You are currently viewing Caroline Cayeux et la République : un malentendu 

Caroline Cayeux et la République : un malentendu 

Par Estelle Floriani

Cet article qui revient sur « l’affaire Cayeux » que nous avons déjà évoqué sur notre site (https://www.actionfrancaise.net/2022/07/18/affaire-cailleux/ ) apporte un éclairage complémentaire intéressant et nous dirions  astucieux, même si nous avons moins d’égard que l’auteur pour la République. (AF)

Au secours ! Le mariage pour tous a encore des adversaires. Toute la Gaule n’est donc pas occupée ? Non : au sein même du gouvernement de la République, résiste encore une petite gauloise « homophobe », dit-on. Pour ma part, je le confesse, je ne parviens pas à la trouver entièrement antipathique, cette madame Cayeux. Et surtout, l’affaire Cayeux m’amène à poser quelques questions sur cette fameuse République, si injustement attaquée, paraît-il. 

J’ai hésité à ajouter mes gouttes d’encre à l’océan de bavardages qui inonde notre mental collectif et – pendant que notre maison commune brûle, que le canon tonne en Europe, et que la famine menace le monde et la pauvreté la France – évoque les arguties des docteurs byzantins sur le sexe des anges, alors que les Turcs campaient aux portes de la ville. Toutefois, en y réfléchissant mieux, je me suis avisée que, bien que les protagonistes de notre polémique ne puissent prétendre au centième de la haute culture des théologiens grecs du XVème siècle, l’enjeu soulevé par leurs éructations indignées ne manquait pas d’intérêt. Qu’il était même de la plus haute importance. Bien supérieure assurément que la question du sexe des anges (pourtant moins oiseuse qu’il n’y paraît, peut-être, mais ceci est un autre sujet). 

Quelques questions, donc, qui se ramènent à une seule : Sur quoi se fonde-t-on pour reprocher à madame Cayeux de « bafouer la loi de la République » (Jack Lang, JDD, 17 juillet)  ?

Sur le fait qu’elle ne respecte pas la loi ?

La loi sur le mariage pour tous, promulguée en 2013 sous le mandat de François Hollande, est certes positivement une loi de la République. Personne ne le nie. Pas même madame Cayeux. L’on comprend parfaitement que, selon une certaine logique républicaine, l’on exige d’un membre du gouvernement, dont la mission est de mener une politique dans le cadre des lois existantes et de faire appliquer ces lois, qu’il ne s’oppose pas à cette politique. L’on admet aussi l’obligation faite à tous les citoyens de respecter les lois en vigueur.

Madame Cayeux a-t-elle dit qu’elle refusait d’appliquer cette loi ? A-t-elle menacé d’agir, en tant que ministre des collectivités territoriales, pour que les maires ne puissent plus prononcer des mariages entre les personnes de même sexe ?

Pas que je sache. Elle a même affirmé le contraire : « (…) j’ai toujours dit que la loi, si elle était votée, je l’appliquerais ». (Public Sénat, 12 juillet). « L’égalité des droits doit toujours être une priorité de notre action. » (Twitter, 13 juillet). « Je veux qu’elles (les personnes homosexuelles ) sachent qu’elles me trouveront toujours à leurs côtés dans les combats qu’elles mènent contre les discriminations et pour l’égalité des droits ». (Marianne, 15 juillet).

Mais doit-on la croire ? On a du mal, visiblement. On réclame des preuves. L’on pourra compter sur la vigilance de sa charmante collègue, madame Schiappa : Des paroles, il faudra passer aux actes. « Si elle souhaite le faire, elle peut soutenir l’ouverture de centres LGBT + partout dans le pays, elle peut soutenir des ‘prides‘ [marche des Fiertés] elle peut soutenir les maires qui ont envie de s’engager pour créer des délégations sur les droits LGBT + ». (France Inter, 15 juillet). Voilà qui annonce, autour de madame Borne, une ambiance de travail conviviale. 

L’accusation se fonde-t-elle sur le fait que, même si elle respectait la loi, la ministre ne l’approuve pas ?

Ici, c’est plus complexe. Car il faut suivre les palinodies de cette pauvre madame Cayeux. Dans deuxième temps, harcelée par la meute des bien-pensants et, on s’en doute, amicalement pressée en haut lieu, elle s’est livrée à une autoflagellation digne des confessions publiques arrachées aux accusés des procès staliniens et, plus proche de nous, aux victimes américaines des ligues de vertu antiracistes. « Mes propos ont blessé nombre d’entre vous. Je les regrette profondément, ils étaient naturellement inappropriés ». (Twitter, 13 juillet) a-t-elle d’abord lâché. Puis, comme l’humiliation était encore trop douce, elle estima devoir, le lendemain, préciser que ses propos d’il y a dix ans étaient « stupides et maladroits » et, promis, juré-craché, « je ne les utiliserai plus et les regrette », pour finir par présenter ses « excuses les plus sincères ».

