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Du jubilé et des rois

Par Jean-Yves de Cara*

(publié le 6 juillet sur le site OEG)

La fin des cérémonies du début juin qui ont marqué le Jubilé de platine de la Reine Elisabeth II pour célébrer les 70 ans de règne de la souveraine incite à revenir sur la place du monarque dans les régimes contemporains. Assurément, il ne s’agit pas d’une survivance du passé d’un vieux pays ni d’une fonction symbolique dans laquelle un quelconque exercice démocratique pourrait aisément substituer un président.

La Reine est l’incarnation de la nation et le pivot des institutions britanniques. La dévolution de la couronne découle de l’Act of settlement (1701) qui investit la Princesse Sophie ― électeur de Hanovre et petite fille de Jacques 1er ― et ses héritiers du droit à la couronne selon le principe héréditaire. La succession au trône ne peut être modifiée que par un acte du Parlement tout comme la titulature du monarque (Royal Style and Titles) de sorte qu’Elisabeth II est, depuis 1953, par la Grace de Dieu Reine du Royaume-Uni et d’Irlande du nord et de ses autres royaumes et territoires, Chef du Commonwealth et Défenseur de la Foi. Outre le Royaume-Uni, elle règne sur quinze États, trois dépendances de la Couronne (Jersey Guernesey, l’Ile de Man) et les îles Cook et Niue, États associés à la Nouvelle Zélande.

Personnifiant l’État, la souveraine occupe toujours par prescription, coutume et droit, la première place dans le Parlement mais la Couronne (The Crown) représente la somme de tous les pouvoirs gouvernementaux, elle est l’équivalent de l’exécutif. La prérogative royale a été limitée au XVIIe siècle puis par le développement de la responsabilité du gouvernement et l’établissement d’une monarchie constitutionnelle. De nos jours elle désigne les pouvoirs exécutifs fondés sur la common law, exercés, tout comme ceux qui découlent de la loi, par des ministres responsables. The Queen, the Queen in Council, les ministres désignent les titres légaux sous lesquels s’exercent le pouvoir exécutif. Ce n’est que récemment que les termes gouvernement et Premier ministre sont apparus dans la pratique en 1931 et 1937. La Reine ne saurait mal faire. Pourtant, la Souveraine peut être appelée à exercer sa personal discretion lors du choix du Premier ministre ou de la dissolution de la Chambre des communes, tandis que d’autres pouvoirs sont exercés par elle sous la responsabilité des ministres, et que d’autres lui échappent au profit de ces derniers mais qui les exercent toujours au nom de la Couronne.

Sans doute des usages se sont établis pour la désignation du Premier ministre en raison du bipartisme et des procédures d’élection des chefs de partis et pour la dissolution. Mais la Reine occupe une position impartiale, la décision finale relève de sa responsabilité personnelle. Dans des situations singulières, il lui est revenu de trancher, comme en 1956 ou 1963, car les conventions constitutionnelles relatives au pouvoir discrétionnaire manquent de force dans les circonstances imprévisibles. Par son expérience, notamment internationale ou en tant que chef du Commonwealth, la Reine exerce une magistrature d’influence. Parfois elle a su imposer sa décision. Son voyage en 1961 au Ghana alors dirigé par Nkrumah père de l’indépendance et proche de l’Union soviétique en est l’illustration : malgré les réserves de Macmillan et même de Churchill en raison des risques qu’il comportait, la Reine insista et sa visite fut un triomphe déterminant pour la survie du Commonwealth et l’équilibre Est-Ouest en Afrique. En revanche, en dépit des romances, la Reine est restée neutre sur la politique conduite par Margaret Thatcher à l’égard de l’Afrique du sud. Elle s’y est rendue à deux reprises, en 1994 et 1999, après que Pretoria eut regagné le Commonwealth quitté en 1961.

La légitimité de la Reine est historique, spirituelle et populaire. Descendante de Guillaume le Conquérant et de la Reine Victoria, par les différentes maisons qui se sont succédées sur le trône depuis les Plantagenet, la Reine résume dans sa personne l’Histoire du Royaume. A cela s’ajoute le rôle héroïque de la famille royale pendant la Deuxième Guerre mondiale, y compris celui de la princesse Elisabeth qui a fortifié le lien entre la famille royale et le peuple.

Le couronnement intervient après un temps de deuil observé pour le précédent roi ; il se déroule à l’abbaye de Westminster. Il s’accompagne de la remise d’objets symboliques du pouvoir, les sceptres, le globe, les épées, l’anneau d’alliance avec Dieu et l’État. La cérémonie conserve la trace de l’origine élective du souverain car celui-ci est acclamé par les pairs du Royaume et par le peuple avant d’être couronné. Auparavant, le roi ― ou la reine ― est oint par les saintes huiles déposées par l’archevêque de Canterbury. Cette onction marque le caractère spirituel de la fonction faisant du roi un personnage sacré, représentant de Dieu en son pays. La personne du roi est intouchable, son pouvoir est légitimé par Dieu et Il est le chef de l’Église anglicane, défenseur de la Foi.

Le serment de la Reine de gouverner chacun de ses pays selon les lois et coutumes, de faire droit à la loi et à la justice avec miséricorde, de
défendre l’Église et le clergé précède l’hommage rendu par les pairs. Les jubilés rappellent et renouvellent l’alliance de la Reine et du peuple, rythmés par les manifestations enthousiastes de la foule. La longévité de la Reine Elisabeth II fait de l’Angleterre un modèle à cet égard. Les autres monarchies connaissent de semblables fêtes : les jubilés des reines des Pays-Bas ou de Danemark, du Roi de Belgique, du Grand Duc de Luxembourg, de l’Empereur du Japon en témoignent. Au Maroc, lors de la fête du Trône, la cérémonie de la Bay’a permet le renouvellement de l’allégeance des tribus, des dignitaires, des régions et des représentants du peuple au Roi. Elle consacre la sacralité du Sultan puis du Roi, lui rappelle son devoir de protection de la nation et des Croyants dont il est le Commandeur. Ces événements perpétuent la légitimité, la stabilité des régimes monarchiques et l’unité nationale des États en cause. Ils contrastent à cet égard avec les régimes où seul le hasard du suffrage populaire est source du pouvoir, au risque de consacrer un politicien inexpérimenté ou un aventurier porté par les
circonstances ou les combinaisons occultes des médias et de la finance.

* Jean-Yves de Cara

Professeur Agrégé des Facultés de droit. Membre de Littleton Chambers, Barristers, London Ancien Directeur exécutif de l’Université Paris-Sorbonne Abu Dhabi. Président du Conseil scientifique de l’OEG.