par Adègne Nova
Les traditions de Noël se perdent, chaque année diluées un peu plus dans la goinfrerie commerciale qui s’empare de tous. Entre sapins venus des plantations du Morvan ou du Danemark, guirlandes et babioles – qui seront emballées dans du joli papier brillant – fabriquées en Chine à moindre coût et saumon d’élevage directement arrivé du Chili pour passer au four, les simples douceurs calendales sont passées à la trappe.
Je vous propose ici de lire quelques lignes tirées des Mémoires et Récits de Frédéric Mistral pour retrouver le goût de Noël. Un Noël pas comme les autres néanmoins, un Noël en Provence…
« Fidèle aux anciens usages, pour mon père, la grande fête, c’était la veillée de Noël. Ce jours-là, les laboureurs dételaient de bonne heure ; ma mère leur donnait à chacun, dans une serviette, une belle galette à l’huile, une rouelle de nougat, une jointée de figues sèches, un fromage du troupeau, une salade de céleri et une bouteille de vin cuit. Et qui de-ci, et qui de-là, les serviteurs s’en allaient pour « poser la bûche au feu » dans leur pays et dans leur maison. Au Mas [de mon père] ne demeuraient que les quelques pauvres hères qui n’avaient pas de famille ; et, parfois, des parents, quelque vieux garçon, par exemple, arrivaient à la nuit en disant :
– Bonnes fêtes ! Nous venons poser, cousins, la bûche au feu, avec vous autres.
Tous ensemble, nous allions joyeusement chercher la « bûche de Noël » qui, c’était la tradition, devait être un arbre fruitier. Nous l’apportions dans le Mas, tous à la file, le plus âgé la tenant d’un bout, moi le dernier-né, de l’autre ; trois fois nous lui faisions faire le tour de la cuisine ; puis, arrivés devant la dalle du foyer, mon père, solennellement, répandait sur la bûche un verre de vin cuit en disant :
Allégresse ! Allégresse,
Mes beaux enfants, que Dieu nous comble d’allégresse !
Avec Noël, tout bien vient :
Dieu nous fasse la grâce de voir l’année prochaine.
Et, sinon plus nombreux, puissions-nous n’y être pas moins.
Et, nous écriant tous : ‘Allégresse, allégresse, allégresse !’, on posait l’arbre sur les landiers et, dès que s’élançait le premier jet de flamme :
À la bûche
Boute feu !
disait mon père en se signant. Et, tous, nous nous mettions à table.
Oh, la sainte tablée, sainte réellement, avec, tout à l’entour, la famille complète, pacifique et heureuse. À la place du caleil, suspendu à un roseau, qui, dans le courant de l’année, nous éclairait de son lumignon, ce jour-là, sur la table, trois chandelles brillaient. Et si, parfois, la mèche tournait devers quelqu’un, c’était de mauvais augure. À chaque bout, dans une assiette, verdoyait du blé en herbe, qu’on avait mis germer dans l’eau le jour de la Sainte-Barbe. Sur la triple nappe blanche, tour à tour apparaissaient les plats sacramentels : les escargots, qu’avec un long clou chacun tirait de la coquille ; la morue frite et le muge aux olives, le cardon, le scolyme, le céleri à la poivrade, suivis d’un tas de friandises réservées pour ce jour-là, comme : fouaces à l’huile, raisins secs, nougat d’amandes, pommes de paradis. Puis, au-dessus de tout, le grand pain calendal, que l’on n’entamait jamais qu’après en avoir donné religieusement un quart au premier pauvre qui passait. La veillée en attendant la messe de minuit était longue ce jour-là ; et longuement, autour du feu, on y parlait des ancêtres et on louait leurs actions.
Voilà lecteur, au naturel, la portraiture de famille, d’intérieur patriarcal et de noblesse et de simplesse, que je tenais à te montrer. »
La tradition de Noël, l’amour familial, la générosité, l’entente… c’est de tout cela dont nous avons besoin ! C’est tout cela, hélas, que la république a mis à bas ! C’est pour que revive tout cela que nous nous battons, chaque jour, nous royalistes !