Mais nos juges inflexibles ne s’en tiennent pas quitte. Non content d’avoir imposé à la coupable cette atroce comédie, ils ne lui en sont même pas gré et ne retiennent que sa première déclaration (« Je maintiens évidemment mes propos »). (Public Sénat, 12 juillet).

Car, s’il fut une civilisation où la repentance pouvait susciter le pardon ou au moins la clémence, le monde d’après, lui, n’exige la repentance que pour mieux humilier et accuser encore plus le coupable : vomir ne suffit pas, il lui faut encore se rouler dans son vomi.

Lisons la dernière tribune en date : « Elle a choisi délibérément de maintenir des propos homophobes  : c’est certainement répréhensible. Et seul un juge devrait en décider. (…)

Les paroles d’une ministre, quel que soit son rang protocolaire, ont une force symbolique qui dépasse souvent la force légale  : ses regrets auraient eu un véritable impact s’ils avaient eu a minima la force de la sincérité. » (Le Journal du dimanche, 17 juillet.)

Notons d’abord une contradiction : D’une part, on admet qu’elle a exprimé ses regrets. D’autre part, on estime qu’elle maintient ses propos homophobes. Contradiction facilement levée, d’une double façon : les signataires jouent sur les discours successifs de la ministre et ils nient tout simplement la sincérité de ses regrets.

L’on reproche donc à notre ministre de ne pas approuver la loi actuelle. L’esprit républicain prend ici une tournure sévère. Un bon ministre doit, non seulement appliquer loyalement la loi et la politique de son gouvernement, mais, en plus, penser selon l’esprit de cette loi. La république exerce son autorité sur les actes, sur le for externe, comme tout régime politique, mais de surcroît sur la conscience, sur le for interne. Ce que les pères abbés s’interdisent depuis mille ans avec leurs moines, la République l’a osé. C’est un progrès.

L’on dira, certes, que les propos d’une ministre ne relèvent plus du for interne, mais du for externe, s’ils sont publics. Admettons. Toutefois, l’on ne peut s’empêcher de relever l’intransigeance manifestée ici de la part de gens qui, par ailleurs, se font les apôtres de la liberté de penser et de s’exprimer – surtout pour eux-mêmes il faut le dire.

L’on arguera enfin que la liberté d’expression appartient aux citoyens ordinaires, mais non à un ministre en exercice, qui se doit d’entrer publiquement dans l’orientation de son gouvernement. Nul doute alors que si madame Cayeux avait dit qu’à titre personnel elle préférait la retraite à 60 ans ou une politique davantage écologique, les cris d’orfraie eussent été aussi stridents…

Quoi qu’il en soit, ce qui fait foi et loi, ce ne sont pas les propos de la ministre (en tous cas pas les derniers en date), mais le manque de confiance que l’on en a. On revient à l’intimité subjective. Celle des accusateurs, qui savent que madame Cayeux n’est pas sincère, et par ailleurs sont blessés par des propos qui « meurtrissent personnellement beaucoup d’entre nous » (Ibid)et celle de l’accusée, menteuse et méprisante pour ceux qu’elle appelle « ces gens-là », expression où les oreilles délicates ont perçu une subtile nuance péjorative. (Note 1).

Les reproches adressés à la ministre se fondent-t-ils, pour finir, sur le fait que, même si elle approuvait la loi aujourd’hui, il reste qu’elle ne l’approuvait pas en 2013 ?

Pourquoi paraît-il impossible que madame Cayeux se soit convertie réellement ? Pourquoi cette possibilité qu’admettait parfaitement les inquisiteurs du XVIème siècle de la part des hérétiques les plus endurcis, semble à leurs successeurs actuels inenvisageable ?

D’abord, bien sûr, parce que le revirement de la ministre a été arraché sous contrainte. Ce que l’on affirme le pistolet sur la tempe est peu crédible. C’est du bon sens.

Mais ce n’est pas la seule raison. Il en est une autre, autrement fondamentale : la faute est d’une nature telle que, comme les crimes contre l’Humanité, elle est imprescriptible. Ici, faute avouée ne peut être pardonnée. Car elle a bien avoué, bravache : « je ne peux nier les avoir tenus » (note 2) (même si elle a tenté, comme saint Pierre dans la cour de palais du grand prêtre avant que le coq ne chantât trois fois, de minimiser la chose : « Je n’ai jamais fait partie de la Manif pour tous, que les choses soient claires ». (Twitter). Au contraire : l’aveu, loin d’atténuer la culpabilité, l’aggrave. Jamais le présent ne pourra réparer le passé. Le passé, stigmate ineffaçable, flétrira à tout jamais le présent.

