Mourir pour Kiev ?
On pensera évidemment, avec un soupçon de malhonnêteté intellectuelle, mais on peut faire confiance à certains qui nous lisent, au célèbre article de Marcel Déat dans L’Œuvre du 4 mai 1939 : « Mourir pour Dantzig ? ». On y pensera d’autant plus que des esprits aussi superficiels que dangereux n’ont de cesse de comparer la situation actuelle, créée par l’invasion russe de l’Ukraine, à la situation créée par l’Allemagne nazie, surtout après l’Anschluss. Comparaison n’étant pas raison, nous nous garderons bien d’aller en ce sens. D’ailleurs, l’article de Déat (faut-il le rappeler, adversaire rabique de l’AF), suscité à l’époque par la réponse polonaise attendue aux exigences allemandes sur le corridor de Dantzig, avait été traité de « déplaisant » par François Léger, qui assurait la revue de la presse (L’AF du 5 mai 1939), car la connotation pacifiste de l’article déplaisait, en effet, à une Action française dont toute la politique consistait à sauvegarder la paix tant que nous ne serions pas capables de gagner une guerre, contre l’Allemagne nationale-socialiste, qu’elle savait inéluctable. Ni pacifisme ni bellicisme : elle n’avait pas tort de renvoyer à l’époque dos à dos le belliciste Kérillis et le pacifiste Déat. Les faits, qui ne font jamais bon ménage avec l’idéologie, lui donnèrent malheureusement raison. Aussi pouvait-elle conclure, ce même 5 mai 1939 : « Ne sous-estimons pas nos adversaires. Ne sous-estimons pas la valeur de la paix. Le capital de gloire militaire de la France, celui de la Pologne, sont assez considérables pour qu’elles n’aient pas un besoin urgent de l’accroître », avant de qualifier le lendemain le discours du ministre des affaires étrangères polonais, le colonel Beck, de « ferme et mesuré », ajoutant : « La Pologne veut la paix, mais dans l’honneur. »
Rien de tel aujourd’hui. Et n’en déplaise à certains, la Russie n’est pas l’Allemagne, et Poutine n’est pas Hitler : ses visées sur l’Ukraine ne menacent directement la paix en Europe que pour ceux qui acceptent d’avance, au nom de valeurs qu’ils seraient bien en peine de définir et dont l’invocation dissimule mal la soumission à l’Oncle Sam, de sacrifier notre économie, notre souveraineté, voire notre jeunesse. Ce qui arrive à l’Ukraine est assurément regrettable et condamnable : nous l’avons toujours dit et n’en démordrons pas. En revanche, seuls ou des traîtres, ou des fous, peuvent en conclure qu’il appartiendrait notamment aux Français d’en payer le prix. Jusqu’à preuve du contraire, la liberté des Ukrainiens n’est pas celle des Français et leur guerre n’est pas la nôtre. Poutine, qu’on l’aime ou pas, ne menace en rien la liberté de la France. Ou la menace bien moins qu’un Empire américain qui veut profiter de cette guerre pour aggraver son emprise sur l’Europe et, par voie de conséquence, sur une France docile, ou qu’une Europe allemande qui, profitant de la faiblesse intellectuelle d’un Emmanuel Macron imbu de Jean Monnet et de Julien Benda, en profite pour étendre un fédéralisme contraire à notre souveraineté, comme le chancelier Olaf Scholz, qui plaide logiquement à la fois pour un élargissement de l’Union européenne … à l’est et dans les Balkans, et la fin du droit de veto au sein de l’Union.
Oui, nous le disons haut et fort : ceux qui menacent aujourd’hui la liberté de la France, la seule « valeur » que nous reconnaissions, ce sont ceux qui veulent toujours plus la corseter dans un partenariat euro-atlantique qui signifie, aux conditions auxquels celui-ci est posé, la mort de notre souveraineté, et donc de notre indépendance, à la fois en termes économiques, politiques, militaires et diplomatiques. Occupons-nous pour l’heure du plan économique : le mardi 1er mars, soit quelques jours après l’invasion de l’Ukraine, Bruno Le Maire déclarait sur France Info que la France et l’Union européenne allaient « livrer une guerre économique et financière totale à la Russie », dans l’objectif assumé de « provoquer l’effondrement de l’économie russe ». La bêtise d’une telle assertion fut, assurément, aussitôt notée, notamment par nos soins ; or, lorsque Emmanuel Macron, à la fin du mois d’août, lors de la traditionnelle commémoration de la libération de Bormes-les-Mimosas, appelle les Français à « accepter de payer le prix de la liberté », que fait-il d’autre que d’avouer que l’Europe a provoqué elle-même l’effondrement, non de l’économie russe, mais de sa propre économie, même s’il a beau, en Churchill de pacotille (car Churchill était un patriote contrairement à Macron et ne demandait de sacrifices aux Britanniques que pour la liberté du Royaume-Uni), de conforter cette comparaison mensongère entre notre époque et la Seconde Guerre mondiale ? Et de préparer les Français à retourner à l’âge de pierre pour plaire aux puissants du jour ? « Je pense à notre peuple auquel il faudra de la force d’âme pour regarder en face le temps qui vient, résister aux incertitudes, parfois à la facilité et à l’adversité et, unis, accepter de payer le prix de notre liberté et de nos valeurs », a alors lancé le chef de l’État. Ajoutant : « Depuis l’attaque brutale lancée par Vladimir Poutine le 24 février dernier, la guerre est revenue à quelques heures de nos frontières sur le sol européen. » Macron a la mémoire courte, à moins qu’il ne fût alors en culottes courtes (mais il n’est pas interdit de réviser ses leçons d’histoire) : les Serbes agressés en 1999 par l’OTAN ont vu avant les Ukrainiens la guerre revenir « à quelques heures de nos frontières sur le sol européen ».
Il est même certains militaires qui plaident pour un engagement plus direct, aboutissant de fait à la co-belligérance — conséquence à la fois directe et vicieuse de notre retour dans le commandement intégré de l’OTAN, qui fait adopter le point de vue américain à des officiers supérieurs français. Macron cherche-t-il lui aussi à préparer les Français à verser leur sang pour l’Ukraine ? Il est vrai que tout pouvoir en difficulté peut avoir la tentation de trouver un dérivatif dans la guerre. Or Macron est dans une impasse : politique, voire politicienne (la plus importante en démocratie), économique, financière, internationale (il ne fait plus illusion). La démocratie a toujours été généreuse en sang français. Préparons-nous à opposer aux va-t-en-guerre irresponsables le seul intérêt qui vaille à nos yeux : l’intérêt de la France, de la France seule.
François Marcilhac