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Deux siècles que ça dure…

La révolution, une violence permanente

Un article paru dans « Le Bien Commun »

Dans La Révolution Française et la Violence, l’historien Hervé Luxardo enrichit la somme des témoignages sur les violences révolutionnaires, montrant qu’elles n’ont jamais été de simples dérapages et que leur logique perdure. Nous l’avons rencontré.

Le Bien Commun : Vous documentez la Révolution française avec de nombreux faits qui nous étaient inconnus, mais ne les rapprochez pas des déclarations pourtant nombreuses de ceux qui ont pensé et fait la révolution. Est-ce volontaire ? 

Hervé Luxardo : Oui, faire parler les penseurs et les acteurs, bien d’autres l’ont largement fait. Ma démarche, purement historienne, a consisté à sortir d’une Histoire mythologique de la révolution, pour aller aux seuls faits, surtout ceux que l’on omet. J’ai retrouvé des témoignages sur des faits de violence, pour certains totalement inconnus, mais toujours signifiants quant à la logique essentiellement violente de la Révolution française. Et que découvre-t-on ? Que ces violences, au-delà des effets de foule spontanés qui raccrochent à l’histoire de l’Ancien régime, vont mener peu à peu à la suppression de la liberté de la presse, à celle des artistes, à la persécution des religieux et des croyants. L’usage systématique de la guillotine, puis la politique volontairement sanglante mis en place par les Jacobins, tout cela ne doit rien au hasard. La logique infernale de la violence révolutionnaire semble bien inscrite depuis 1789. 

En vous lisant, l’analyse de François Furet des deux révolutions, l’une généreuse et l’autre sombrant dans la violence, en prend un sacré coup. N’était-ce qu’un arrangement avec l’air du temps ? 

Hervé Luxardo : La Révolution française bouleverse l’ensemble des institutions de l’Ancien régime et le corps social. On sait aujourd’hui qu’une partie du personnel politique révolutionnaire, y compris pour les plus modérés, justifie les violences. Pour certains, comme Barnave, le sang versé par les foules ne serait pas si « pur »… 

Vous évoquez le centenaire puis le bicentenaire pour constater que la logique de violence initiée en 1789 perdure depuis. Mais on pourrait ajouter au dossier l’admiration que suscite un personnage comme Robespierre sur Jean-Luc Mélenchon et ses amis… 

Hervé Luxardo : Le « mystère Robespierre » n’est pas dans sa pensée, mais dans ses actions. Ce qui est intéressant, ce n’est pas tant son opposition à la peine de mort en 1791 que sa capacité à la distribuer très largement quand il arrive au pouvoir. Je ne suis pas sûr que les actuels admirateurs de la révolution, s’ils avaient connu la réalité de la violence de l’époque, seraient aussi admiratifs. 

Il est logique que la IIIe république triomphante organise la mémoire des événements révolutionnaires dont elle est issue. La célébration du centenaire de 1789 magnifie la Révolution française ; la gauche historique étant issue de la création de la nation française. Elle célébrait alors l’unité de la nation et du pays. Quant au bicentenaire, le gouvernement d’alors a plutôt célébré la diversité que l’unité de la nation. De manière paradoxale, les élites de 1989 ont plutôt envoyé un message finalement presque contre-révolutionnaire. 

L’histoire de la Révolution française aurait-elle fait l’objet d’interprétations factuellement fantaisistes depuis deux siècles ? 

Hervé Luxardo : Il y a autant d’interprétations de la Révolution française que de courants politiques, de l’extrême droite à l’extrême gauche.  

