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Que faire ?

Par Jean Monneret (écrivain)

Lors de ma dernière communication sur la langue française en perdition, j’avais écrit à la dernière ligne : que faire ?

J’essaie de répondre ci-après.

Le Français mêlé d’Anglais qu’utilisent les publicitaires, les journalistes, les économistes et les internautes commence à devenir ce que les linguistes appellent un pidgin (déformation chinoise de business). Il s’agit d’une langue véhiculaire créée par le contact de populations ayant des langues maternelles différentes.

Par des emprunts sommaires des unes aux autres, se crée un basilecte, soit un langage ultra-simplifié facilitant un minimum de compréhension. Dans l’univers francophone, le sens de pidgin serait mieux rendu par le terme sabir.Historiquement parlant, c’est le cas de le dire, le sabir est un français simplifié créé par les autochtones de l’Empire colonial, afin de communiquer avec les colonisateurs qui l’employaient en retour.

A ce stade, il convient d’éviter d’emblée une confusion : le pidgin/sabir angloïde des internautes, publicistes et tutti quanti n’a pas pour but de faciliter la communication avec des américains colonisateurs.

C’est très différent : ce sabir a pour objectif de mettre en valeur ceux qui l’emploient. Il peut donner à croire que ces locuteurs maîtrisent la langue de Shakespeare, de Milton, de Fielding et de tant d’autres. (C’est loin d’être le cas et, les barbarismes sont légion dans le parler des intéressés). Mais les gens en question, nombre d’entre eux en tout cas, se donnent ainsi l’illusion de faire partie d’une couche sociale supérieure, voire hégémonique. On l’aura compris, il  s’agit là d’un pur snobisme.

Le terme d’esbroufe correspondrait parfaitement ; snobisme étant déjà un anglicisme. (Nourri, il est vrai, du latin sine nobilitate). Passons.

Il y a déjà, néanmoins, une imprégnation considérable par l’Anglais du Français que parlent les jeunes générations. Deux voies s’ouvrent :

a/ Les Linguistes connaissent ce phénomène que l’on appelle la créolisationAu bout d’un temps indéfini, le sabir se structure, adopte des formes grammaticales plus sophistiquées et devient un créole. C’est-à-dire la langue maternelle de ceux qui employaient le sabir. Cette évolution a existé aux Antilles et dans de nombreux pays d’Amérique Centrale et en Océanie. Cette métamorphose se constate aussi dans les ghettos noirs américains où la langue parlée échappe de plus en plus aux catégories non-ghettoïsées de la population américaine.

b/ Une autre évolution est possible :

Deux langues peuvent s’entremêler jusqu’à en faire naître une troisième. Il ne s’agit plus là d’un basilecte ou d’un sabir mais bien d’une langue de culture, née d’un enrichissement mutuel. 

La longue présence des Français en Italie tant au Moyen-Âge qu’à l’époque contemporaine favorisa jadis l’émergence du Franco-vénitien. (Vocabulaire français, syntaxe vénitienne). Peu de gens savent qu’en 1298, le Livre des Merveilles de Marco-Polo fut d’abord publié en cette langue Franco-vénitienne. Le titre en était Le Devisement du Monde.

Plus tard, au XIXème siècle, l’essor du mouvement national italien contribua à discréditer cette langue tenue pour« hybride ». On peut le regretter car elle eut comme représentants des littérateurs prestigieux aux compétences et aux talents affirmés. Citons ici Nicolas de Vérone ou Rustichello de Pise.

Il n’y aurait en revanche aucun inconvénient à ce que disparût le sabir anglophone des jeunes Français. Il ne s’agit que d’une mauvaise herbe.