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Léon n’est pas Louis

Par Marc-François de Rancon

Au risque de paraître rabat-joie pour les catholiques dits conservateurs, avec l’espoir de dessiller les yeux des autres récents sectateurs du nouveau pape (lesquels au demeurant sont majoritairement non catholiques, habituellement indifférents – voire hostiles – à cette religion et à son Eglise), il faut ramener à la réalité et à la raison. Non, la façon dont a été élu Léon XIV, ses premiers mots, ses premiers actes, tout ce faisceau d’indices ne permet guère, pour l’instant, d’être optimiste.

Beaucoup de patriotes, catholiques ou non, royalistes ou républicains, se réjouissent de façon publique, ostentatoire même pour certains, de tout ce qu’ils veulent voir comme signes prémonitoires d’un pontificat plein de promesses. Qui serait moins désarçonnant et moins mondialiste que celui de défunt François. Peut-être parce qu’ils se sentent soulagés que le conclave leur ait évité, par miracle, Mgr Parolin. On peut comprendre qu’ils aient repris leur souffle. Mais pas jusqu’à imaginer que Mgr Prévost se situe dans la même ligne théologique et idéologique que le cardinal Sarah, tout de même. Or, les langues se sont vite déliées du secret à l’issue du conclave : c’est précisément parce que les plus réalistes des électeurs souhaitant écarter le risque Parolin, à savoir majoritairement les Églises des Amériques, sachant l’élection de Sarah impossible, ces prélats ont très vite poussé l’élection surprise de Prévost. Ceci ressemble plus à une élection par défaut, un peu comme Bayrou a été nommé Premier ministre, toutes proportions gardées dans le parallèle…

Quels sont ces signes de Léon XIV qui font vibrer les conservateurs voulant se convaincre que le pire a été conjuré et que le meilleur est annoncé ? D’abord Léon a repris un nom ancestral, au lieu d’inaugurer sans modestie et en rupture comme Bergoglio. Ensuite, au balcon lors de sa première apparition, à sa messe inaugurale également, il était revêtu des habits rituels et semblait soucieux de respecter, on pourrait dire de restaurer, le protocole traditionnel. Et puis, au fond du message spirituel, il a axé sa communication comme se présentant un fils d’Augustin. Tout ceci est bel est bon. Mais, honnêtement, le chat est maigre. Dit autrement : une hirondelle ne fait pas le printemps.

Saint Augustin a certes théorisé l’indépendance du pouvoir spirituel par rapport au pouvoir temporel. Comme Léon XIV et avant lui il a lancé un message de paix. Au demeurant, c’est banal et normal pour un Père de l’Église ou un souverain pontife. Que ne dirait-on s’il faisait l’éloge de la guerre ? Quoique… Quoique, précisément, c’est bien saint Augustin qui crée le concept de « guerre juste » ! Et qui reçoit-il, parmi d’autres il est vrai mais avec un retentissement médiatique prévisible et peut-être calculé à l’issue de la messe ? Zelensky, le plus jusqu’auboutiste des va-t-en-guerre.

Saint Augustin a également exprimé l’existence, pour ne pas dire l’exigence, d’un ordo amoris, alors que Robert Francis Prevost il y a quelques semaines, pas encore pape, avait entamé volontairement une dispute quasi théologique avec JD Vance. Lui disant en reproche que Jésus-Christ n’avait jamais prôné de « ranking », de hiérarchie, dans l’amour du prochain. Belle pirouette dialectique au passage, digne d’un jésuitisme, que n’aurait pas reniée François : Prevost condamne les propos d’amour concentrique de Vance, en affirmant que Jésus n’a jamais parlé ainsi. Pas en prétendant que Jésus aurait dit le contraire (il serait bien en peine de le prouver). Il dément Vance au nom de paroles que Jésus n’a pas prononcées ! Évidemment, c’est difficile dès lors d’apporter la preuve du contraire de quelque chose qui n’existe pas… En tout cas, ça ne rassure pas sur une éventuelle rupture avec la théologie de la charité et de l’amour universalistes du lointain, encore moins sur un retour à la charité et l’amour du prochain homme concret.

Bien sûr, par humilité apparente ou réelle, Léon XIV a mis ses pas dans la lignée des Léon. On aurait aimé Léon III, par exemple, qui couronna Charlemagne empereur le 25 décembre 800. Non, lui, fait plutôt référence au dernier Léon, treizième du nom. Or, Pecci, Léon XIII, comme l’un de ses prédécesseurs Pie VII, affirmait que la foi catholique est compatible avec l’idéologie démocratique. Ce qui amènera peu après au ralliement de Rome, donc de l’Église de France, à la république. Colossale erreur de jugement philosophique, fatale faute d’appréciation politique. Léon XIII, c’est aussi rerum novarum, compassion compréhensible envers la condition ouvrière de l’époque, mais qui a dégénéré au mieux en sociale-démocratie-chrétienne, au pis en prêtres-ouvriers adhérents de la CGT ou du PC et aux théologies de la révolution.

Par ailleurs, François, avec traditionis custodes, a relancé la guerre des messes, que Benoît XVI avait patiemment apaisée. Au-delà des signes, on attend les premières orientations de Léon XIV au sujet des rites. Fond et forme ne font qu’un, pourrait-on rappeler à celui qui a pour devise « in illo uno unum ».

Souvenons-nous aussi que, ès fonctions auprès de François, c’est bien très récemment le futur Léon XIV qui était à la manœuvre pour harceler et finalement destituer Mgr Rey, évêque de Fréjus, le plus brillant et efficace évêque de France. Ni à Toulon, ni en France, ni au-delà, on ne pourra oublier.

On voit bien que, n’en déplaise aux engouements précipités et peut-être surjoués, il n’y a pas lieu pour l’instant de confondre Léon XIV avec Louis XIV.

(Illustration : saint Augustin, huile sur toile de Philippe de Champaigne, 1645-1650, Musée d’art du comté de Los Angeles)