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Mener les institutions de la République gaullienne jusqu’à la nouvelle Monarchie capétienne ?

Par Jean Philippe-Chauvin

Le 9 novembre 1970, il y a cinquante ans, s’éteignait, d’un coup, le général de Gaulle, foudroyé par une mort rapide qui ne s’annonça pas avant d’emporter celui qui avait tant résisté à l’adversité durant sa longue histoire. J’avais 8 ans, et je me souviens encore de ces émissions consacrées au général et les images d’un cercueil drapé de tricolore sortant de La Boisseriepour se rendre à l’église de Colombey-les-Deux-Églises. Baigné dans l’histoire de par mon entourage familial et ses traditions historiennes, je sentais confusément ces jours-là qu’une page venait de se tourner et que la nostalgie du Commandeur me suivrait longtemps, comme elle flotte encore dans l’air de France…

Aujourd’hui, cinquante ans après la chute du grand chêne gaullien, que dire encore de l’œuvre du général et de sa pérennité, voire de sa nécessité ? Le général de Gaulle a cherché à « sauver l’Etat », à le préserver des manœuvres et des manipulations, et l’élection au suffrage universel direct du Chef de l’État lui semblait un moyen efficace de contourner les appareils partisans et de distinguer celui qui aurait le plus grand « charisme d’État », reconnu par le peuple souverain. Mais Charles de Gaulle avait une légitimité qui ne lui venait pas, d’abord, du suffrage mais bien plutôt de sa place dans l’Histoire, de ce 18 juin 1940 où il avait appelé une France envahie, défaite et humiliée par l’Allemagne, à ce grand sursaut de la liberté nationale, « la plus précieuse des libertés humaines » selon Maurras, son ancien inspirateur des années 30 (Maurras auquel il avait adressé et dédicacé ses ouvrages sur l’armée de métier et les conditions de la paix et de la victoire dans le monde incertain de l’entre-deux-guerres). C’est en prenant le contre-pied de l’opinion publique française d’alors (mais aussi du théoricien de l’Action Française, inquiet du risque de division française), qui s’était réfugiée dans les bras d’un vieux maréchal paternaliste et républicain, qu’il avait sauvé l’honneur avant de reprendre, ou plutôt de poursuivre, le combat indépendantiste. De Gaulle n’avait que mépris pour les « politichiens » comme il les appelait (héritage de sa formation monarchiste et militaire), mais il savait qu’après lui, qu’après son règne d’une décennie (1958-1969), les petits jeux partisans reprendraient, dans les assemblées comme dans les allées du Pouvoir républicain. Au moins pensait-il avoir garanti le faîte de l’État de ces « intrigues indignes », puisque l’élection présidentielle se devait, selon lui, d’être « la rencontre d’un homme et d’un peuple ». Mais sa mise en ballottage en décembre 1965 lui avait fait perdre ses illusions sur ce point-là. Les présidentielles suivantes ont, depuis, confirmé que la magistrature suprême de l’État elle-même n’était pas à l’abri des appétits et que le « peuple souverain » ne coïncidait pas forcément ni exactement avec l’intérêt national et celui de l’État…

Le général de Gaulle était monarchiste, au moins de cœur, et ses rapports avec le comte de Paris ont montré qu’il a, un bref instant, pensé à rétablir la Monarchie en France. Cela ne s’est pas fait, et il me semble qu’au regard (et au-delà) de la présente campagne présidentielle permanente instituée par le quinquennat, parfois passionnante dans les débats (quand ils ont vraiment lieu, ce qui est loin d’être toujours le cas), souvent affligeante dans les images et les postures (sans parler des candidats eux-mêmes qui, dix-huit mois avant l’échéance, trépignent déjà dans leurs écuries), la « question royale » mérite d’être à nouveau posée.

En effet, la transmission héréditaire de la magistrature suprême de l’État, sans empêcher le bon fonctionnement et la liberté des élections législatives, régionales, municipales ou autres, aurait le mérite de délivrer l’État, en son sommet, des convoitises et de ces querelles qui le paralysent régulièrement, donnant l’impression, désagréable, d’une sorte d’éternelle fin de règne. Un roi qui n’aurait pas de « clientèle » à flatter serait mieux à même d’écouter chacun et d’être l’arbitre, au-delà des partis et des intérêts particuliers, dont le pays a besoin : cela n’enlève rien à la « difficulté politique » mais permet, en certaines situations délicates, de pacifier, autant que faire se peut, la scène politique nationale. Ce n’est pas négligeable, à l’heure des grands défis de la globalisation qui concernent aussi notre pays…

Et ne serait-ce pas là, tout compte fait, la conclusion institutionnelle que, dans le fond de son cœur, le général de Gaulle espérait sans oser y croire ? Le gaullisme partisan est mort avec de Gaulle, mais l’esprit gaullien, de tradition capétienne, n’y trouverait-il pas là une nouvelle actualité ?