie concrète de nos concitoyens avec la réforme des retraites, mais celle-ci, la manière dont elle (n’) a (pas) été préparée, dont elle n’a pas été négociée avec les syndicats, les exigences auxquelles elle répond de la part de l’oligarchie financière en font également un symbole : celui d’une République aux ordres des marchés que l’Europe elle-même s’empresse de satisfaire en tant que village-témoin du mondialisme. C’est ce qui explique que l’oligarchie ait vu, très tôt, en Macron, petit employé de banque ambitieux, égocentré mais sans colonne vertébrale, le pantin idéal pour appliquer sa politique indifférente, voire hostile aux peuples, mais elle a commis, de ce fait, une erreur de jugement. Car, contrairement à ce que pensent des « acteurs » qui, à force de cultiver l’entre-soi, sont devenus totalement hors sol, les Français ne sont pas encore prêts. Et ils ont même désormais de la mémoire : la victoire volée de 2005 est présente dans tous les esprits, même des plus jeunes, car leurs parents leur ont transmis le message : le pays légal a divorcé d’avec la nation.

Cette transmission, bien sûr, a eu des effets contraires : chez les meilleurs, elle a abouti à une prise de conscience politique dont nous voyons, à l’Action française, les conséquences les plus positives, avec une jeunesse nouvelle, toujours plus nombreuse, qui rallie le combat du nationalisme intégral et sait chaque jour davantage pourquoi, car cette jeunesse a le désir de se former et de transmettre à son tour. Chez les plus passifs ou les moins armés – ce ne sont pas les mêmes –, cette transmission a engendré du découragement, l’abstention, voire un repli individualiste, encouragé par un pays légal qui cherche à dissoudre ce peuple en une masse informe, éclatée, impolitique, dont on assure, avec un « pognon de dingue » l’existence minimale tout en favorisant chez chacun la multiplicité de désirs dont on fait, cette fois à moindre frais, autant de droits… On répond ainsi à une prétendue évolution sociétale, nouveau sens de l’histoire : hier le mariage pour tous, aujourd’hui la PMA étendue aux « couples » de femmes et la promotion du « genre », très bientôt l’euthanasie, qui permettra de faire des économies, une piqûre, même remboursée par l’assurance maladie, coûtant bien moins chère que des soins palliatifs…

MACRON : UN FAUX MONARQUE

Le pays légal, qui a déserté la France dans son cœur, ne cherche plus à comprendre les Français parce qu’il ne reconnaît plus en eux autant de concitoyens et de compatriotes dont il devrait être chargé d’assurer l’intérêt général. Car pour ce nouveau pays légal, celui de la gouvernance oligarchique, il n’y a plus ni cité à gouverner ni patrie à aimer : c’est la victoire absolue du saint-simonisme : l’administration des choses dans le cadre de la « souveraineté européenne » (Saint-Simon était un grand « Européen ») et non plus le gouvernement des hommes. Oui, la sécession du pays légal, c’est bien la Ve République qui l’a non seulement autorisée, mais plus encore encouragée : permettant d’un côté une stabilité à laquelle les précédentes républiques ne nous avaient plus habitués, mais, de l’autre, en étant incapable d’assurer l’indépendance de l’Etat et le caractère arbitral de la fonction suprême, donnant par cette stabilité recouvrée à l’oligarchie le moyen institutionnel d’en finir avec la France comme nation souveraine, avec les Français comme peuple historique. Et ceux-là même qui se désolent du « déficit démocratique » dont souffrirait notre pays, de la nécessité d’en finir avec une prétendue monarchie républicaine, ne proposent le plus souvent qu’un bricolage institutionnel dans lequel le Parlement retrouverait apparemment plus d’initiative, mais pour en faire quoi, dans un système bloqué par une Europe qu’ils ne remettent pas en cause ?

Non, le problème ne réside pas dans ce qu’il pourrait y avoir encore de soupçon monarchique dans les institutions de-là Ve république. Et on ne peut que souffrir – mais c’est le fruit de deux siècles de calomnie républicaine – d’entendre même des esprits par ailleurs patriotes parler de la macronie comme d’un retour à la monarchie, de Macron comme d’un monarque – si possible Louis XVI, car il a fini guillotiné. Cessons de salir la mémoire de nos rois et de trouver dans une caricature ce qu’une monarchie royale n’a jamais été et ne sera jamais : un pouvoir personnel dicté par des intérêts supérieurs qui ne sont pas ceux de la nation. Non, le problème posé par l’utilisation récurrente, voire provocatrice, du 49.3, puis par la surdité du chef de l’Etat ne réside pas dans ce qu’il y aurait encore de monarchique dans nos institutions, permettant à un homme seul de décider pour tous.

EN FINIR AVEC LA RÉPUBLIQUE

D’ailleurs, la Ve République reste un régime parlementaire, si elle n’est pas un régime d’assemblée. Et le recours au 49.3 en est une illustration paradoxale. N’a-t-elle pas, dès lors, failli connaître une crise de régime, à neuf voix près, à la mi-mars ? Non. Car, pour cela, il aurait fallu la conjugaison de plusieurs facteurs : l’adoption d’une motion de censure provoquant une dissolution de l’Assemblée nationale, de nouvelles élections législatives ne donnant de nouveau aucune majorité claire et solide pour gouverner le pays et le discrédit jeté sur la personne même du chef de l’Etat. C’est bien à une crise de régime qu’aboutirait alors la double faillite de l’Elysée et de l’Assemblée nationale à représenter les Français : un président discrédité et un parlement ne permettant pas au gouvernement de légiférer. Or, à cette heure, si nous avons bien une Assemblée sans majorité définie et un chef de l’Etat démonétisé qui ne peut plus apparaître comme un recours, en revanche, la lâcheté politique des partis, notamment des Républicains, sauve un régime dont les acteurs savent qu’ils n’ont plus droit à l’erreur — ce qui ne signifie pas qu’ils n’en commettront pas.

Une crise de régime aurait l’immense avantage de traduire l’obsolescence d’institutions qui, lentement, mais sûrement, ont renoué avec les vices inhérents de toute république : si elle a, en partie, redonné une forme d’autorité à l’État, la Ve république n’a pas, en revanche, et contrairement à ses promesses originelles, assuré l’indépendance de l’Etat. Elle s’est montrée des lors incapable d’assurer les conditions du bien commun. Les oligarques qui, très tôt, ont investi un État apparemment « restauré » s’en sont servis pour leurs intérêts. Dès le 6 juin 1958, commentant le projet de constitution, Boutang considérait que celui-ci représentait « une dernière expérience […] de régime parlementaire » : en clair, la Ve république qui se profilait alors serait la dernière chance d’une République à assurer le bien commun. Son échec est désormais patent et ce ne sont pas les rafistolages idéologiques – les fameuses « valeurs républicaines » — qui ramèneront vers elle un pays réel qui commence à comprendre qu’elle n’est qu’un leurre conduisant à notre perte. Le départ de Macron satisferait bien sûr l’immense majorité des Français. Mais ce ne serait qu’un pis-aller. C’est avec la République qu’il faut en finir. Et le plus tôt possible. C’est une exigence de salut public. 

François Marcilhac