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Boris Johnson récite «l’Iliade» en grec ancien

Par Luc Compain

Une vidéo montrant Boris Johnson réciter, en 2013, les premiers vers de l’Iliade a récemment suscité l’admiration et les railleries. Cette histoire est pourtant moins anodine qu’elle n’y paraît. Elle est révélatrice à la fois des ressorts du populisme et de la haine du populisme, qui se trouve être elle-même une forme de populisme, un populisme d’en-haut.

Elle dévoile les motivations populistes, d’abord. On entend souvent dire que les électeurs populistes sont un « basket of deplorables », des crétins sous-diplômés, manipulés par le Kremlin et se laissant embobiner par les mensonges éhontés sortis des têtes blondes et hirsutes de ceux qui briguent leurs suffrages. Loin d’être fascinés, envoûtés, la plupart de ceux qui partagent la vidéo de la récitation du Premier ministre y voient la démonstration que leurs préférences politiques ne sont pas fondées sur l’émotion, la peur, la haine, la bêtise, et que loin de se réduire au personnage du clown que les médias peignent, leur champion est sorti des meilleurs écoles avec une solide formation, et une attention particulière pour les humanités et les œuvres les plus hautes de la culture. A ce titre, le partage de cet extrait témoigne sans doute d’un souci de l’héritage et de la filiation.

Elle explique ensuite comment se nourrit la haine du populisme. Sur Twitter, une jeune femme affirme : « en tant que personne de langue maternelle grecque ayant étudié le grec ancien, l’Iliade et l’Odyssée (et d’autres textes-pièces en grec ancien) pendant quatre ans au lycée (dans le cadre du programme obligatoire des écoles publiques grecques), je peux confirmer que je n’ai absolument rien compris à ce qu’il dit ». Son propos est retweeté près de 38 000 fois. Parce que cette jeune femme n’a absolument rien compris à ce qu’a dit BoJo, parce qu’elle est Grecque et est allée au lycée, on devrait admettre sans plus de considération qu’elle est une source fiable prouvant que Boris Johnson ne récite absolument pas l’Iliade. D’ailleurs, près de 38 000 personnes qui vraisemblablement ne sont pas Grecques, ne connaissent ni le grec moderne ni le grec ancien et ne sont pas spécialistes de l’Iliade, ont approuvé son commentaire, ce qui devrait achever de nous convaincre. Pourtant, lorsqu’on interroge de véritables spécialistes de la langue et de la littérature grecques, universitaires ou hellénistes, ceux-ci nous disent que l’ancien maire de Londres a une bonne mémoire, bien qu’il commette quelques oublis ou erreurs et ne semble pas tout comprendre de ce qu’il récite. Et que sa « prononciation reflète un certain état de l’enseignement et des pratiques britanniques du grec ancien ». Qu’une ancienne lycéenne grecque, devenue juriste travaillant pour un cabinet d’avocats britannique, ne comprenne rien à ce que dit BoJo n’est donc pas la preuve qu’il dit n’importe quoi, mais seulement qu’elle ne comprend rien à ce qu’il dit. Qu’elle ne connaît pas la manière dont est enseigné le grec ancien au Royaume-Uni ni les premiers vers de l’Iliade. Cela prouve enfin que près de 38 000 personnes ont reconnu en elle une expertise, – qu’elle a revendiqué -, en négligeant complètement ce qu’avaient à dire les personnes compétentes, faisant autorité dans ce domaine (on remercie CheckNews qui a fait ce travail). On voit, finalement, que ceux qui reprochent aux électeurs populistes d’accorder leur confiance au premier venu et de discréditer, ou tout simplement court-circuiter, les figures d’autorité et les institutions, sont les premiers à se livrer à ces méthodes, dès lors qu’il s’agit de donner des coups de griffes au populisme. La haine du populisme n’est donc qu’un populisme inversé, un populisme d’en-haut.