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Un nouveau front, poujadiste ?

Par Michel Corcelles

L’establishment est ébranlé : de crise sanitaire en menace sécuritaire, de montée du chômage en paupérisation, le système et son socle idéologique sont soumis à rude épreuve.

Dans un tel contexte peut paraitre dérisoire la réflexion sur un phénomène daté et contemporain d’une société que modernité et post modernité semblaient avoir définitivement enterré : le poujadisme. Et pourtant !

Le Mouvement des gilets jaunes a été qualifié de « poujadiste » , terme commode pour désigner tout mouvement des classes moyennes inférieures trop liées au « système » pour basculer dans un gaucho/syndicalisme post marxiste mais suffisamment marginalisé par le « système » pour basculer dans une contestation violente. Une révolte « petite bourgeoise » pour reprendre la terminologie léniniste, située à l’intersection des artisans/commerçants, des laissés pour compte de la société d’abondance et, pour l’avoir constaté sur les ronds-points « des petits blancs déclassés » avec en prime une dominante rurale.

Quoique approximatif le terme de poujadisme permet de situer, d’une manière évocatrice pour tout le monde, ce mouvement dans le paysage politique français.

Peu à peu la marque de fabrique rurale s’estompait et le mouvement se politisait sous une influence partagée en corporatisme et gauchisme mais aussi se constituait au fil des semaines un encadrement spontané plus en phase, du point de vue de sa structuration, avec ce que fut le poujadisme des années 50 ou les révoltes périodiques des « petits commerçants ».

Cette politisation était en passe de se concrétiser alors même que la masse de manœuvre tendait à s’effilocher. Survint le COVID. Le paysage changea et les « Gilets jaunes » furent apparemment engloutis dans la tempête sanitaire laissant toutefois une cendre sous laquelle continuait de bruler la braise.

La crise sanitaire peut à première vue sembler étrangère à des considérations sur un poujadisme archaïque, réel ou phantasmé. Et pourtant la crise aura frappé en toute priorité une partie de ces catégories sociales qui ont historiquement fourni des troupes au poujadisme et aux Gilets Jaunes. A contrario, même si toute la société subit le choc économique, résistent mieux à la crise les populations rétives tant au poujadisme qu’aux Gilets jaunes à commencer par les salariés censés être (pour l’instant) couverts par les plans d’aide à l’entreprise, les enseignants, fonctionnaires et retraités.

En revanche les classes moyennes inférieures, les commerçants (avec des nuances suivant les commerces), les indépendants, et tous ceux qui pour des raisons médicales, culturelles, économiquement se retrouvent au propre ou au figuré, à la rue : à commencer par les hôteliers surtout mais aussi restaurateurs ou tenanciers de bars et discothèques, coiffeurs, fleuristes … . Une belle masse de manœuvre qui saura le cas échéant (re)faire la jonction avec les anciens Gilets Jaunes.

LE MONDE COMMERCANT SE MOBLISE

La deuxième vague covidienne a plus encore révélé la présence des commerçants au cœur de la crise, comme victimes collatérales. On a pu constater, soit à l’occasion de déclarations individuelles ou collectives, de manifestations de rues (500 commerçants déterminés à Bayonne …) que les professions évoquées ci-dessus étaient en ébullition.

Les présidents des quatre fédérations représentatives des professions commerciales – Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France (CDF) ; Jacques Ehrmann, président du Conseil national des centres commerciaux (CNCC) ; Jean-Claude Delorme, président de la Fédération française des associations de commerçants (FFAC) et Jean-Pierre Lehmann, président de la Fédération nationale des centres-villes «Vitrines de France» (FNCV) – ont décidé de « faire front » en demandant notamment que les ventes en lignes soient limitées aux seuls produits de première nécessité » excluant de toute les ventes de produits habituellement vendu par des magasins fermés par voie administrative. Également demandées l’interdiction de Black Friday et la réouverture toute prochaine de la plupart des commerces.

Le pouvoir tout à son confinement fait la sourde oreille et les 4 fédérations de souligner que ces dispositions sanitaires ont pour effet « de traiter de manière inégalitaires les commerçants physiques et les marchands du web, au péril des premiers et au profit exclusif des seconds ».

Le communiqué des 4 fédérations poursuit « la fermeture des commerces dits « non essentiels » avantage dangereusement les plateformes de commerce en ligne déjà régulièrement accusées de concurrence déloyale, comme Amazon et Alibaba qui redoublent désormais de propagande pour attirer les clients, nos clients »

Il est à noter que ces fédérations n’ont pas l’habitude de signer des communiqués communs et que la crainte d’une explosion sociale n’est pas étrangères à leur soudaine unité car si aucun des signataires ne se sent héritier du poujadisme tous en craignent la renaissance.

Reste encore que ces organisations jouent le jeu des institutions et sont un facteur de « maintien de l’ordre ». Jusqu’à quand ?

DE LA RUE AUX BARRICADES ?

Cela dépendra de l’ampleur des dégâts, de ce qui est rattrapable et de ce qui ne l’est pas. Certaines prévisions font état d’un anéantissement de 40% de la profession hôtelière, d’autres envisagent 30% de dépôt de bilan dans la restauration et des dégâts majeurs dans la plupart des commerces.

Beaucoup de personnes donc à la rue (crise sociale) mais combien … dans la rue (révolte) et combien …sur les barricades (révolution) ? La réponse dépend d’abord de la détermination de cette population, ensuite de son encadrement, enfin des alliances qui se noueront ou ne se noueront pas avec les autres victimes des oligarchies.

A propos des Gilets Jaunes un observateur proche du pouvoir avait remarqué « nous avons été victime d’une illusion : nous avons cru que ce mouvement était le sursaut d’une population qui ne voulait pas mourir ; ce n’était que le soubresaut d’une population déjà morte ». Se trouvera-t-il un mouvement pour le détromper ?