Par Antoine de Lacoste
Il n’aura pas attendu longtemps. Aux commandes de la première armée du monde depuis moins de deux mois, Joe Biden vient d’ordonner son premier bombardement. Gageons que ce ne sera pas le dernier.
C’est la Syrie qui a été visée, payant ainsi une attaque par missiles de miliciens irakiens pro-iraniens contre une base militaire kurde située à Erbil dans le nord de l’Irak le 15 février dernier. Des militaires américains sont présents sur cette base. Aucun n’avait été touché semble-t-il mais il fallait venger l’affront.
Washington aurait pu bombarder des positions de ces miliciens près d’Erbil puisque c’est de là qu’est partie l’attaque. Mais cela aurait froissé son allié irakien qui n’aime pas que l’on bombarde son territoire, même par des avions américains. Et puis le régime irakien étant coupé en deux entre les pro-iraniens et les pro-américains, ce n’est pas le moment de donner des gages aux premiers.
Punir l’Iran est bien sûr inenvisageable. Certes, les Américains affirment que ces milices n’agissent que sur ordre de Téhéran (ce qui n’est d’ailleurs pas évident concernant une attaque locale de faible ampleur). Mais même quand on est président des États-Unis et que l’on aime faire la guerre, il est tout de même délicat d’inaugurer son mandat par une attaque inédite contre la grande puissance régionale chiite. Surtout, la position de la Maison-Blanche sur ses relations avec l’Iran n’est pas clairement établie. Trump en avait fait son ennemi numéro un dans la région et était sorti de l’accord nucléaire. Il n’avait toutefois pas bronché lorsqu’une attaque foudroyante venue des milices irakiennes pro-iraniennes avait détruit une grande partie des installations pétrolières saoudiennes. Biden parle de réintégrer cet accord mais tout cela est encore flou.
Alors la Syrie est une bonne cible. Son président étant définitivement dans le camp du mal, personne ne protestera à part la Russie, elle aussi classée comme ennemie. Et puis des milliers de miliciens irakiens et iraniens y sont présents pour aider l’armée syrienne dans sa lutte contre le terrorisme sunnite. Bombarder de temps en temps ces chiites correspond bien à la stratégie régionale américaine et ne peut de surcroit que réjouir les alliés de l’Amérique, c’est-à-dire les sunnites et Israël.
C’est la région de Boukamal, au sud-est du pays, qui a subi le bombardement. Une vingtaine de personnes ont été tuées, des miliciens chiites irakiens affirme Washington, mais cela reste à prouver.
La Russie a protesté, demandant à l’Amérique de ne pas « transformer la Syrie en arène pour régler des comptes. » De son côté, Washington a affirmé que ce bombardement (toujours appelé frappe en langage anglo-saxon) a été effectué « en parallèle avec des consultations avec (sic) les partenaires de la coalition. » Bagdad a démenti avoir été informé.
Les idées de Biden en politique internationale sont inquiétantes. Très russophobe, impliqué à titre personnel dans le conflit russo-ukrainien, il veut redonner à l’Amérique son rôle de gendarme du monde, se plaçant, à l’instar de Clinton ou Bush, comme celui qui dit le bien ou le mal.
Certes, c’est intrinsèque à l’Amérique (n’est pas dépositaire d’une « destinée manifeste » qui veut), mais selon les présidents, cela prend une plus ou moins grande ampleur. Obama et Trump, pour des raisons d’ailleurs tout à fait différentes, avaient fait preuve de prudence et ne voulaient plus que leur pays déclenche des conflits interminables (Afghanistan) ou fondés sur des mensonges (Irak, Kosovo). La Libye fut le contre-exemple pour Obama, abusé avec une naïveté confondante par Sarkozy et Hillary Clinton. Il le regretta bien, mais le mal, immense, était fait.
On peut craindre le retour du pire avec Biden et ce premier bombardement est un mauvais signal.