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L’éditorial de François Marcilhac

« VAINCRE OU MOURIR »

Bien avant les festivités républicaines pour le bicentenaire de 1789, les historiens se déchirèrent à la fois sur la nature de la Révolution française et sur le fait de savoir si elle était terminée, d’autant que l’école marxiste voyait sa prédominance, jusque-là incontestée, grignotée et menacée par une vision plus nuancée et complexe, instillée dans le débat public par un ancien membre du parti communiste passé au libéralisme : l’historien François Furet, notamment dans Penser la Révolution française, paru dès 1978. Ce qu’il est intéressant de constater, c’est qu’en fait le point d’achoppement, pour tous les historiens et les politiques, demeure la Terreur. Penser la Révolution française revient, depuis toujours, à penser la Terreur. Comment l’intégrer au processus révolutionnaire ? Fut-elle dictée par les circonstances, comme l’a toujours voulu la gauche, le radical Clemenceau en tête, les marxistes la justifiant, eux, d’autant plus comme événement rendu nécessaire par les tentatives de contre-révolution que la Révolution russe, avec les Bolcheviks, y recourut immédiatement ? ou, au contraire, fait-elle partie de la nature même de la Révolution ? Quelle que soit la réponse apportée, c’est la nature de la Terreur qui décide de la nature de la Révolution. Dans les deux cas, toutefois, la Révolution est, selon le mot célèbre de Clemenceau prononcé à la chambre des députés le 29 janvier 1891, un « bloc », un bloc qu’il ne saurait question « d’éplucher, à sa façon », « un bloc dont on ne peut rien distraire […], parce que la vérité historique ne le permet pas ».

UN « EN MÊME TEMPS » INTENABLE

On n’est pas étonné que François Furet se fût inscrit dans un juste milieu, voire un « en, même temps » qu’a toujours revendiqué le libéralisme. « La gauche marxiste et la droite contre-révolutionnaire sont d’accord sur un point : considérer la Révolution comme un bloc qu’il s’agit de magnifier ou de couvrir d’opprobre. » Sans toutefois omettre de percevoir « une possible consonance de la Terreur avec la Révolution tout entière ». Et d’insister : « Il y a deux moyens sûrs de ne rien comprendre à la Révolution française, c’est de la maudire ou de la célébrer. Ceux qui la maudissent sont condamnés à rester insensibles à la naissance tumultueuse de la démocratie. Ceux qui la célèbrent […] restent aveugles à l’ambiguïté constitutive de l’événement qui comporte à la fois les droits de l’homme et la Terreur, la liberté et le despotisme. » Cela a un petit relent de Marc Bloch dans L’Étrange Défaite : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération. » Au passage, deux réalités propres à la monarchie royale, la fête de la Fédération, du 14 juillet 1790, ayant pour fonction avouée de renouer le pacte millénaire entre le Roi et les Français. On sait que, précisément, les révolutionnaires en décidèrent autrement… préférant poser les conditions de la Terreur. On comprend le mot du comte de Paris dans Un Prince français à propos de 1789 : « Une erreur, fondée sur un contresens. »

Peut-on, surtout, réduire la Terreur dans la même phrase, selon le point de vue, à un simple tumulte accompagnant la naissance de « la » démocratie ou à un des deux membres de cette « ambiguïté constitutive » comportant « à la fois les droits de l’homme et la Terreur, la liberté et le despotisme » — d’autant que tout despotisme ne s’accompagne pas de massacres de l’ampleur de ceux commis en Vendée ? C’était en dire trop ou pas assez. Car la question primordiale est là : la Révolution est-elle terminée ? Et en quel sens ? Pour Furet : « Avec la fondation de la République sur le suffrage populaire, et non plus sur l’insurrection parisienne, la Révolution française est enfin terminée ; elle est devenue une institution nationale, sanctionnée par le consentement légal et démocratique des citoyens. ». Bref, un simple objet de savoir. Furet n’en disait pas, , assez : car, et c’est Clemenceau qui avait raison, si on prend au sérieux le message émancipateur de la Révolution, la Révolution n’est pas terminée, car on ne saurait évidemment la réduire à sa dimension institutionnelle et à sa mue en démocratie plus ou moins formelle. Comme le proclamait encore le 8 novembre 1906 le socialiste René Viviani à la Chambre, soit trente-cinq ans après l’instauration de la IIIe République « sur le suffrage populaire » et …  les massacres encore tout frais de la Commune — commis tant par les Communards qu’en bien plus grand nombre par les Versaillais : « Ensemble, et d’un geste magnifique, nous avons éteint dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera plus ! » : il visait évidemment Dieu ou plutôt un homme « libéré » de tout transcendance, de toute hétéronomie, absolument autonome : émancipé.

