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Comment la loi Veil a changé ma vie

A l’heure où la peur étreint l’humanité, pour une maladie qui tuera cette année un peu plus de 30 000 personnes, la plupart en fin de vie, une autre aura fait 232 000 victimes en 2019, fauchés au plus jeune âge, dans le plus grand silence. Des morts qui ne comptent pas en somme. La pandémie aura en outre permis de voter en catimini par amendement à la loi bioéthique à l’Assemblée Nationale, l’exécution possible des enfants jusqu’à 9 mois de grossesse, pour raison purement médicale semble-t ‘il :  » La détresse sociale ». On peut toujours porter des masques et traiter d’égoïstes ceux qui en plein air trouvent cela excessif, la véritable pandémie touche d’abord dans nos pays de barbares moralisateurs, les enfants à naître et que l’on ne nous dise pas que c’est pour la liberté de la femme, autre victime de ce fléau. (NDLR)

Par Frédéric Rouvillois

Je ne me rappelle plus trop ce qu’il y avait avant, juste un sentiment merveilleux de confort, d‘amour et d’apaisement, doucement rythmé par les ondulations du liquide où je vis, et par les comptines que me chante maman en caressant ce qu’elle appelle son « petit ventre ». Juste des couleurs tendres, toutes les nuances de l’orange et toute la gamme des bleus.

Non, en fait, mon premier vrai souvenir, c‘est lorsqu’avec unevoix blanche que je ne lui connaissais pas, le cœur battant la chamade, maman a déclaré à celui qu’elle nomme « mon chéri » qu‘elle avait une grande nouvelle à lui annoncer. Il y a eu ungrand silence, puis un bruit énorme, après qu’elle lui a dit entremblant « Tu vas être papa… ». C’est alors que mon chéri s‘est mis à crier. Jamais je n‘avais entendu des sons aussi violents. Au bout de quelques instants, mon chéri a hurlé des bruits que je n‘ai pas compris, quelque chose comme « ce sera moi ou lui, je fous le camp ! » Et il a claqué la porte à toute force. Le cœur de maman s‘emballait, et j’ai ressenti une douleur aiguë au creux de son ventre, alors qu’elle se recroquevillait sur elle-même, toute secouée de tremblements. Je ne la reconnais pas. Elle ne s‘est calmée que longtemps après, alors qu’on était passé déjà du rose orangé au bleu profond.

Quelque temps plus tard, alors que ma vie douillette avait repris comme autrefois au fond moelleux du petit ventre, mon chéri est revenu. J’ai d‘abord eu peur qu’il ne se remette àcrier, mais cette fois, heureusement, sa voix était plus calme. Ce qui m’étonnait, c’est que le mal de ventre de maman avait repris de plus belle, sans parler de son cœur, qui n’en faisait qu’à sa tête.

« Excuse-moi pour l’autre jour, je me suis un peu énervé », a dit mon chéri. « Mais il faut me comprendre, c’est vraiment pas le moment. Je sais bien que je t’avais dit que j’en voudrais un, que ça cimenterait notre couple, qu’on pourrait lui donner le nom de ton grand-père si c’était un garçon, mais bon… pas maintenant. Il faut être adulte, tu comprends. Un gosse, ¢a veut dire pas de nouvelle voiture. Et puis j‘ai calculé, il tomberait pile poil pendant les vacances d’été. C’est paspossible, tu comprends ? »

La douleur dans le ventre est devenue plus forte. En même temps, j’ai entendu mon chéri qui demandait à maman d‘arrêter de sangloter comme une madeleine, qu’elle était vraiment ridicule. Puis il s’est rapproché, l’a prise dans ses bras et lui a chuchoté qu’il s‘était renseigné, que tout baignait, qu’il avait déjà pris contact avec le centre d‘IVG.

Dans le ventre, la douleur est subitement devenue atroce. Maman a eu un geste brusque, mon chéri Ia lâchée et s’est mis à crier : « je rêve ou t’es en train de me gerber dessus ? ça va pas la

Tête ? Putain, je me demande des fois si je ferais pas mieux de vous laisser une bonne fois pour toutes, toi et ton lardon, puisque tu l’aimes tant ! » Cette fois, c’est maman qui a hurlé : « Ne me laisse pas, je t’en prie, je t’aime. Je ferai tout ce que tu veux ! ». Mon chéri lui a dit d’aller se laver, qu’elle puait, et qu’ensuite, ils pourraient enfin parler en adultes responsables.

Un peu plus tard, la conversation a repris. Maman gémissait àvoix basse : « je l’aime, c’est mon enfant à moi, mon enfant ». Mais mon chéri lui répondait qu’elle n’y connaissait rien, qu’elle était décidément toujours aussi bête et inculte, que ce n’était qu’un simple amas de cellules, et d’ailleurs, que si c’était autre chose, on n‘aurait pas le droit de le faire passer.

Et quand maman lui a demandé si on avait vraiment le droit, mon chéri s‘est énervé à nouveau : « Non seulement c’est undroit, ma pauvre poulette, mais c’est un droit fon-da-men-tal,même qu’à l‘Assemblée nationale, tous les groupes politiquesont adopté un genre de loi, l’autre jour, pour le rappeler haut et fort à tous les tarés qui le contestent encore ! L’Assemblée nationale ! »

« Et le pape François, dont tu dis qu’il est vraiment super et qui a déclaré l’autre jour que l’avortement relevait de la culture du déchet ? »

« Tu comprends rien, décidément. D’abord, ¢a m’étonnerait que le pape François ait dit ça. Et puis c’est pas ses oignons. Tu as le droit de disposer de ton corps, bordel ! Un droit, c‘est un droit. Et c’est ton corps, tu m‘entends, le tien ! De toute façon, je te le répète, ce sera lui ou moi ! » Puis il est reparti en claquant la porte. Ce matin, très tôt, mon chéri est encore revenu. Il avait à nouveau sa voix mielleuse lorsqu’il a dit à maman que c’était aujourd‘hui le grand jour. Drôle de grand jour : maman a sangloté toute la nuit en caressant son « petit ventre ». Les douleurs ne cessent plus.

« Habille-toi en vitesse, on va être en retard au centre », a ordonné mon chéri. « Et puis surtout, arrête de chialer, bon sang. Ils vont finir par croire que t’es pas consentante, que t’as envie de le garder ! ».

Maman a eu un haut le cœur, mais elle n‘a rien dit. Pas un mot. Elle s‘est tue jusqu’à ce que, quelques heures plus tard, une autre voix, coupante et glaciale, lui dise de s‘allonger et de se détendre, que tout irait bien, qu’elle ne sentirait absolument rien avec l’anesthésie. C’est alors que j‘ai perçu, mais déjà très lointain, tremblant et presque étouffé, son tout dernier mot : « oui ».

Article paru dans le Bien Commun n° 20, septembre 2020