Les erreurs destructrices

Un sixième texte de notre rubrique « Souvenez-vous de nos doctrines » est à retrouver aujourd’hui, de Frédéric Le Play une nouvelle fois

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Ainsi qu’il est arrivé dans le temps pour toutes les races, notre décadence est due surtout à la propagande de grandes erreurs. Envahis par des sophismes érigés en axiomes, nos esprits se ferment à l’évidence des faits que nous avons sous les yeux et ils méprisent les vérités traditionnelles que tous les peuples prospères continuent de respecter.

Depuis quatre-vingt ans [au moment où Frédéric Le Play écrit]nous épuisons nos efforts infructueux pour créer une société nouvelle, en détruisant par la violence les coutumes et les mœurs qui firent la grandeur de nos aïeux, en nous inspirant de chimères condamnées par la nature même de l’homme. Nous cherchons dans le changement des formes de gouvernement des améliorations que peut seul nous donner le retour de la vertu. Dans cette recherche, nous oublions les faits consacrés par l’expérience des peuples, pour nous attacher à des mots vides de sens. Par une contradiction que montre le simple bon sens, nous prétendons être libres et nous voulons créer le règne du bien à l’aide de procédés que se sont interdits même les pouvoirs les plus absolus. Nous détruisons non seulement les germes de la liberté mais encore les conditions de toute stabilité en exagérant outre mesure le rôle de l’État, au détriment du gouvernement local et des corporations de bien public. Nous ruinons, en effet, par des innovations dangereuses, les institutions traditionnelles qui, dans tous les temps, chez toutes les races, ont rendu les régimes de contrainte supportables et les régimes de liberté bienfaisants.

Notre plus fatale erreur est de désorganiser par les empiètements de l’État l’autorité du père de famille, la plus naturelle et la plus féconde des autonomies, celle qui conserve le mieux le bien social, en réprimant la corruption originelle, en dressant les jeunes générations au respect et à l’obéissance. Cette erreur est celle qui soumet le foyer, l’atelier de travail et le personnel de la famille à l’autorité des légistes, des bureaucrates et de leurs agents privilégiés. C’est elle qui, en d’autres termes, enlève à la vie privée ses libertés les plus nécessaires et les plus fécondes sans aucun motif tiré de l’intérêt public…

L’omnipotence de l’État et l’oppression de la famille ont été érigées en doctrine par Jean-Jacques Rousseau dans l’Émile et le Contrat social. Cette doctrine a été propagée à la fin du XVIIIe siècle par des disciples fervents. Enfin, elle a été sanctionnée par les lois de la Terreur, du Consulat et du Premier Empire. Ces lois, momentanément neutralisées par les coutumes locales et la tradition des familles, s’accréditent de plus en plus par le zèle intéressé des agents officiels et par l’excitation qu’ils donnent aux mauvais instincts de la jeunesse. Elles dominent aujourd’hui les idées et les mœurs dans les deux tiers de la France et elles y sapent sans relâche les fondements de la société.

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