INTERMINABLE PAR ESSENCE

Et c’est là que nous retrouvons la Terreur : la volonté de construire un homme nouveau rend cette Révolution interminable au sens propre, car le projet est sans fin — l’émancipation s’attaquant aujourd’hui à la nature humaine elle-même. L’hybris est dans ses gènes. En ce sens, la Terreur, n’entre pas seulement en « consonance » — quel aveu que ce terme ! — avec la Révolution tout entière : elle est le propre d’une dynamique démesurée, à laquelle seule la fatigue des Français mit un terme en 1794 — et ce fut Thermidor. Mais les réactions au film « Vaincre ou mourir » de l’élite bien-pensante suffisent à elles seules à prouver que la Révolution française n’est pas terminée dans certains esprits et que ses partisans s’inscrivent toujours dans la démarche de Clemenceau, qui déclarait encore en janvier 1891 : « C’est que cette admirable Révolution par qui nous sommes n’est pas finie, c’est qu’elle dure encore, c’est que nous en sommes encore les acteurs, c’est que ce sont toujours les mêmes hommes qui se trouvent aux prises avec les mêmes ennemis. Oui, ce que nos aïeux ont voulu, nous le voulons encore. (Applaudissements à gauche.) Nous rencontrons les mêmes résistances. Vous êtes demeurés les mêmes ; nous n’avons pas changé. Il faut donc que la lutte dure jusqu’à ce que la victoire soit définitive. » Le plus glaçant est que ces propos sur la Révolution furent tenus à l’occasion du scandale provoqué par la représentation à la Comédie française d’une pièce de théâtre jugée contre-révolutionnaire, et qui fut bientôt interdite. Et qu’aujourd’hui, nos bien-pensants s’étouffent pareillement d’indignation à l’occasion de la sortie d’un film également jugé contre-révolutionnaire, mais encore autorisé. Oui, c’est bien la même démarche révolutionnaire empruntée par certaines de nos élites, l’identification des « mêmes ennemis » — et non adversaires : la haine est ainsi justifiée —, la même « lutte » menée « jusqu’à ce que la victoire soit définitive », fût-ce par un mémoricide justement révélé par Reynald Secher. Et quand deux députés Insoumis, Alexis Corbière et Matthias Tavel, héritiers idéologiques de Robespierre, dans Le Monde du 2 février dernier, dénoncent dans ce film une « culture de l’effacement », comment ne pas être sidéré par cette inversion de la réalité qui prouve seulement qu’ils n’ont rien appris ni rien oublié, qu’ils n’ont « pas changé ». Lorsque le mémoricide est mis en échec, comme avec ce film, alors c’est la même dénonciation aussi vertueuse qu’outragée de toute révélation d’une vérité qui dérange : celle du génocide vendéen.

VOUS AVEZ DIT « GÉNOCIDE » ?

Ah le mot « génocide » ! Les faits étant établis, vous reconnaîtrez les timorés à ceux qui prendront des pincettes pour employer le mot, qu’ils jugeront « anachronique », lui préférant par exemple les termes « crimes de masse » ou « crimes de guerre », voire « massacres systématiques » — et voilà pourquoi votre fille est muette ! Or « génocide » a été forgé par Raphaël Lemkin « pour signifier une vieille pratique dans son évolution moderne » et dénoncer les crimes en cours du nazisme, et ce en 1943, c’est-à-dire avant que ne soit connue l’existence des chambres à gaz et donc la dimension industrielle et radicale de ces crimes. Mais il avait en mémoire les massacres, déjà perpétrés, d’Arméniens par les Turcs ou d’Assyriens chrétiens en Irak. Alors, anachronique, le « génocide » ? Comme si le mot faisait la chose ! Dans ces conditions, il ne saurait y avoir pas plus de génocide arménien, commis durant la première guerre mondiale, que de génocide vendéen. Or « la chose » avait déjà été pensée et nommée de manière contemporaine aux « crimes de masse » commis en Vendée. Et par un proto-communiste, qui plus est : Gracchus Babeuf. Lequel créa le mot de « populicide », mieux forgé, en un sens, que celui de « génocide », qui recourt à la fois à une racine grecque (genos) et latine (cide), alors que Babeuf, qui prit le prénom de Gracchus en hommage aux deux frères Gracques du IIe siècle avant Jésus-Christ, et qui savait ses lettres, recourut au mot latin précis de « populus ». Qui, s’il avait été repris en 1943, aurait peut-être permis d’éviter toutes les incertitudes relevées aussitôt sur la portée de ce « genos », au champ très large, et donc du « génocide » — le tribunal de Nuremberg lui préféra dans son jugement la notion de « crime contre l’humanité », mais l’ONU adopta une définition précise du génocide le 9 décembre 1948, …dont les « crimes de masse » commis en Vendée remplissent plusieurs critères, quand un seul suffit à l’ONU…

