Par Adègne Nova
Je n’ai jamais eu le plaisir de rencontrer Michel Michel, en revanche je l’ai beaucoup lu ! Ses textes, fort nombreux, et d’une limpidité exceptionnelle, devraient être connus de tous les Français bien sûr, mais tout royaliste, se proclamant tel, doit les avoir intégré à sa pensée et en avoir compris la profondeur.
Être royaliste, c’est être contre-révolutionnaire, c’est vouloir renverser le régime, c’est vouloir la restauration de la royauté, c’est reprendre le pouvoir ! En décembre 1980, dans La revue royaliste, Michel Michel définit la stratégie qui doit permettre de redonner son trône au roi : « Alors que l’organisation d’un appareil royaliste ou la prise du pouvoir elle-même est surtout affaire de réflexion stratégique bien posée, l’élaboration d’une stratégie concrète, et spécialement dans ses deux phases intermédiaires (conquête de pouvoirs sociaux et irruption sur la scène politique), oblige à considérer totalement la conjoncture politique et sociale ». Il est nécessaire, pour parvenir à nos fins, de retourner les groupes « qui détiennent une bonne part du pouvoir » qui auront été « bien détectés et suffisamment pénétrés ». Évidemment, en écrivant ces lignes, Michel Michel est parfaitement conscient du fait que la situation de la société est changeante et que, de fait, la stratégie mise en place pour restaurer la monarchie doit être souvent précisée et enrichie, même si des permanences sont relevées – « L’homme reste l’homme » et, fondamentalement, « sa situation ontologique » demeure.
Être un royaliste actif, c’est être subversif et tenir « compte des fissures, des contradictions, des tensions qui se manifestent au sein de l’édifice » à abattre. Notons bien ici que le spectacle politique ces jours-ci joué ne peut que servir nos intentions ! C’est le moment idéal pour avancer vers le trône…
Nous en sommes déjà au deuxième épisode dangereux pour la république – macronienne, certes, mais c’est du régime plus généralement dont il est finalement question –, le premier étant celui des Gilets jaunes, qui peut permettre au royalisme de tracer sa route vers son but annoncé. Le Pays réel en a assez de ce Pays légal insipide, voire nauséabond !
Pays réel/Pays légal ? Michel Michel explique qu’« il s’agit là d’un concept maurrassien tombé dans le domaine public » qui signifie que « dans n’importe quel corps social, on peut distinguer ceux qui possèdent un pouvoir de décision, les responsables, des autres membres du groupe. On les appellera, selon le cas, notables, dirigeants, élite, classe politique, Pays légal, etc., tantôt avec une nuance positive, tantôt — et c’est le cas du Pays légal — avec un accent péjoratif ». Pour être clair, « il est possible de définir ainsi les deux ‘pays’ : le Pays légal est constitué par les groupes sociaux dont la situation dominante dans la société (déterminée par leur position dirigeante dans un certain rapport de pouvoir), et même l’existence, sont déterminées par la forme du système politique, la nature du régime. Le Pays réel est constitué par les autres groupes sociaux qui, dans ce même rapport de pouvoir, occupent une place de gouvernés, et dont le mode d’existence est, selon les cas, plus ou moins dépendant du système politique ».
Être un royaliste actif efficace, c’est avoir intégré le concept Pays légal/Pays réel car il est « indispensable pour une analyse opérationnelle », selon Michel Michel. Celui-ci indiquant que « la république ne se perpétue qu’en désorganisant le Pays réel. La destruction des corps intermédiaires (corporations, provinces, libertés communales…), la centralisation, etc., correspondent à une impérieuse obligation pour le pays légal, non seulement pour lui donner les moyens d’assurer son pouvoir, mais aussi parce que sans cela le régime et, malheureusement, la nation risqueraient de craquer sous la poussée anarchisante des libertés du Pays réel. La centralisation n’est pas seulement l’instrument de la volonté de puissance des ‘politiciens’, mais s’impose impérativement à tout ‘politique’ soucieux de maintenir l’‘agrégat’ français. Seule la monarchie peut se payer le luxe de laisser fleurir les libertés à la base, car seule elle s’impose comme fédérateur actif capable d’intégrer le changement social. Le régime républicain, au contraire, ne peut maintenir la fédération qu’en gelant la vitalité du Pays réel, en le réduisant à l’état de masse (le citoyen consommateur-électeur), face au géant (l’État). On voit donc que le Pays réel est substantiellement modifié par la forme du régime ; la destruction du code de différences et d’identités du Pays réel est une des causes de la durée (toute relative) du régime républicain ».
Michel Michel, toute sa vie, aura analysé, décrypté la « nature des relations entre Pays légal républicain et Pays réel, et le fonctionnement de l’ensemble du système » pour « montrer en quoi cette dichotomie peut nous être utile pour la prise du pouvoir ; autrement dit, notre empirisme doit maintenant se faire organisateur ». Restons stratégiques ! « L’étude du concept de Pays légal/Pays réel débouche sur la question de savoir ce qu’est et ce que sera dans les années à venir le Pays réel utile : nous semblons n’avoir guère avancé dans notre raisonnement. Mais ce n’est qu’une apparence, car la question a évolué en se déplaçant : il ne s’agit plus d’une recherche spéculative sur ce qu’est le Pays réel, mais tout simplement de savoir ce que nous devons faire pour restaurer la monarchie. La distinction Pays légal/Pays réel peut tout d’abord nous servir à montrer en quoi le Pays légal trahit toutes les couches de la société ; elle est un bon moyen de polariser de multiples critiques et de les diriger contre la République ». Mais « ne pouvant encadrer tous les milieux, nous devons localiser notre action sur ce que Maurras appelle ‘l’opinion utile’ ».
Être un royaliste qui voit son travail couronné de succès, c’est être convaincu du fait que « nous avons deux atouts » pour atteindre notre but : « nous ne sommes prisonniers d’aucune clientèle et nous n’avons, du fait de notre absence d’idéologie, aucune œillère. L’empirisme organisateur, si nous savons l’appliquer, nous permet tous les espoirs ».
Je sais bien que la pensée de ce grand auteur royaliste ne se limite pas à ses études sur la stratégie, ses écrits sur la tradition sont indispensables pour nous, militants de la restauration monarchique. Néanmoins, pour conclure mon présent propos, d’autres viendront encore : merci Michel Michel pour votre vie de réflexion stratégique.

