par Stéphane Blanchonnet
Madame Strauch-Bonart n’est pas une inconnue pour ceux qui s’intéressent à la vie littéraire et politique et aux figures montantes de la droite intellectuelle, dont cette jeune femme rigoureuse et sympathique fait incontestablement partie. Elle vient de faire paraître un nouvel essai intitulé Gratitude aux Éditions de l’Observatoire. Ce livre se lit avec plaisir car il est bien écrit et possède une certaine densité conceptuelle. Il comporte plusieurs dimensions bien distinctes dont une autobiographie sociologique et politique de l’auteur, une histoire intellectuelle de la droite française depuis la Révolution et une tentative de définition de cette même droite à partir du terme de « gratitude ».
L’auteur ne cache pas sa ligne et tente au contraire de la préciser et de convaincre son lecteur qu’elle est la seule en mesure de faire triompher la droite. Madame Strauch-Bonart se réclame du conservatisme, dont elle n’ignore pas, en personne cultivée, qu’il n’a jamais eu en France très bonne presse (ses modèles sont d’ailleurs plutôt anglo-saxons). Elle regrette que la seule droite à s’être réellement imposée dans le débat d’idées de notre pays soit la droite « réactionnaire ». Cette droite réactionnaire, elle en voit l’apogée avec Maurras et l’Action française et la résurgence contemporaine avec Éric Zemmour et, plus généralement, c’est cette tendance montante en France (comme dans beaucoup d’autres pays occidentaux) que les médias conformistes rangent derrière l’infamanteétiquette de l’extrême-droite.
On pourrait se contenter de tomber d’accord sur notre désaccord avec Mme Strauch-Bonard. Éric Zemmour l’a fait avec humour et talent récemment lors d’un débat qui l’opposait à la jeune essayiste en lui disant qu’en effet il revendiquait la qualité de réactionnaire et qu’à ses yeux le conservatisme trouvait sa plus parfaite expression dans la bouche de Madame du Barry avec son fameux : « encore un instant Monsieur le bourreau ». Il a également cité à cette occasion la forte formule de Chesterton : « L’affaire des progressistes est de continuer à commettre des erreurs. L’affaire des conservateurs est d’éviter que les erreurs ne soient corrigées ». Il aurait pu de même citer la phrase de Boutang sur le peu d’intérêt à conserver une société qui n’a que des banques pour cathédrales ou encore les pages cinglantes dans lesquelles Abel Bonnard démontre dans Les Modérés l’inanité d’une « droite » qui n’est admise dans la République qu’à la condition d’y figurer l’opposant « de service » dont le rôle est d’être le faire-valoir du camp du mouvement, du camp du bien, autrement dit de la gauche.
Mais comme Madame Strauch-Bonart a le mérite de faire référence à Maurras et à l’Action française à de nombreuses reprises dans son livre sans jamais tomber dans la caricature ni la diffamation — chose si rare qu’elle y gagne aisément notre amitié et même notre « gratitude », je voudrais toutefois lui manifester mon désaccord sur son analyse du maurrassisme. Certes — je viens de le rappeler —, elle ne donne dans aucune des polémiques et des déformations que l’on rencontre presque systématiquement chez les essayistes contemporains qui traitent de Maurras et de son influence mais cela ne veut pas dire que son analyse soit juste. Le pessimisme radical sur la nature humaine qu’elle prête au Martégal et qui serait la justification de sa défense de l’autorité de l’État et de la Tradition fait songer à Hobbes mais ne trouve pas l’ombre d’un fondement dans l’œuvre philosophique et politique de notre maître. De même, quand elle affirme (à propos de la droite réactionnaire, mais dans un développement quiconcerne directement Maurras) : « Son tort, cependant, s’avère de ne pas savoir s’arrêter au seuil au-delà duquel la défense de l’ordre, en impliquant une révolution à l’envers, fabrique du désordre, c’est-à-dire le chaos auquel on voulait échapper », elle semble céder à un simple préjugé tant il paraît trop commode et rhétorique de mettre sur le même plan le très réel chaos révolutionnaire et le chaos supposé, en fait parfaitement imaginaire, qui résulterait, selon elle, de l’application d’un programme réactionnaire, application qui, jusqu’à preuve du contraire, n’a jamais été tentée, sauf à considérer de manière tout à fait polémique et peu cohérente avec le reste de l’analyse plutôt nuancée de la « réaction » qu’elle propose, que le fascisme soit lui-même une forme de « réaction ».