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L’éditorial de François Marcilhac

Le « en même temps » mariniste

Voter les textes de La France insoumise, pour Marine Le Pen et le RN, deviendrait-il une habitude ? Alors qu’elle avait déposé la sienne, Marine Le Pen avait réussi un joli coup politique et médiatique, déstabilisant quelque peu la NUPES, en annonçant que le RN voterait également la motion de censure de LFI, déposée après le premier recours par Elisabeth Borne au 49.3 sur le budget. Cela était évidemment inoffensif pour la majorité relative et le Gouvernement, mais avait un air potache qui prêtait à sourire. Nous écrivions dans notre éditorial de septembre qu’il était à craindre que le RN ne puisse jouer que les utilités, en raison de sa diabolisation continue : Marine Le Pen avait trouvé un moyen de s’en servir pour troubler un jeu parlementaire bien huilé. Il semble qu’elle y ait pris goût et que, pour exister, elle ne voit plus d’autre moyen, désormais, que de surjouer les utilités, en provoquant à tire-larigot des effets de surprise… qui risquent dès lors de s’éventer.

Il en est ainsi de son soutien à la proposition de loi constitutionnelle présentée par LFI visant à constitutionnaliser l’avortement. Après avoir créé un premier effet de surprise, en déposant la sienne, sous la forme de la constitutionnalisation de la loi Veil, elle en a créé rapidement un second, en se rangeant au texte de LFI, n’y trouvant plus rien à redire après un amendement cosmétique du MODEM. On a dit dans un premier temps que la constitutionnalisation de la loi Veil permettait à Marine Le Pen de dépasser les clivages sur la question au sein de son propre groupe, personne ne remettant plus en cause cette loi — une loi qui a été aggravée au fil des législatures. Marine Le Pen a surtout cherché et réussi à franchir une nouvelle étape dans l’affadissement du discours du RN et sa soumission à celui des médias et du pays légal en matière « sociétale », conditions selon elle de son arrivée au pouvoir. Aussi cela ne la gêne-t-il pas d’apparaître, sur ces questions, à la remorque de LFI, ou du groupe macronien Renaissance, qui avait initialement déposé son propre texte.

Il est certain, eu égard à l’état de la société, que l’électorat en général, et celui de Marine Le Pen en particulier, ne font pas de ces questions des points non négociables. Justement : compte tenu des problèmes auxquels les Français sont confrontés en matière économique et financière, avec une inflation, notamment sur les produits alimentaires, qui ne ralentit pas et un surenchérissement des prix des carburants et de l’énergie à l’entrée de l’hiver, la constitutionnalisation du droit à l’avortement, un « droit » nullement menacé — sauf pour ceux qui vivent à l’heure américaine — est loin d’être, aux yeux des Français, une priorité. Dès lors, il n’est pas certain non plus que de courir ainsi après la « respectabilité » sur ces questions fasse gagner à Marine Le Pen des électeurs. Son attitude pourrait troubler non seulement ce qui lui restait d’électorat conservateur ou catholique, mais tout simplement cette partie, certes minoritaire mais qui peut faire la différence un soir de second tour serré, de l’électorat qui s’intéresse encore à la fiabilité du discours. Or, alors que le RN s’était opposé à l’allongement à quatorze semaines de l’avortement, en invoquant pour présenter sa propre proposition de loi un garde-fou en matière de délai et, aussi, d’objection de conscience pour le personnel médical, avant de se ranger derrière LFI sans rien avoir obtenu sur ces points, Marine Le Pen découvre le défaut de sa cuirasse : sa parole politique n’est pas fiable, puisqu’elle est capable de dire une chose et son contraire en l’espace de vingt-quatre heures, de faire montre d’un « en même temps » aussi grossier, et sur des sujets qui mettent en jeu, d’ordinaire, les convictions profondes de chacun — d’où la liberté de vote habituellement pratiquée sur ces textes législatifs, notamment chez Les Républicains, En sera-t-il demain de même sur la question de l’euthanasie ? C’est à craindre.

Justement, le RN a également pratiqué la liberté de vote. Et treize députés ont sauvé l’honneur du groupe parlementaire — avant la prochaine purge ? —, auxquels il convient d’adjoindre la députée non inscrite Emmanuelle Ménard. Mais prendre l’exemple sur LR est-il judicieux ? Marine Le Pen qui n’a été d’ « extrême droite » que le temps de se débarrasser de la figure tutélaire, rêve de recréer le RPR…Du moins, dans la meilleure des hypothèses. Car c’est plutôt vers le chiraquisme et l’UMP, mouvement centriste, qu’elle risque de conduire un RN prêt, désormais, à tous les « en même temps », et à tous les abandons — ce centrisme appelé Marais sous la Révolution. Marine Le Pen n’a-t-elle pas déjà prévenu, au cours de la campagne présidentielle, de sa soumission absolue à la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui lui interdirait a priori toute politique migratoire efficace ? 

Le cardinal de Retz prétendait qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. Il est tout aussi vrai qu’on risque de s’y enliser. Le risque pour le RN est de passer de vie à trépas sans avoir jamais connu l’épreuve du pouvoir.