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The Great Reset : plus de mal que de peur (Partie 1)

Par ENZO SANDRE

La lecture du livre de Klaus Schwab et Thierry Malleret devrait être imposée à toute personne affirmant avec aplomb que nos « élites » ont provoqué la pandémie de Covid-19 et utilisent désormais le confinement pour refaçonner le monde. Si ce livre résume nos élites mondiales, celles-ci sont à la fois pauvres intellectuellement, bourrées de contradictions nous donnant raison et défaitistes sur leurs propres chances de victoire. La seule raison du succès de ce livre semble être la pub imméritée faite par les complotistes.

The Great Reset est un executive summary : un résumé pour décideurs, présentant les enjeux de l’ère post-covid. Les auteurs ont effectué un travail de synthèse plutôt correct pour qui sortirait d’une grotte en pleine pandémie de Covid. Les cent premières pages du livre, ainsi que les deux dernières parties, sont inoffensives, sinon qu’elles laissent au lecteur l’impression d’avoir écouté l’ennuyeux sermon d’un curé progressiste ayant réchappé de la pandémie. Le triptyque covid-écologie-inégalités est répété ad nauseam. La solution : plus de bienveillance et des institutions supra-nationales pour forcer les nations à être altruistes, bien entendu. Le tout est parsemé de termes à la mode sur LinkedIn : Black Swan, « Quantic politics » et tutti quanti.

Un travail bâclé

Ce livre est présenté comme « mi-essai, mi-rapport académique » par ses auteurs. Ce style bâtard consiste à mêler la rigueur relative de l’essai à l’aridité littéraire du rapport. Autrement dit, les sources, surtout académiques, se font rares, elles semblent surtout saupoudrées pour donner l’illusion d’un travail rigoureux et le cherry-picking est omniprésent. Il arrive même de trouver des sources bien plus nuancées que ce que les auteurs leur font dire, voire en totale contradiction avec le texte qu’elles justifient[i].

Les termes sont rarement définis, ce qui permet par exemple de rester flou sur le terme de globalization[ii], désignant tantôt la mondialisation comme phénomène, tantôt le lobbying en faveur d’institutions mondiales, parfois appelé mondialisme. Le lecteur charitable parlera d’imprécision, bien qu’elle serve très souvent le propos des auteurs. Cela leur permet par exemple de présenter plusieurs fois un faux dilemme, obligeant à choisir entre le nationalisme et la coopération internationale. Maurras, Kim Jong Un, même doctrine ?

L’appel à la peur est omniprésent, avec des arguments taillés pour effrayer le bourgeois, ou plutôt le middle manager du tertiaire entre deux réunions Zoom. Peur de la mort, bien que de l’aveu même des auteurs le Covid soit très peu mortel par rapport aux épidémies servant de caution historique au livre (Peste Noire, Peste de Justinien, Grippe Espagnole ou même SIDA). Peur du chaos qui suivrait la fin de l’hégémonie du gendarme américain, les Afghans apprécieront. Peur de l’effondrement des institutions mondiales, comme si l’inutilité de l’OMS pendant la pandémie, reconnue par les auteurs, avait changé quelque chose. Enfin, peur du bruit des bottes, évidemment, le nationalisme amenant toujours à de sociétés de petits bonshommes gris, ricanant sous cape dans la pénombre après avoir vendu leur voisin à la police contre une autorisation de circuler dans la rue[iii].

Bien que le livre ne se veuille pas un ouvrage de prospective et que les auteurs écrivent noir sur blanc que les prédictions sont un jeu de dupe, ils ne se privent pas d’en faire tout le long du livre[iv]. La plupart se réfèrent à un futur encore non advenu au moment d’écrire ces lignes. Notons tout de même qu’ils avaient vu juste sur la dédollarisation, mais pas sur l’inflation post-pandémie.

Pour terminer, bien que les auteurs tentent de se donner la hauteur magistérielle du rapporteur académique, des expressions leur échappent et trahissent un parti-pris peu surprenant. Lorsqu’ils parlent du conflit entre l’establishment d’un côté, les partis populistes et le peuple de l’autre. Les premiers sont parfois remplacés par le pronom « nous » contre les seconds, « eux », qu’il faut écarter du pouvoir. C’est honnête à défaut d’être très démophile. Leur idéologie est qualifiée d’open society[v] face aux forces de la fermeture et du protectionnisme. Ce ne sont que des exemples.

Si l’ensemble se veut un rapport académique, il s’agit d’un travail bâclé. Soyons bienveillants et retenons seulement qu’il s’agit d’un modeste essai.

Un saint-simonisme crépusculaire

La partie véritablement intéressante, où les auteurs se « mouillent » est au centre de l’ouvrage, dans la seconde moitié de la première partie. Bien que la lecture reste pénible, les surprises s’enchaînent.

