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Plaidoyer pour le nationalisme

Par Jean-Yves de Cara

A propos du livre à paraitre de Charles Saint-Prot

Notre ami Charles Saint-Prot a commis un nouvel ouvrage qui paraitra en juin aux éditions de Flores. Ce sujet nous intéresse parce qu’il aborde de front la question du nationalisme que notre distingué président comparait il y a peu à la lèpre. Nous sommes heureux en avant-première de vous présenter la préface de cet essai dont l’opportunité n’échappera à personne. Elle est écrite par Jean-Yves de Cara Professeur émérite à la Faculté de droit ; Avocat au barreau de Paris ; Président du Conseil scientifique de l’Observatoire d’études géopolitiques.

Dans cet essai de philosophie politique, Charles Saint-Prot, directeur général de l’Observatoire d’études géopolitiques, revient sur un thème classique mais d’une grande actualité. Lors de la campagne électorale de 2017 Marine Le Pen et Emmanuel Macron s’y confrontaient ; ce dernier opposait le « patriotisme » dont il se réclamait au « nationalisme » qu’il dénonçait chez son adversaire. Il souscrivait ainsi à l’affirmation de Jean-Luc Mélenchon qui proclamait « je ne suis pas un nationaliste, je suis un patriote ». Cependant, l’un et l’autre auraient-ils rejoint le « mouvement des patriotes » lancé par Florian Philippot quelques semaines plus tard, ou rallié Nicolas Dupont-Aignan qui s’érige en « rassembleur des patriotes » ?

Le sophisme qui caractérise la pensée du chef de l’État lui permet de combiner cette profession de foi patriotique avec une vision mondialiste et l’appel au renforcement de la souveraineté européenne à la veille du conseil des ministres franco-allemand destiné à marquer le 60e anniversaire du traité de réconciliation franco-allemand[1]. L’expérience n’a pas modifié les vues du Président français qui, en avril 2022[2], employa à douze reprises dans un même discours, le célèbre slogan de François Mitterrand[3] en 1995 : « le nationalisme c’est la guerre ».

Aussi la lecture du présent essai permet de faire utilement le point sur une notion qu’il est de bon ton de décrier sans en connaître le sens. Sans doute, l’auteur se situe dans la lignée de Renan, Barrès, Maurras, Bernanos et de Gaulle, mais son analyse n’est pas purement doctrinale. Il envisage de façon large, à la lumière de la pratique française, les facteurs qui ont pu porter atteinte à la théorie et à la réalité du terme « démodé » de nationalisme « trop connoté avec une époque révolue, bref politiquement incorrect ».

En premier lieu, la Nation n’est pas un mot ni une idée révolutionnaire. Déjà Bossuet évoque « la gloire de la nation »[4] pour désigner la plus vaste des communautés qui forment la population de l’État, l’ensemble qui s’impose aux parties.

 Le patriotisme désigne la piété envers le sol national, la terre des ancêtres (patres) et par extension le territoire historique d’un peuple : il en résulte le droit et le devoir de défendre ce territoire contre l’étranger, d’en garder les frontières et de sauvegarder l’État-nation.

Le nationalisme s’attache plutôt qu’à la terre des pères, aux pères eux-mêmes, à leur race au sens classique du terme, à leurs œuvres, à leur héritage moral et spirituel davantage que matériel. Aussi, il vise la préservation de tout ce qui peut être menacé avant même que les forces étrangères aient franchi la frontière.

 C’est en cela que le concept dérive de celui de Nation telle qu’entendue par Renan : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis.»[5]

En ce sens Déroulède est le chantre du patriotisme qui a pour objectif principal la reprise des provinces perdues et ne se résigne pas aux mutilations de la conquête, il aime sa patrie, se réjouit du rayonnement de sa gloire au-delà des frontières, déplore la perte de son influence, est prêt à sacrifier sa vie pour que la France vive, se méfie des esprits chimériques selon lesquels « tous les peuples sont frères, je suis citoyen du monde »[6]. En revanche, Barrès fut, selon le mot de Maurras « le philosophe et le poète du nationalisme français : nationalisme réaliste, parti du Moi, élevé au sentiment désintéressé de la Patrie, de sa terre, de ses morts ». Mais « offert à tous les peuples, ce nationalisme uniforme présentait le danger de les dévouer à de mêmes heurts »[7]

 En deuxième lieu, il importe de rejeter la confusion du nationalisme avec les idéologies sectaires, racistes ou fanatiques ou avec l’impérialisme illustré par l’Allemagne. Au contraire, loin de l’idéologie universelle des droits de l’homme, selon Charles Saint-Prot, le nationalisme est « garant des libertés contre la tentation de céder à l’hégémonie des grandes puissances » puisqu’il n’est pas de liberté pour un peuple sans souveraineté. L’enjeu est de réaffirmer la primauté de l’homme et de ses libertés en sauvegardant les droits de la nation, son indépendance et son unité. Or à l’opposé de la nation, les idéologies supranationales découlent d’une vision eschatologique « tant il est vrai, observe Charles Saint-Prot, que la fin des nations, c’est la fin de l’histoire ».

