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Yves Perez: «La France a été protectionniste pendant un siècle et elle ne s’en est pas mal portée»

FIGAROVOX.- Vous faites dans ce livre une histoire des politiques économiques françaises depuis la Belle Époque. Cette histoire n’est-elle pas déjà connue?

Yves PEREZ. – On l’oublie trop souvent, mais la France a été protectionniste pendant environ un siècle (1873-1973) et elle ne s’en est pas mal portée. L’histoire du protectionnisme français a fait l’objet d’un refoulement, au sens psychanalytique du terme. On ne s’y réfère plus. Alors que notre pays a réussi, en dépit des handicaps concurrentiels dont il souffrait, à faire face à ses rivaux et à maintenir ses positions économiques et commerciales, avant que ne s’amorce la déchéance de celles-ci dans le cycle de la mondialisation.

Mais en un siècle, la donne mondiale a changé. Peut-on réellement comparer la période actuelle avec celle que vous étudiez?

On a coutume de présenter la mondialisation comme un phénomène inédit et récent. Or, la plupart des problèmes qu’affronte aujourd’hui l’économie française (la dépendance énergétique, la concurrence des pays émergents, la menace des chocs économiques ou géopolitiques) ne sont pas si nouveaux que cela. La France y a été confrontée depuis la fin du XIXe siècle. En effet, la France était un pays pauvre en charbon alors que celui-ci était le combustible des puissances industrielles. Elle devait importer chaque année le tiers de sa consommation nationale, ce qui a considérablement freiné sa croissance industrielle et l’a placée dans la dépendance énergétique des grandes puissances charbonnières (le Royaume-Uni, l’Allemagne). Par ailleurs, à la fin du XIXe siècle, la France fut confrontée à la «mondialisation des blés» engendrée par la révolution des chemins de fer et de la navigation à vapeur. Les blés du «nouveau monde» (États-Unis, Canada, Argentine) concurrencèrent le blé français. Or à cette époque, l’agriculture employait la majorité de la population active. C’est cette situation de double handicap concurrentiel qui entraîna le vote de la loi Méline en 1892. La France optera pour un développement en «économie protégée». Durant l’entre-deux-guerres, la concurrence des pays émergents se manifeste à nouveau tant dans le domaine agricole (avec la concurrence des pays de l’Europe danubienne nés sur les décombres de l’Empire austro-hongrois) qu’industriel avec les pays d’Asie à bas salaires et aux monnaies dépréciées (Inde, Chine, Japon).

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