La première surprise est que les auteurs ne sont pas des néolibéraux forcenés, mais des sociaux-démocrates. Encore que le qualificatif de démocrate soit de trop. Parlons plutôt de sociaux-technocrates, de Saint-Simoniens, en fait. Leur argument principal en faveur d’un tel système est simple : lors de l’épidémie, ce sont la dotation des hôpitaux et la compétence des bureaucrates qui ont déterminé la létalité du virus. Cependant de telles commodités sont fragiles en démocratie : lorsque la dernière crise sanitaire a disparu des mémoires, les élus tendent à rogner les budgets, qui, comme une police d’assurance, ne servent à rien quand tout va bien. Il faut donc leur ôter la gouvernance du système de santé au profit d’instances non-élues. Le raisonnement est pertinent et vaut pour toute infrastructure de réponse aux crises (pompiers, police, etc.).

Les auteurs accusent le néolibéralisme d’avoir tué, en créant une médecine de classe dans les pays où il est appliqué. Cela désavantage les plus pauvres et finalement l’ensemble de la société, la contagion se fichant de l’écart de richesse entre les postillons.

Plus tôt dans l’ouvrage, ils redoutent que le peuple comprenne que l‘argent pousse effectivement sur les arbres. Cela provoquerait une pression démagogique sur les banquiers centraux, afin de créer de la monnaie de manière incontrôlée, donc hyper-inflationniste. L’outil monétaire doit être laissé en des mains responsables, donc non-élues là encore.

Nous pourrions être d’accord avec de tels raisonnements s’ils ne proposaient pas de mettre les manettes dans les mains d’encore plus volatil, irresponsable et vagabond que des élus nationaux.

La deuxième surprise est un nombre incroyable de contradictions entre les faits rapportés dans le livre et les conclusions qui en sont tirées. Les faits présentés amènent à une conclusion nationaliste, protectionniste, éventuellement démophile, mais certainement pas démocrate. Jugez plutôt :

  • Les pays qui se sont le mieux défendues contre le virus sont les petits états-nation forts, ils citent en exemple l’Islande, la Corée du Sud ou encore Singapour. Prenons garde néanmoins, tous leurs exemples sont des îles, au moins géopolitiquement pour la Corée.
  • Ils admettent la défaite des institutions mondiales telles l’OMS, l’ONU ou encore l’UNESCO et la toute-puissance des États-nations, seuls véritablement efficaces pour résoudre les problèmes. Ni la pandémie, ni l’écologie, ni la pauvreté, ni les migrations ne sont traitées efficacement par des instances mondiales inefficientes.
  • Les institutions régionales comme l’U.E ont failli dès que les choses ont commencé à aller mal, chaque état-nation jouant sa propre partition et protégeant prioritairement … ses citoyens. Le fait était prévisible, les auteurs évoquent plus loin que les crises ont toujours renforcé les états-nations modernes qui les ont surmontées, ce qui ne les tue pas les rend plus forts.

Qu’en concluent la paire d’auteurs ? Qu’il faut bannir les démons du nationalisme et du populisme, mettre en place une gouvernance mondiale coercitive pour « rendre prévisibles » les comportements des Etats-Nations, créer encore plus d’interconnections et recréer une hégémonie, de préférence US car la Chine fait peur. Le raisonnement est semblable à celui des vieux perroquets staliniens, martelant qu’il faut plus de communisme pour que le communisme fonctionne.


[i]  https://www.foreignaffairs.com/articles/world/2019-02-12/why-nationalism-works utilisée pour appuyer l’horreur absolue du nationalisme dans l’ouvrage, alors qu’elle affirme que nous sommes tous héritiers du nationalisme et que le terme recouvre de nombreuses formes de nationalismes.

[ii] Ce résumé est établi à partir de la version originale du livre, en anglais.

[iii] Toute ressemblance avec une situation vécue est fortuite, sale complotiste.

[iv] Dans l’ordre :

  1. Absence d’inflation post-covid : raté.
  2. Dédollarisation en raison du déficit et de l’impérialisme U.S : bien vu.
  3. Chute du néolibéralisme, vu comme aggravant de la pandémie : trop tôt pour juger.
  4. Augmentation scandaleuse des inégalités à court-terme, mais révoltes et redistribution à plus longue échéance : trop tôt pour juger de la seconde partie.
  5. Renforcement des états et de leur rôle social : trop tôt pour juger.
  6. Refonte du contrat social autour de plus de protection pour les plus pauvres : trop tôt pour juger.
  7. La régionalisation va devenir le refuge de la mondialisation, de plus en plus débattue : en cours.
  8. On ne sait pas comment va évoluer le conflit US/Chine, prédire est un jeu de dupes (oui, oui).

[v] Nom de l’ONG de George Soros, renvoyant à l’essai de Karl Popper.