Malgré des excuses formelles et les plus plates, malgré la protestation de foi la plus orthodoxe, malgré l’expression de la compassion la plus humide, rien, jamais rien, ne pourra effacer la faute impardonnable d’en avoir été. Du mauvais côté.

Les conséquences suivent : traîner madame Cayeux devant les tribunaux. On s’en occupe : « plusieurs associations anti-homophobie ont annoncé ce mercredi 12 juillet avoir déposé plainte à Paris contre Caroline Cayeux » (Marianne, 15 juillet)

C’est là où les choses deviennent intéressantes. Je pensais, dans ma lointaine jeunesse, que la République consistait à débattre des lois avant qu’elles ne soient promulguées et que l’opposition à un projet de loi était, non seulement autorisée, mais recommandée par le principe démocratique de discussion et d’échange d’arguments. J’avais tort. Etre républicain consiste à avoir toujours été d’accord avec toutes les lois actuelles.

Faudra-t-il dire que François Mitterrand, Charles de Gaulle, Léon Blum et Jean Jaurès n’étaient pas républicains, pas plus que Gambetta, Victor Hugo et Lamartine, lesquels n’avaient pas eu l’idée – pourtant évidente (quoique repoussée avec horreur par toute l’Humanité depuis le Néolithique, au moins, jusqu’à la fin du XXème siècle) – du bien-fondé du mariage pour tous. Ils étaient même, tous autant qu’ils furent, antirépublicains ?

Il faudra songer à en déboulonner les statues.

Mais il existe aussi, c’est vrai, des républicains plus modérés pour dire ceci : Avant les débats sur le mariage pour tous, nos devanciers ignorants n’étaient qu’à demi coupables. On leur accordera un brevet de républicanisme avec juste la moyenne. Mais lorsque que le flambeau de la nouvelle civilisation brandie par madame Taubira parut dans le ciel nocturne, il fallait choisir : la lumière de la République ou les ténèbres définitives. La République, c’est un train lancé à toute vapeur, que les forces de progrès poussent vers l’avant sur des rails sans aiguillage. Si vous ratez le train une fois, c’en est fini. Vous restez à quai pour l’éternité.

Qu’est-elle donc, cette fameuse République ? Pas un espace de libre discussion à la lumière de la raison. Non, non, non. C’est un mouvement, une marche, vers un but déterminé. Une fin, divinité redoutable, qu’il est interdit de discuter, et même de penser.

Mais toi, lecteur, tu aimerais peut-être y réfléchir quand même. Et d’ailleurs, te demandes-tu probablement, quelle est-elle, au juste, cette fin sublime ?

Mes lignes que tu as eu la gentillesse de lire s’arrêteront sur cette question. A toi d’y répondre.

Quant à vous, chère madame Cayeux, vous avez cru possible de rattraper le train du progrès et d’y rentrer par effraction. Vous y êtes sans doute incommodée par les glapissements qui en font trembler les vitres et, plus encore j’imagine, par le contrôleur maniaque qui ne vous quitte pas des yeux. J’ose un petit conseil d’amie : sautez pendant qu’il est encore temps ! A l’air libre, poussent encore des fleurs charmantes et gazouillent les derniers oiseaux des champs. Ils pourraient adoucir votre retraite, bien méritée. 

Notes :

1. Le Littré distingue deux acceptions de l’expression « ces gens-là » : « se dit de personnes qui sont placées à un endroit où nous ne sommes pas. (…) Se dit aussi par dédain de personnes dont on parle ». Nul n’a envisagé que madame Cayeux ait voulu simplement dire que les personnes dont elle parlait, et parmi lesquels elle comptait des amis, avait une autre orientation sexuelle qu’elle et n’étaient donc pas à la même place qu’elle sur ce plan.

2. Voici les propos tenus par madame Cayeux, sénatrice, à la séance de la chambre haute du 8 avril 2013 : « Avec cette excellente philosophe [Chantal Delsol], je pense que l’exigence du mariage homosexuel, et l’adoption des enfants qui va avec, n’est pas simplement un dessein qui va contre la nature. C’est plus grave, parce que l’on ne débat pas sur la question des limites : tout ce que je veux, et tout de suite, et qu’elles qu’en soient plus tard les conséquences. »