De nombreux exemples sont à cet égard frappants et c’est pour cela que j’ai tenu à entrer dans le détail des faits pour être sûr de décrire ce qui s’est réellement passé. Prenons cet épisode resté célèbre de la marche de femmes parisiennes jusqu’au château de Versailles les 5 et 6 octobre 1789, qui a fait polémique l’année dernière. Mes recherches m’ont permis de comprendre, sans que je remette en cause la légitimité de cette manifestation populaire, qu’un certain nombre d’entre elles ont été forcées de marcher contre leur gré ; d’après les archives judiciaires que j’ai pu consulter. Toutefois, sans que l’on puisse faire le lien avec ses femmes marcheuses contre leur gré, il est établi que Philippe d’Orléans avait créé et financé un Comité Insurrectionnel qui utilisait ce genre de méthodes pour provoquer de l’agitation et déstabiliser le pouvoir royal. J’ai même découvert que, dans cette manifestation, il y avait des hommes déguisés en femmes. Le 14 juillet déjà, l’auteur de l’assassinat de Jacques de Flesselles, le prévôt de Paris d’alors, aurait fait partie de ce Comité Insurrectionnel. 

Vous avez étudié le monde rural. L’étude de la révolution vous a-t-elle apporté un regard nouveau sur cette ruralité ? 

Hervé Luxardo : Avant tout, il faut bien comprendre que le monde rural n’était pas constitué d’individus, mais de communautés paysannes. J’ai été étonné de constater que lors d’épisodes révolutionnaires, des paysans, qui étaient parfois remontés contre le seigneur local qui s’était opposé aux coutumes collectives, ne lui en ont pas voulu tant que cela par la suite puisqu’ils l’ont élu maire. Cela montre bien les limites de l’historiographie révolutionnaire qui adopte une grille de lecture marxisante et veut expliquer les révoltes paysannes seulement sous l’angle de la lutte des classes. Les rapports entre paysannerie et noblesse locales étaient bien plus complexes qu’on l’imagine. Rappelons que bien des seigneurs du XVIIIe siècle sont des bourgeois qui ont racheté les terres de nobles désargentés, avec les droits seigneuriaux afférents. 

Même si votre choix a été de vous attacher aux faits violents, avez-vous pu établir des liens entre les discours et la violence ? 

Hervé Luxardo : De ce point de vue, le plus frappant est à mon sens le discours de légitimation de la violence. Avec des mots que j’estime être du domaine religieux, et qui déifient ce qu’ils nomment. Le « Peuple » est emblématique de cette déification révolutionnaire. Et en lisant les documents d’époque, je me suis aperçu que – surtout de 1792 à 1794 – les dirigeants révolutionnaires se réservent l’usage exclusif du mot « peuple » et l’interdisent à leurs adversaires. Car se considérant comme étant les seuls à incarner le Progrès et à pouvoir régénérer l’Humanité, ils présentent les autres comme des monstres qui ne pouvaient en aucun cas se réclamer du peuple ou prétendre parler en son nom. Et si ces adversaires « monstrueux » étaient eux-mêmes des gens du peuple, ils devenaient des « Brigands », des « contre-révolutionnaires », des « aristocrates », « des privilégiés » qu’ils n’étaient pas dans les faits. Certains « contre-révolutionnaires » de Vendée revendiquaient hautement « la liberté, l’égalité, la fraternité ». Mais les autorités révolutionnaires les rejetaient dans les poubelles de l’histoire. Il se met alors en place un récit qui justifie la répression violente. Dans leur désir de pureté, de globalisation caricaturale de l’ennemi, bien des révolutionnaires sombrent dans l’abstraction. Tout ce qui s’oppose aux lois révolutionnaires devient forcément une anomalie contraire à la marche du Progrès, et se trouve écarté intellectuellement. Ils se représentent comme le Bien de l’Humanité en lutte contre le Mal absolu. De fait comment se sentiraient-ils coupables des atrocités qu’ils vont commettre ? Au contraire : ils s’en vantent, s’en réjouissent. C’est le cas des colonnes incendiaires de 1794 en Vendée et dans la répression sanglante de la commune de Bédoin (Vaucluse) : 63 habitants guillotinés ou fusillés parce que trois ou quatre habitants avaient arraché un Arbre de la liberté en mai 1794. Entre autres atrocités, ces colonnes incendiaires se vantaient de passer par le fils de l’épée, les femmes, les enfants et les vieillards. 

Propos recueillis par Etienne Lombard

La Révolution Française et la Violence, Hervé Luxardo (Éditions Clés pour l’Histoire de France).