UNE RÉPUBLIQUE NÉGATIONNISTE

Il ne sert à rien de demander à la République d’aller faire un geste de contrition en Vendée, voire de demander pardon. Elle ne le peut pas. Comment, du reste, une non-personne pourrait-elle demander pardon ? C’est montrer l’inanité de toutes les repentances institutionnelles. Surtout, en France, la République, avant d’être un régime politique, est une religion : les cris d’orfraie des républicains bien-pensants à la sortie du film « Vaincre ou mourir » le prouvent de manière suffisante. Regarder la vérité historique en face leur est impossible car ce serait reconnaître la République comme porteuse d’un message d’usurpation, révélé par l’exécution fondatrice du Roi : « La victoire et le peuple ont décidé que lui seul était rebelle : Louis ne peut donc être jugé : il est déjà condamné, ou la république n’est point absoute. […] Si Louis est innocent, tous les défenseurs de la liberté deviennent des calomniateurs », comme l’a avoué Robespierre. Le populicide vendéen n’est, au fond, qu’une conséquence nécessaire de cette imposture. Les « droits de l’homme » ainsi compris, ce que n’avait pas vu Furet, ouvraient bien sur la Terreur. Et sur une fuite en avant indéfinie. Nul paradoxe à cela. Mais une « consonance » radicale. Dès lors la République droits-de-l’hommiste ne peut que se réfugier dans le négationnisme — le fait, pour certains, de reconnaître les « crimes de masse » commis en Vendée, mais de leur refuser leur statut de « génocide », n’étant qu’une forme adoucie, bien-pensante, et finalement plus pernicieuse, de ce négationnisme fondamental. Car il est impossible à la République de reconnaître qu’elle a fait au nom de la Liberté ce que d’autres feront au XXe siècle au nom de la Race. Ou encore au nom de la Classe et du Progrès : le communisme lui aussi fut auteur de génocides, tant en Union soviétique qu’au Cambodge démocratique, par exemple. Mais l’Ethnie (le Ruanda) et la Nation-Etat (les nationalistes progressistes Jeunes-Turcs) eurent aussi leur lot de génocides. Les Idoles, qui ont remplacé « dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera plus », sont exterminatrices par définition. C’est pourquoi, refuser le mot de génocide n’a évidemment qu’un objectif : diminuer la gravité des crimes commis en Vendée, en les sortant de la logique émancipatrice révolutionnaire, pour les réduire à un triste accident de l’histoire.

Eh bien, soit : abandonnons le mot de génocide, devenu tabou, et parlons de populicide. Mais parlons-en, alors, également pour tous, nous disons bien tous ces autres populicides que furent les « crimes de masse » ou « crimes systématiques » perpétrés tout au long du XXe siècle et dirigés intentionnellement contre des populations précises, identifiées comme telles par leurs bourreaux.

Et ne nous laissons pas intimider par des censeurs contemporains qui, selon une gradation qui mesure seulement leur (défaut de) courage ou l’intensité de leur fanatisme, visent à interdire l’expression d’une parole libre de tous les préjugés idéologiques. Car, « vaincre ou mourir », la leçon est toujours valable. Elle concerne, aujourd’hui, non plus seulement les Vendéens qui, du reste, se battaient pour la liberté de tous en s’opposant à l’institution d’une République terroriste, mais, plus largement, le pays tout entier, mis en coupe réglée par des élites politiques, financières et médiatiques qui communient dans le même mépris du pays réel, dans la même indifférence au destin de leurs compatriotes — mais les reconnaissent-ils seulement pour tels ? —, l’absence de tout souci du Bien commun suffisant à les rendre illégitimes. Oui, il nous faudra vaincre pour éviter de voir la nation mourir.

François Marcilhac