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Défendre le terroir (2) : Renouer le dialogue avec la terre

Par Francis Venciton*

Avant de nous poser la question à deux nœuds de savoir pourquoi le terroir est une question politique et donc une question écologique, j’aimerais que nous posions un sujet à plat. Parmi toute la multitude de conception écologique possible, il n’existe que deux pôles : l’écologie profonde et l’écologie politique. Sans rejouer ici tout les débats autour de ces notions comme celui entre Murray Bookchin et David Foreman, contentons-nous de définir l’écologie profonde comme une écologie en faveur de changement radicaux et pour la remise en cause du paradigme anthropocentrique et utilitariste. Au fond, il s’agit re repenser nos relations avec la nature plus largement que sur la simple base d’une gestion des ressources avec la lutte contre la pollution et l’épuisement des ressources qui va avec. A l’inverse, l’écologie politique concentre son attention sur la recomposition du système politique de façon à repenser notre relation avec la Nature et le poids que nous pouvons représenter sur notre planète. Il s’agit au fond de ruiner l’idée classique d’une rupture entre l’histoire naturelle et l’histoire humaine. Comme nous l’expliquions avant, l’approche écologique que nous défendons se raccroche à cette tradition de l’écologie politique. Or, en nous interrogeant sur la notion de terroir, nous nous inscrivons pleinement dans l’écologie politique. C’est-à-dire, que pour les tenants de l’écologie profonde, il nous faudrait justement abandonner le terroir, ce point de rencontre, pour tenter de laisser la nature protéger son intégrité. Et si, nous n’étions pas écologistes, il nous serait permis de penser que les terroirs n’ont pas de valeur en soi, qu’ils ont une plasticité qui permet de faire dessus tout ce qui semblerait le plus optimale ou du moins le plus producteur de valeur.

C’est pour cela, que notre ligne de crête est bien de refuser cette double négation des terroirs : ni partisan d’une critique artiste de la nature nous demandant d’effacer l’humain devant Gaïa, ni nous ne sommes en faveur de nier les déterminismes et les singularités du territoire. Il s’agit pour nous de revaloriser le territoire dans ce qu’il a de personnel et dans ce lien bilatéral qu’il trace entre l’Homme et lui. En fait, notre dentelle du rempart, c’est donc la politisation des terroirs, mais pas n’importe quelle politisation. Il ne s’agit pas de reconduire le geste du syndicaliste étudiant pour qui tout doit être politique et si tout est politique, tout le justifie à être casse-couille. A l’inverse, politiser les terroirs ne signifient pas les soumettre à la pression d’un Etat centralisé et bureaucratique. Il faut politiser dans le sens le plus noble du terme, c’est d’abord reconnaitre que c’est un objet politique qui a perdu de son évidence et qui doit être soigné. Nous devons soigner nos terroirs et aussi ceux qui les protèges. Boutang explique dans l’Ontologie du secret, qu’un secret est ce qui est tellement manifeste qu’on finit par ne plus le voir. C’est l’histoire de la lettre volée de Poe, chacun la cherche partout alors qu’elle est là, évidente, devant tous. Elle crève littéralement les yeux. Pour comprendre cela dans un mouvement moins métaphysique que Boutang, demandons-nous : Pourquoi sommes devenus nationalistes au XIXème siècle ? Parce que la Nation avait cessé d’être une évidence. D’un seul coup, celle-ci est apparu vulnérable, non plus bercé d’éternité, et donc il fallait agir, réagir même, pour monter qu’elle était vivante. Pourquoi aujourd’hui sommes-nous devenus écologistes ? Parce que la nature a perdu de son évidence aussi bien au niveau le plus concret, qu’au niveau de nos imaginaires. Il est des enfants qui pensent que les chats mangent des croquettes vegan et ne tuent pas. C’est que nous avons perdu le sens du dialogue avec la nature qui reste plus ou moins à nous environner. Nos communautés humaines doivent réapprendre à vivre dans un terroir, à le reconnaitre, le connaître et le chérir. Cet espace vécu doit être défendu comme tel. N’oublions jamais que l’honnête homme historiquement a lu l’œuvre de Buffon et de Jean-Henri Fabre ; aujourd’hui le champ de la biologie a disparu de nos lectures. Elle est passée d’une découverte de nos environnements à une science désenchantée.

