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Onze années de service à la Nouvelle Revue Universelle

Christian Franchet d’Esperey

L’année prochaine, la Nouvelle Revue Universelle fêtera ses 20 ans. Quand Hilaire de Crémiers la prit en charge en 2005, le pari n’était pas gagné d’avance tant la vie des revues d’opinion ne tient qu’à un fil. Sauf si elles sont subventionnées mais, pour la NRU, tout espoir de cet ordre était franchement chimérique ! Selon la formule consacrée, la NRU « ne vit que de ses abonnés », dont certains, il est vrai, débordent des tarifs normaux. Que tous trouvent ici l’expression de notre gratitude.

Depuis 2005, la revue a bénéficié de deux grands rédacteurs en chef, Gilles Varange, bainvillien de grande race, puis Xavier Walter, essayiste, sinologue et chroniqueur religieux profondément regretté : seule la mort le fera abandonner sa tâche. C’est alors qu’après l’intérim assuré par Jean-Baptiste d’Albaret, Hilaire de Crémiers a confié les rênes de la revue au signataire de cet éditorial. C’était en septembre 2012. Après une légitime inquiétude sur la manière dont les choses se dérouleraient, je fus rapidement rassuré : la NRU était une machine bien huilée, il n’y avait qu’à continuer à la faire avancer.

La seule innovation pratique que j’apportai fut de faire précéder chaque article d’un feuillet gris de présentation. L’idée plut, elle dure encore. Sa fonction a peu à peu varié d’un article à l’autre : parfois résumé rapide pour les sujets difficiles, ou mise en perspective par rapport à un sujet plus large, ou rappel de la position de la revue s’il y a débat. Ou humeur personnelle du rédacteur en chef le cas échéant…

Ce qui faisait que la machine tournait rond, c’est qu’il y avait toute une équipe, non organisée, mais fiable et fidèle, de rédacteurs de talent, plusieurs d’entre eux collaborant déjà à Politique magazine : Gilles Varange, François Reloujac (François Schwerer), Claude Wallaert, Antoine de Crémiers, Jean-Baptiste Donnier, Pierre de Meuse, Yves Morel, Michel Bouvier…

Puis il y eut des nouveaux venus : Luc de Goustine, Dominique Decherf, Philippe Kaminski notamment, et Michel Mourlet qui, en 2017, implanta durablement son Journal critique au « rez-de-chaussée » de la revue. Mais c’est dès 2016 qu’un événement fera date : la sortie d’un numéro spécial consacré à Pierre Boutang à l’occasion de son centenaire. L’événement consista surtout en la réunion d’un superbe ensemble de communications consacrées à l’homme et à l’œuvre. Ce qui fut aussi l’occasion d’une petite révolution : l’introduction dans les pages intérieures de la NRU d’illustrations photographiques, en noir et blanc… L’habitude ne s’installera que peu à peu, mais le pli était pris.

C’est un événement d’un tout autre ordre qui allait, en 2018, affecter profondément le contenu de la revue : le cent cinquantenaire de Charles Maurras. Cet anniversaire qui aurait pu, comme les précédents, ne donner lieu qu’à quelques manifestations cantonnées aux fidèles, fut pourtant inscrit dans le Livre des commémorations 2018 du ministère de la Culture. On se rappelle le scandale que ce fut : le ministre apeuré censura Maurras, provoquant la démission collective des historiens de la commission. Avec la sortie simultanée de l’anthologie Maurras dans la collection « Bouquins », c’est l’image même de Maurras qui, après une longue période d’effacement, revenait dans le débat public. La NRU ne pouvait faire moins que s’engager sur cette voie, plutôt nouvelle pour elle. Il est de fait que, depuis des décennies, le silence médiatique et le désert éditorial imposés par la pensée dominante étaient suffisamment intimidants pour qu’il paraisse préférable, d’une manière générale, de n’évoquer Maurras qu’avec une certaine réserve.

