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Légitimités

Par Philippe Ménard (Politique Magazine)

Or donc, l’abstention a atteint des sommets au deuxième tour des municipales – qui concernaient pourtant une majorité de Français. Si l’on fait les comptes, les villes les plus peuplées de France seront gouvernées par des conseils municipaux élus par une très faible minorité d’habitants. La démocratie locale n’a pas résisté aux assauts conjugués d’un pouvoir central méprisant la démocratie directe et les périphéries, de partis privilégiant une vision idéologique et nationale des territoires, et d’un militantisme de riches qui achètent, en même temps que leur bonne conscience, le droit d’évincer les pauvres des villes qu’ils vont verdir au prix du surenchérissement de la vie locale.

Admirable résultat démocratique : le peuple est évacué des cérémonies rituelles de transmission du pouvoir. Élections après élections, ce sont tous les niveaux de la représentativité qui sont frappés d’illégitimité. Macron prétend que cela le chagrine : au vu des conditions de son élection, on peut en douter. Car sinon il aurait déjà tiré les conclusions qui s’imposent sur sa propre légitimité, viciée dès le départ, et sur celle de son parti et de la Chambre qu’il compose.

La victoire de « la gauche », à cette aune, est à relativiser immédiatement. Une sociologie bien précise la permet : le peuple pauvre, continuellement disqualifié dans ses choix, continuellement appauvri par les décisions économiques – je veux dire fiscales –, systématiquement absent de la sphère médiatique, c’est-à-dire invisible et inaudible pour une classe politique qui a fini par confondre souveraineté populaire et servilité journalistique, ce peuple n’a pas voté. « La gauche » (c’est-à-dire le PS remplacé par EELV) a abandonné le peuple au profit de sa propre image et les réformateurs ne visent désormais que leur propre triomphe : un pays où vivre signifiera être en permanence scruté par les nouveaux prêtres de la cruelle religion du climat, racisé, qui plus est.

Gouverner sans (contre ?) le peuple

Religion du climat que Macron veut installer dans la Constitution, comme il vient de le dire (un « geste fort », sûrement, puisqu’il ne gesticule que fortement). Rien de tel que de proclamer l’État de droit en permanence, cela permet de modifier tranquillement les fondamentaux du droit. Quand le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ne substituent pas un gouvernement des juges au prétendu débat démocratique, c’est Macron qui invente une convention citoyenne en sélectionnant des militants convaincus, surveillés par des experts convaincus (le comité de gouvernance), pour aboutir à 150 propositions punitives et coercitives dont il était convenu qu’elles « passent sans filtre, au Parlement, au référendum, ou que tout ce qui peut être appliqué directement par voie réglementaire le soit », comme le rappelle Cyril Dion, l’un des trois garants de la Convention chargés « d’assurer l’indépendance des travaux de la convention, en veillant notamment au respect des principes d’impartialité et de sincérité ». Macron est d’ailleurs enthousiaste et projette d’autres conventions citoyennes : le voilà qui peut gouverner sans le peuple en sélectionnant au coup par coup 150 clampins déjà convaincus et en faisant passer ces tirages au sort orientés pour une souveraineté populaire 2.0. Comme on n’en est pas à un gadget près, le Conseil économique, social et environnemental serait transformé en « chambre des conventions citoyennes » : les ministres en discuteront lors de leur prochain conseil, toujours consacré aux urgences vitales. Plus besoin du Parlement ! On invente ainsi une Légitimité Hasardeuse® à peu près aussi convaincante que la Souveraineté Populaire™.

Au même moment, le pape François fait paraître un document célébrant l’anniversaire des cinq ans de Laudato si. Plus exactement, la « Table Interdicastérielle du Saint-Siège sur l’écologie intégrale » a publié Sur le chemin du soin de la maison commune. À lire Vatican News, on est perplexe. Le pape appelle à la conversion écologique, ce qui paraît autant signifier sensibiliser les nouvelles générations à la notion de péché contre la vie humaine (la formule est floue et le vœu est pieux) que préconiser la taxation des émissions de CO2 (la formule est précise et le marché existe), fermer les paradis fiscaux et sanctionner les institutions financières impliquées dans des opérations illégales (les financiers écoutent poliment) ou encore éradiquer les nouvelles formes d’esclavage, « comme la traite » (on ignorait que la traite était si neuve…). Bref, l’Église réclame que le monde soit vertueux et propose de regarder attentivement la nature pour se pénétrer de l’importance d’une maison commune où règne la justice. Et à quel moment pose-t-on et admet-on que cette maison commune est divisée (peuples, langues, nations, histoires, droits), et que ces divisions ne sont pas des péchés humains mais le fruit d’histoires différenciées et toutes aussi légitimes les unes que les autres ? Le Vatican n’en parle pas. Il suppose acquise l’idée d’une spiritualité écologique qui s’imposerait à tous, indépendamment des cultures – et des religions.

Mais quelle est la légitimité de l’Église à promouvoir ces solutions ?… À quel moment rappelle-t-on que tout cela n’a de sens que rapporté au Christ ? Vaine question. Dans l’Église 2.0, ce sont les hommes qui se sauvent, et leur salut est une planète propre. Les 150 citoyens sélectionnés par Macron ont des idées sur la question, et Greta est leur prophète. On ne sait plus bien si Jésus est encore très légitime. Mais on est assuré que le pape François l’est.

Philippe Ménard est rédacteur en chef de Politique Magazine. Cet article a été publié le 1er Juillet 2020.