Par Raymond Balcaen
Les déclarations du ministre de l’Éducation nationale au Sénat le 18 juin ont provoqué quelques remous. En effet il a déclaré, en réponse à un sénateur : « Cela rejoint une logique de vision complète du temps de l’enfant […]. Je suis de plus e plus favorable à une vision où l’emploi du temps de l’enfant serait vu pas seulement sur les heures de cours, mais aussi à ce qui se passe dans sa vie le mercredi et le week-end, sans qu’on arrive à un Big Brother éducatif, mais simplement à une attention à ce qui se passe »
Que M. Blanquer se sente obligé de faire référence à Big Brother, la figure totalitaire imaginée par Orwell dans 1984 est un signe inquiétant, même si c’est pour s’en écarter. C’est qu’il a bien conscience que c’est vers cela que son plan mène de manière évidente. Il ne s’agit pas d’une maladresse, comme certains commentateurs le lui ont concédé, L’ensemble de l’intervention du ministre le montre. Le sujet était la lutte contre la radicalisation islamiste, dans le cadre de la commission d’enquête sénatoriale qui traite ce sujet. Pour faire face au prosélytisme islamique dans l’éducation, l’axe principal des mesures est le contrôle de ce qui se fait dans les écoles hors contrat et dans l’enseignement à la maison. Et il est vrai que des écoles musulmanes se développent en France, ce qui représente incontestablement un problème. Il est vrai également que le contrôle de l’État sur la qualité de l’enseignement dispensé dans ces cadres est légitime. Mais derrière le prétexte de la lutte contre l’islamisme (qui serait plus crédible s’il nommait correctement le danger, le salafisme, et luttait réellement contre lui en fermant ses mosquées et en rompant les relations privilégiées qu’il entretient avec les pays qui en sont les foyers), c’est bien à la mise en place d’un Big Brother éducatif que travaille l’État.
Dans sa déclaration liminaire, donc préparée, le ministre a déclaré « Le temps de l’enfant ne doit pas être vu de manière saucissonnée, mais il doit être vu de manière globale. C’est pour ça d’ailleurs que notre ministère est désormais un ministère de l’Éducation nationale ET de la jeunesse ». Comprenez que l’action du ministère concerne le jeune dans sa globalité, pas seulement (pas essentiellement ?) l’enseignement. La lutte contre l’islamisme vient donc en soutien d’un projet plus global pour contrôler la jeunesse. Projet visiblement prioritaire puisque le « plan mercredi » du ministère a été finalisé pendant le confinement, période pendant laquelle les enseignants auraient aimé que les services du ministère travaillent plutôt à les soutenir de manière concrète. De la même façon, les « vacances apprenantes » prennent prétexte de la crise sanitaire pour accentuer ce contrôle des enfants.
N’allons pas croire que ces dispositifs sont du simple soutien scolaire. Qu’il s’agirait de s’assurer que l’instruction soit donnée aux enfants, de façon à lutter contre l’obscurantisme par la diffusion du savoir. Le ministre parle bien de savoirs au début de son intervention, mais c’est pour dire qu’il ne faut pas les séparer des valeurs de la République. Fameuses valeurs dont on nous rebat les oreilles sans nous dire ce qu’elles sont (à part la laïcité sur laquelle nous reviendrons). Ces valeurs, il faut les inculquer à la jeunesse à l’occasion des cours, mais aussi dans des projets éducatifs dans les écoles, mais aussi le mercredi, les week-ends et les vacances scolaires, dans les écoles publiques, privées sous contrat, privées hors contrat, à domicile. Exagérons-nous ? Laissons parler M. Blanquer : « Nous allons dévoiler tout prochainement un nouveau vade-mecum […] consacré au respect du principe de laïcité dans les accueils collectifs de mineurs. […] il participe à notre volonté de faire vivre et de partager les valeurs de la République à l’occasion de tous les temps éducatifs. » Il s’agit bien d’un encadrement général et permanent de la jeunesse. Pour s’en assurer, le ministère, outre l’ouverture des écoles pendant les vacances, va agréer des associations pour attester de leur conformité idéologique. On affiche bien entendu la lutte contre des associations qui pratiqueraient, sous couvert de soutien scolaire ou d’activités éducatives, un prosélytisme islamique. Mais nous ne sommes pas certains que les mouvements de scoutisme traditionnel, par exemple, recevront cet agrément.
Pour lutter contre le totalitarisme islamique, se met donc en place un totalitarisme républicain. Quel progrès ! N’allons pas croire que la cellule familiale restera préservée très longtemps de ce totalitarisme. Sur le ton de l’évidence le ministre affirme la liberté des familles à choisir l’éducation qu’elles veulent pour leurs enfants. Mais c’est pour dire immédiatement que cette liberté n’est pas un absolu, qu’au-dessus du droit des familles, il y a le droit de l’enfant à une éducation. Distinction monstrueuse au nom de laquelle l’État pourra se substituer aux parents, pour imposer, au besoin par la force, sa vision du monde.
Quelle vision ? Quelques indications ressortent dans cette intervention, concernant la laïcité. Dans une tirade sur l’amour de la France qu’il faut inculquer aux enfants (cet amour de la France est pour M. Blanquer un amour de la République), il affirme : « Nous sommes une société laïque, sécularisée, et nous en sommes fiers ». La laïcité ne concerne donc pas seulement l’État dans son rapport aux religions, ce qui est sa définition légale et communément partagée. C’est toute la société qui doit être laïque, et cette laïcité est une sécularisation, c’est-à-dire une absence de toute religiosité. Il s’agit donc très explicitement pour lui d’éradiquer toute transcendance de l’esprit des enfants. L’éducation de M. Blanquer est un prosélytisme athée.
Cette conception totalitaire de l’éducation n’est pas spécifique à M. Blanquer mais est intrinsèque à la République. Nous le montrerons dans un prochain article.