Cependant, certains pourraient nous expliquer que cette politisation des terroirs a déjà eu lieu : l’Unesco a sa « charte des terroirs » ; il existe les AOP et le code de la propriété intellectuelle. C’est très vrai ce que vous dîtes-là, mais c’est insuffisant. D’abord, parce que la mise en place d’un label ou de règles de qualité ne signifie pas nécessairement que la relation est bonne. Un banquier peut respecter ses processus et codes de déontologie, cela ne veut pas dire qu’il y a une bonne relation pour autant ou que se crée un dialogue. Ensuite, nous savons bien que tout cet appareillage est incapable de freiner les tendances rapines de nos amis étrangers. Enfin, tout ce bazar n’est pas situé à la bonne place : il ne s’agit là que de réguler des comportements, fî donc de l’incarnation et de la faculté à incarner ce monde. C’est pour cela que la politisation des terroirs doit mener à une écologie ; on touche ici le point central de mon propos : sans incarnation, sans ce dialogue itératif entre la terre et les familles qui passe par un jeu de contemplation et d’ingéniosité, alors la politisation du terroir ne pourra jamais être que de la bureaucratie et nous aurons alors échoué.

Si à l’inverse, nous nous sommes enracinés, qu’en jardinier vigilant nous voulons chérir nos terroirs, alors se présente un champ d’action immense et noble : celui de rendre à tout le terroir évident, d’en chanter les merveilles et d’en faire apparaitre les potentialités. C’est-à-dire que la défense des terroirs n’est pas une position conservatrice. Il ne s’agit pas de garder la muraille, mais de réenchanter, non pas d’effectuer un retour aux forêts, mais de sortir des bois contre le monde moderne et en cette charge nous sommes porteurs d’une bonne nouvelle : celle de la richesse de nos vies les plus immédiates, de ce qu’il y a de plus près de nous. Car la disparition du terroir correspond à un changement de paradigme : historiquement créé selon l’angle du qualitatif, il entre en contradiction avec la puissance de la révolution industrielle et des machines qui ne se conçoivent que sous l’angle de l’impératif d’efficacité. Mais l’Histoire a un sens de l’humour tordu, car aujourd’hui le paradigme écologique a remis en selle le terroir : aujourd’hui, la production doit chercher à minimiser la dépense de matériaux.  On retourne sur une recherche de l’efficacité et donc sur nos indicateurs d’efficacité. Nous sortons de la réduction à la « raison raisonnante » pour aborder de façon plus connectée et large le monde. Dit en terme webérien, nous sortons de la raison instrumentale (calculante, rationnalisante…) au profit de la raison des vertus qui pose les fins. Nous sortons du règne des moyens, pour nous demander quel est notre projet, et donc quel est notre politique.

Là-dessus, il est toute une boite à outils que nous pourrions décliner : nous pourrions évoquer la décentralisation pour défendre les terroirs, la création de corporation locale, revivifier les démocraties locales et encourager les petites républiques, la défense des identités des terroirs. Mais au fond, toutes ces recettes se résument à trois principes : la liberté locale, la tradition comme éternelle critique et la volonté de juguler le règne de l’argent.

Toutefois, il reste un obstacle immense sur notre route, en plus du fait que nous n’ayons pas le pouvoir et plus important encore le Roi, c’est celui du terroir. Bien maltraité depuis des siècles, que reste-t-il de nos braves terroirs ? Bien peu de chose en fait, si nous adoptons une vue plus large que les seules étiquettes commerciales. Alors, il faut bien recréer les terroirs, non pas ex-nihilo comme pourrait l’imaginer des libertariens ricains et vulgaires – la géographie ne change pas sur un simple désir – mais tout simplement en renouant le dialogue avec la terre. Mais comment ? Nous sommes tous des urbains, que savons-nous du climat en dehors de ce que nous subissons ? Connaissez-vous plus de cinq essences de plantes ? Moi non, je suis crotté d’urbanité. Alors ce dialogue, il va falloir réfléchir à toutes les façons de le mener. J’aimerais vous présenter une voix pour le faire, que je n’ai pas trouvé seule, mais que j’ai piqué à un honorable chasseur picard : tout simplement de retrouver les singularités des terroirs et leurs identités profondes au niveau de la littérature. A travers l’étude de grands auteurs, ne pourrions-nous pas retrouver cette voix des terroirs ? C’est un angle comme un autre, mais au moins il aura le mérite d’éviter qu’un homme de la ville portant des mocassins à glands fasse une leçon aux gens du cru.

En attendant et pour conclure, je ne pourrai que vous encourager à vous enraciner et à prendre soin de vos terroirs en profitant de ces richesses. Tenez dans cette grande rue qui monte vers la Mairie après le pont, il se trouve cette boulangerie tenue par un ancien MOF et qui ne travaille qu’avec des producteurs locaux, pour qui le geste de la pâtisserie est sacré, lent et répété ; hé bien cette pâtisserie allez-y, prenez un flan ou un mille-feuille là-bas. Enchantez vos papilles, soyez fiers de votre terroir et faites vivre ceux qui le cajole.

*Conférence à Compiègne le 11 décembre 2021