Un cinquième texte de notre rubrique « Souvenez-vous de nos doctrines » est à retrouver aujourd’hui, de Louis de Bonald cette fois…
*****
Dans les « Causes de la grandeur et de la décadence des Romains », Montesquieu expose plutôt les moyens de l’élévation de ce peuple ou de sa chute qu’il n’en donne les véritables causes. La cause de la grandeur des Romains fut dans la partie monarchique de sa constitution ; le principe de sa décadence, dans la partie démocratique. Le Sénat, qui représentait la partie monarchique, avait bien l’esprit de la monarchie, mais il n’en avait pas les formes. Le pouvoir y était collectif et il n’avait qu’un pas à faire pour devenir populaire. Une fois hors du Sénat, il passa aux tribuns, aux triumvirs, enfin aux empereurs, véritables tribuns de la soldatesque, qui achetaient avec des largesses le peuple du camp, comme les Gracques et les Saturnins entraînaient avec des partages de terres le peuple du Forum. Les anciennes familles, l’honneur et la force de Rome, avaient péri dans les troubles civils, et il ne put s’en former de nouvelles. Dans un ordre régulier de gouvernement, les anciennes familles, lorsqu’elles s’éteignent, sont remplacées par de nouvelles qui, introduites dans un corps tout formé, en prennent bientôt l’esprit et les habitudes ; mais, lorsque toutes les antiques races périssent à la fois, l’esprit public qu’elles formaient par leur exemple se perd, les traditions dont elles étaient dépositaires s’effacent, le feu sacré s’éteint et, même avec des vertus et des talents, des hommes tout nouveaux ne peuvent le rallumer. La société finit, elle n’a plus d’avenir à attendre parce qu’elle n’a plus de passé à rappeler et que l’avenir ne doit être que la combinaison du passé et du présent. Tant que le Sénat fut roi, le peuple romain devait se conserver et même s’étendre, parce qu’il était, comme peuple monarchique, plus fort et mieux constitué que tous ses voisins. Quand la démocratie eut pris le dessus, cette société chercha un chef comme elles le cherchent toutes et ne rencontra que des tyrans. Ce peuple, admirable dans ses premiers temps, fait pitié sous ses tribuns, horreur sous ses triumvirs et, soumis à ses empereurs, n’excite plus que mépris et dégoût.
Les idées libérales seront, pour les esprits, ce que les assignats ont été pour les fortunes ; elles ont réussi aux premiers qui les ont employées et elles ruineront les derniers possesseurs qui ne sauront où les placer.
Les lois civiles sont assez bonnes quand elles sont fixes. Les lois politiques ne sont fixes que quand elles sont bonnes.
Il y a des pertes irréparables pour l’homme ; il n’y en a pas pour la société. Le temps manque à l’un et non à l’autre.
Une seule idée fausse, ou plutôt incomplète, peut bouleverser la société. Il suffit d’une vérité complètement développée et mûrie par le temps et les événements pour la rétablir.