La nouvelle donne se manifesta pour la première fois dans la NRU dès l’automne 2018, avec la publication intégrale des communications d’un colloque tenu à Marseille sur le thème Maurras, l’homme de la politique, réunissant Hilaire de Crémiers, Jean-Philippe Chauvin, Aristide Leucate, Stéphane Blanchonnet, Jean-Baptiste Donnier, Bernard Pascaud, Jacques Trémolet de Villers, ainsi que le signataire de ces lignes. Le même numéro proposait d’autres articles, dont deux textes importants de Victor Nguyen : «  Race et civilisation chez Maurras » et « Note sur les problèmes de l’antisémitisme maurrassien ». Et dans le numéro suivant, on pouvait lire un article d’Axel Tisserand sur « Maurras, philosophe politique ».

L’année suivante, 2019, marquait le 20e anniversaire de Pierre Debray : la NRU célébra la mémoire de celui qui fut l’un des principaux disciples de Maurras dans les années 1960 en lui consacrant un numéro spécial. Il constituait un pendant à l’hommage rendu à Boutang en 2016, avec cette différence que, contrairement à Boutang, Debray avait totalement disparu de la mémoire collective, alors que son œuvre, très importante, mérite d’être sortie de l’oubli. Dans ce numéro on trouve des articles d’Axel Tisserand, Gérard Leclerc, Olivier Dard, Michel Michel, Danièle Masson. Dès la fin 2019, la NRU proposa un nouveau dossier Maurras, avec le texte d’un débat entre Alain Finkielkraut, Michel De Jaeghere et Martin Motte sur le thème « Lire Maurras aujourd’hui », et un entretien d’Éric Zemmour avec Marion Maréchal sur « de Gaulle et Maurras ».

Début 2020, nouveau dossier où, cette fois, Maurras est confronté à de Gaulle : ambiguïtés et mystifications d’une probable filiation, thème abordé sous différents angles par une douzaine d’intervenants.

C’est à ce moment que débute l’épidémie de covid-19 qui prend très vite une dimension politique. Pendant toute la durée de l’épidémie, Élie Detrèves a procédé, pour la NRU, à une analyse des faits au fur et à mesure qu’ils se déroulaient, en leur appliquant une méthode historique rigoureuse. Il a observé notamment le processus politique permettant à un régime démocratique d’abolir les libertés les plus élémentaires sans provoquer de révolte. Cette enquête vient d’être éditée par les éditions de Flore sous le titre La Grippe ou la Peste.

Il reste maintenant, pour le signataire de cet éditorial, à indiquer qu’après onze ans au service de la NRU et de ses lecteurs, c’est la dernière fois qu’il se livre à cet exercice. Une page se tourne. Ce qui se passera sans douleur, car la succession, mûrement préparée, est parfaitement assurée. Axel Tisserand – tout le monde s’accordera sur l’inutilité de le présenter – a accepté d’en prendre la charge, en plus de ses multiples activités. Qu’il en soit ici très chaleureusement remercié. Bienvenue, cher Axel, tu es désormais ici chez toi !

Le moment est venu pour moi de remercier Hilaire de Crémiers. Je dirai simplement Hilaire. Nos liens font que les mots me manquent pour dire ici mes sentiments. Il les connaît. J’ajouterai seulement qu’il aura été le plus libéral des directeurs (en espérant qu’il agrée l’adjectif !), n’intervenant jamais que lorsque je le sollicitais. Une remarque encore, quand même : la NRU lui doit tout… même l’existence.

Il me faut remercier aussi tous les collaborateurs réguliers de la revue, aux talents si divers, mais tous attachés à cette vision bainvillienne qui donne son caractère propre à notre aventure. Je pense particulièrement à Philippe Lallement, l’irremplaçable ami, la tête chercheuse de la NRU, qui a joué un rôle décisif dans tous ses récents développements. Je pense aussi à Josseline Walter, qui a mis tout son talent au service de la maquette de la revue ; à Henri Bec qui lui a si efficacement succédé, dans la plus chaleureuse des amitiés ; à Laurence de Crémiers, à Pascale Martini et à Louis Garban, si vivement présents chacun à sa manière.

Il reste que la dureté des temps a eu trop facilement raison de nos forces, conduisant à un cumul des retards des parutions. Les abonnés n’ont pas été et ne seront jamais lésés, l’abonnement dit d’un an portant obligatoirement sur quatre livraisons de la revue. On notera cependant que ce n°74-75 compte 224 pages, ce qui constitue un record dans l’histoire de la revue !