 Le plaidoyer de l’auteur, s’inscrivant dans la ligne de la pensée de Maurras, part des racines philosophiques du nationalisme français – « l’essentiel de la condition humaine, c’est-à-dire la vie » – pour cheminer à travers les événements que la France a traversés au cours du XXe siècle jusqu’au choix du « nationalisme intégral », celui qui conduit à la monarchie. La nation est une affaire de longue durée, « l’affirmation perpétuelle de la vie ». Ainsi « le nationalisme bien compris est un humanisme », à l’inverse d’un racisme fondé sur le « matérialisme biologique », de l’impérialisme et de la volonté d’expansion. Il reflète l’idée que le monde est divers et que chaque culture nationale apporte sa contribution à la richesse de la civilisation.

 Charles Saint-Prot montre que la nation est un enjeu existentiel mais instituée dans l’État nation, elle peut être menacée par la rupture entre un pays réel attaché à la nation et des dirigeants engagés vers le postnational, épris de l’abstraction d’un pseudo-régionalisme et du mondialisme. De sorte que l’État-nation serait voué à la disparition, attaqué par le bas à l’échelon régional avec les revendications dialectales et l’aspiration à des autonomies tribales et par le haut à l’échelon supranational.

En troisième lieu, l’auteur dénonce les dérives qui menacent la nation. Il s’élève contre l’acharnement antinational qui s’exprime à travers le dénigrement de l’État, la régionalisation et l’Europe des régions, la promotion de la diversité sous toutes ses formes et du multiculturalisme érigé en véritable religion, éloigné du modèle français d’intégration.

Tout d’abord, il déplore la déréliction dans laquelle est tombée la langue française « vêtement de la pensée » et expression de la culture nationale. Le Français lui semble négligé au profit de revendications linguistiques régionales qui ne sont guère que des dialectes, des parlers régionaux ou, plus gravement, délaissé en faveur d’un sabir angloaméricain qui dénote la vassalisation ou le renoncement de la France à sa position culturelle et politique dans un monde où la francophonie pourrait être un atout de la diplomatie de la France et du rayonnement de la culture française.

Ensuite, Charles Saint-Prot met à jour le « complot contre la France » à travers l’idéologie révolutionnaire de mai 1968 dont les effets désastreux se font sentir des générations plus tard par le biais de l’idéologie supranationale contre l’indépendance de la nation. Enfin, il épingle les illusions du prétendu couple franco-allemand qui ne sont que le paravent d’une construction européenne au service de l’Allemagne éternelle. Il est exact que le traité de l’Élysée était mort-né dès que les députés allemands en ont subordonné la ratification à l’adoption d’un préambule qui rappelait l’engagement atlantiste de la République fédérale.

Il importe d’ajouter que la réunification des Allemagnes en 1990 a créé un déséquilibre, accentué par le retrait du Royaume Uni de l’Union européenne et par l’expansion de l’influence allemande en Europe centrale et orientale, souvent au détriment des positions traditionnelles de la France. Les échanges entre les deux gouvernements n’ont pas provoqué une convergence des économies dont les divergences s’affirment de plus en plus, et en matière diplomatique et militaire, les vues des deux États s’opposent sur le monde et le rôle de l’Europe. Le Traité d’Aix La Chapelle signé en 2019 qui pose le principe de la convergence entre les parties ne lève pas l’équivoque ; en revanche, l’arrivée du Chancelier Olaf Scholz qui souhaite faire de l’armée allemande la force la mieux armée en Europe et le pilier de la défense conventionnelle, tout comme sa politique énergétique ne laissent guère de doute sur les ambitions nationales de l’Allemagne.

L’analyse passionnée mais réaliste de Charles Saint-Prot ne manquera pas d’éveiller la curiosité du lecteur pour les grands auteurs nationalistes qui l’ont précédé ; à l’heure du wokisme et des nationalismes étrangers exacerbés, elle met à jour aussi la nécessité de retrouver une pensée nationale. Le lecteur attentif de cet ouvrage utile la formation de l’esprit public, comprendra pourquoi à la fin de son essai, l’auteur rappelle le mot de Jean Cau : « Dans l’urgence de nos jours, notre tranchée s’appelle la France et notre premier bouclier et notre première épée s’appelle le nationalisme ».


[1] Frankfurter Allgemeine Zeitung avant la célébration du 60e anniversaire du traité de l’Elysée du 22 janvier 1963.

[2] Discours de Macron à Strasbourg le 12  avril 2022

[3] Discours de Mitterrand devant le parlement européen, 17 janvier 1995

[4] Discours de réception à l’Académie française, 8 juin 1671

[5]  E. Renan, « Qu’est-ce qu’une nation ? », conférence en Sorbonne, le 11 mars 1882, p. 8.

[6] Discours du 10 juin 1909 au théâtre du Gymnase, « La patrie, la Nation, l’État ».

[7] Action Française, 15 et 16 mai 1927.